e Scriptorial
d’Avranches expose dans la salle des manuscrits (appelée aussi salle du Trésor) des volumes précieux issus de la Bibliothèque
patrimoniale d’Avranches. Vous accédez ici à l’exposition virtuelle des ouvrages montois que vous pourrez retrouver au musée. À partir de ces courtes descriptions, vous pouvez également consulter la notice catalographique réalisée
dans le cadre de la Bibliothèque virtuelle du Mont Saint-Michel.
Exposition d'hiver février à mars 2025 : Le Mont et l'histoire
our écrire l’histoire durant le Moyen Âge, on demeure largement
tributaire des traditions antérieures. Au Mont comme ailleurs, les
auteurs de référence – pour bon nombre issus de l’Antiquité –
sont la source majeure d’inspiration des écrits historiques.
Et ce, d’autant plus qu’il n’existe pas véritablement d’historiens professionnels, mais des personnes – généralement des clercs – qui livrent des récits pour diverses raisons. Dans un même manuscrit, les copistes ont souvent compilé des œuvres de genres variés : chroniques, récits de miracles ou de faits mémorables, vies de saints et de personnages illustres.
Avec la relecture scientifique de Marie-Agnès LUCAS-AVENEL, enseignant-chercheur en langues et littératures latines à l’université de Caen. Investie dans la recherche sur les manuscrits du Mont, elle s’intéresse aussi à l’écriture de l’histoire durant le Moyen Âge et aux représentations des Normands en Sicile.
Valère Maxime, Faits et dits mémorables
certainement du Mont Saint-Michel, XIIe siècle
alerius Maximus a rédigé un outil qui offre des exemples du passé à destination des orateurs. Ainsi, ce contemporain de l’empereur Tibère (42 av.-37 ap. J.-C.) propose un ensemble de figures d’autorité et d’actions édifiantes, afin d’enrichir les discours moralisants.
Assez méconnu, Valère Maxime y livre des récits inédits, parfois anecdotiques et légendaires. Toutefois, il demeure précieux pour comprendre l’ambiance dans l’Empire du Ier siècle. Son œuvre connait un grand succès durant l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge.
Copié au Mont, cet exemplaire est représentatif du second âge d’or du scriptorium. Il rappelle clairement les productions sous l’abbé Robert de Torigni (1154-1186). Ainsi, on y rencontre une alternance d’initiales rouges (vermillon : sulfate de mercure) et vertes ; l’usage de la mine de plomb pour justifier le texte en délimitant l’espace d’écriture (réglure) ; la minuscule caroline compacte (ascendantes et descendantes peu développées).
Dionigi da Borgo San Sepolcro, Commentaire sur l'Histoire romaine de Valère Maxime
probablement Paris, début du XVe siècle
' auteur de ce texte est Dionigi da Borgo San Sepolcro (v. 1300-1342). Directeur de conscience de Pétrarque, il s’agit d’un frère augustin qui a fait carrière entre Avignon et Naples.
Principalement intéressé par les implications morales de l’ouvrage antique de Valerius Maximus, son commentaire présente une structure classique. Toutefois, par bien des aspects, il innove en proposant une étude historique et critique de la langue.
La qualité de copie et le décor de ce manuscrit semblent refléter la production d’un atelier parisien. C’est ce dont témoigne l’utilisation de feuillages (motifs végétaux de couleur bleu, rouge et or) qui prolongent les queues des dragons. La lettre ornée R (« Romani primo ») renforce cette idée. Bleue sur fond rouge et or, elle comporte des rehauts blancs formant des vaguelettes et des ronds.
Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique
XIIe siècle
ssue de l’Antiquité tardive, cette première tentative de retracer l’histoire de l’Église est difficile d’accès. L’Historia ecclesiastica est à la fois une œuvre d’érudition sur les premiers siècles du christianisme, mais aussi une défense des doctrines. Au-delà des évènements, l’auteur y relate la lutte contre les hérésies, les païens et les juifs. Son texte rédigé initialement en grec a connu une importante postérité et a inspiré de nombreux ouvrages
au fil du temps. C'est ce dont témoigne cette copie du XIIe siècle, contenant
la traduction latine de Rufin d’Aquilée (v. 345-v. 411).
Écrivain prolixe, l’auteur demeure trop peu identifié lui-même. Eusebius Caesariensis (v. 265-339) est un évêque qui n’a jamais hésité à s’engager dans diverses polémiques. Dans son approche historique, il se montre sélectif et ne raconte pas tout. De fait, il ne retient que les éléments qui servent la cause chrétienne et jette un voile sur certains évènements. Par exemple, la famine sous Claude est survolée, alors que la prédication des apôtres est longuement utilisée pour sa démonstration.
Georges le Syncelle, Chronographie traduit par Anastase le Bibliothécaire
Mont Saint-Michel, XIIe siècle
eorgius Syncellus, secrétaire particulier (ou syncelle) du patriarche de Constantinople, a produit une Compilation chronographique (Ἐκλογὴ χρονογραφίας). Dans cette œuvre rédigée à la charnière du VIIIe et du IXe siècle, son but est d’établir une chronologie depuis Adam jusqu’à l’avènement de Dioclétien en 284. Ce travail de synthèse intervient alors
que l’Empire byzantin connait un véritable renouveau politique, militaire et
économique à la fin du VIIIe siècle.
Son approche vise à collecter et à compiler les sources, bien plus qu’à une analyse, mais il explicite ses choix. Il se base sur un schéma classique, en considérant que la datation aurait été transmise aux Grecs par les Égyptiens, qui la tiendraient des Chaldéens, qui eux-mêmes, l’auraient reçue d’Abraham.
Vie de saint Hugues, archevêque de Rouen
1015-1035
e décor de ce manuscrit est assez attendu avec une initiale ornée M de
couleur rouge (« Magnum ») pour ouvrir le texte, après une table des
chapitres. En tant que récit hagiographique, il porte sur l’histoire d’un saint.
Destiné à être lu lors des prières ou en public, il s’agit d’une littérature
édifiante. L’objectif est donc de fournir des exemples et des modèles pour
les croyants.
Ces ouvrages sont des objets plus complexes qu’il n’y parait. Ainsi, ils traduisent une part des réalités sociales de l’époque de leur rédaction, mais demeurent surtout des réécritures stéréotypées.
Comme en témoigne cette copie du XIe siècle, le discours portant sur la vie d’un saint sert différents objectifs. Toutefois, on ne s’intéresse pas à un personnage par hasard, il doit refléter les intentions de l’auteur. Hugo Rothomagensis (†730) est le fils d’un maire du palais. Il offre les nombreuses terres issues de son héritage aux abbayes de Saint-Wandrille et de Jumièges. Par ailleurs, il est récompensé de sa fidélité envers Charles Martel et obtient le siège épiscopal de Rouen.
Bède le Vénérable, L’Histoire ecclésiastique du peuple anglais
Mont Saint-Michel, Xe siècle
e manuscrit est une copie de la première histoire de l’Angleterre rédigée
au début du VIIIe siècle. Ce chef-d’œuvre du moine Beda Venerabilis a
connu un succès immédiat dans toute l’Europe latine. Celui-ci nait en 673
dans le nord de l’Angleterre actuelle. Dès l’âge de 7 ans, il est confié au
monastère de Wearmouth, avant de rejoindre celui de Jarrow.
Son Historia est divisée en cinq livres. L’ouvrage s’ouvre sur les expéditions de Jules César et s’achève sur l’année 731. En s’inspirant d’Eusèbe, il accorde beaucoup d’attention aux miracles et aux songes, tout en suivant un fil chronologique. Ainsi, il se consacre à l’avancée progressive du christianisme dans les royaumes anglo-saxons au-delà d’une histoire nationale. Avec une méthode rigoureuse, il y précise les dates, vérifie et cite ses sources, dans un style simple, mais élégant.
Flodoard, Annales (avec continuations)
1225-1235
a Chronicon seu Gesta Francorum est une source majeure concernant
l’histoire du Xe siècle. Rédigée par un chanoine et prêtre de l’Église de
Reims, ce texte témoigne des craintes et des angoisses dans l’Empire
franc. Factuel et précis, le style de Flodoardus Remensis (893-966) est
souvent laconique, ce qui peut gêner la compréhension
Cette copie tardive montre l’intérêt des moines du Mont pour les annales de l’époque carolingienne. Les écrits historiques mettent alors en avant les mauvaises récoltes, les famines, les évènements politiques et les invasions « barbares ». On considère que ce sont autant de signes divins qu’il faut décrypter comme des annonces de bouleversements futurs. Ce manuscrit contient de nombreux dessins marginaux à la mine de plomb : tête humaine, écu et armoiries, singe attaché, un buste de jeune homme aux cheveux longs et une esquisse d’initiale ornée avec un début de texte, comme on peut le voir sur cette double page.
Pierre de Poitiers, Abrégé historique de la généalogie du Christ
XIVe siècle
e manuscrit est une copie tardive du Compendium, une œuvre majeure de la fin du XIIe siècle rédigée par Petrus Pictaviensis. Dès les premières lignes, ce théologien annonce l’objet de son texte et cible son public :
Considerans hystorie sacre prolixitatem
Considérant l’étendue de l'histoire sacrée
necnon et difficultatem scolarium
et aussi la difficulté des étudiants à l'égard
quoque circa studium sacre lectionis...
de l'étude de la leçon sacrée...
Si cet extrait débute par Adam et Ève et s’achève sur l’évangéliste Jean, l’arbre généalogique de cette double page montre divers personnages. Des fils de Noé (Japhet, Selm et Cham) jusqu’à Naason (issu d’Aminadab), l’ensemble replace l’ascendance de Jésus dans un contexte historique.
Tout au long du Moyen Âge, l’histoire familiale du Christ a fait l’objet de débats infinis. Pour les hommes du temps, il n’est pas question de remettre en cause leur historicité, alors que les Évangiles offrent de nombreuses généalogies, parfois confuses et contradictoires. Ce manuscrit est donc conçu comme un outil didactique, en présentant une forme « abrégée » qui résout les discordances en simplifiant.
L’apparition de saint Michel au mont Gargan
Mont Saint-Michel, entre 991 et 1009
opiée vers l’an mil par le moine Hervardus, cette partie du livre forme un ensemble de lectures destinées aux fêtes de saint Michel. Le texte évoque l’apparition de l’archange au mont Gargan (Italie) en 506. Divisée en sept leçons, cette histoire est l’une des principales sources d’inspiration de la légende du Mont Saint-Michel.
La magnifique lettre ornée M (« Memoriam ») ouvre le récit presque entièrement rédigé sur vélin. En écriture onciale, elle a été jugée si importante par les religieux qu’elle a bénéficié d’un remaniement entre 1050 et 1080. L’objectif est alors de rehausser le décor pour souligner le rôle fondateur de ce texte historique. Dans ce cas, les pigments rouges (minium, oxyde de plomb) sont recouverts d’or. On ajoute aussi du bleu (lapis-lazuli) et du blanc de plomb.
La Révélation
Mont Saint-Michel, vers 1457
rincipale source narrative sur la fondation du Mont, la Revelatio est rédigée par un religieux avant les raids vikings en Normandie (vers les années 820). Elle rapporte que l’évêque d’Avranches, Aubert, aurait reçu en songe la visite de l’archange, qui lui ordonne de construire un sanctuaire sur le mont Tombe.
Cette copie tardive montre toute l’importance qu’on accorde encore au XVe siècle à cette légende. Ainsi, on pense essentiel que le texte reste compris par les hommes du temps avec une écriture lisible qui reprend une version abrégée du récit. Sans doute les variantes plus anciennes sont-elles alors jugées difficiles, ne serait-ce qu’en raison des évolutions du vocabulaire et de la langue.
Si on considère qu’il faut réactualiser le récit fondateur, son rôle central est toujours souligné à l’aide d’une lettrine. Celle-ci est dite « puzzle », dans le sens où elle est découpée en deux parties, chacune peinte d’une couleur différente. S’ajoutent de fins filigranes qui rehaussent l’ensemble. À l’encre rouge, la rubrication sert d’introduction au texte qui suit.
Guillaume de Pouille, La geste de Robert Guiscard
Nord-ouest de la France, XIIe siècle
’il n’a pas un décor exceptionnel, ce manuscrit est la dernière copie médiévale de la chronique de Guillaume de Pouille sur les exploits de Robert Guiscard. L’original étant disparu, c’est désormais l’unique trace
aussi ancienne qu’il nous reste de cette œuvre fondamentale sur l’histoire
du bassin méditerranéen à partir de 1016. Par ailleurs, cette Geste
construit un modèle de chevaliers normands lors de la conquête de l’Italie
du Sud, dans un style qui imite les poètes de l’Antiquité.
Rédigé à la fin du XIe siècle, le récit s’étend de l’arrivée des premiers Normands jusqu’à l’enterrement de Robert Guiscard en 1085. Surnommé « le Rusé », ce Normand né à Hauteville devient duc de Pouille, de Calabre et de Sicile, après avoir mené de nombreux raids. Cet espace lui sert de base pour poursuivre l’avancée normande contre les Byzantins. La chronique fait aussi quelques allusions à des évènements postérieurs, comme l’achèvement de la conquête de la Sicile musulmane en 1091.
Jean Huynes et Louis de Camps, Histoire de la célèbre abbaye du Mont Saint-Michel au péril de la mer
Mont Saint-Michel, 1661-1664
u Mont l’intérêt pour l’histoire ne s’arrête pas avec la fin de l’atelier d’écriture tenu par les moines à partir du XIIIe siècle. Toutefois, le rapport à la méthode historique évolue au cours du temps. Peu à peu, l’art oratoire est délaissé en faisant la part belle aux sources intégrées directement
dans le texte.
C’est ce dont témoigne la page de droite qui cite une bulle d’Alexandre III en latin. Pape à partir de 1159, son élection à une courte majorité est contestée avec la mise en place d’un antipape soutenu par l’Empereur. Cette opposition débouche sur une guerre durant laquelle il est contraint de se réfugier en France. Dans cette copie des années 1660, on pousse la volonté de preuve en allant jusqu’à reproduire le sceau terminal.
Cette page témoigne aussi d’une évolution de ton. Le jugement est délaissé au profit d’une approche plus factuelle. Les théoriciens de l’histoire insistent de plus en plus sur la nécessité d’une narration nue. Toutefois, cette histoire de l’abbaye ne renonce pas totalement à l’amplification rhétorique. Ce texte est l’œuvre de Jean Huynes, un bénédictin de la congrégation de Saint-Maur, originaire de Beauvais. Il est achevé en 1638, puis repris et corrigé ultérieurement par un autre religieux, Louis de Camps.