Bibliothèque virtuelle
duMont Saint-Michel

Expositions temporaires

Le Scriptorial d’Avranches expose dans la salle des manuscrits (appelée aussi salle du Trésor) des volumes précieux issus de la Bibliothèque patrimoniale d’Avranches. Vous accédez ici à l’exposition virtuelle des ouvrages montois que vous pourrez retrouver au musée. À partir de ces courtes descriptions, vous pouvez également consulter la notice catalographique réalisée dans le cadre de la Bibliothèque virtuelle du Mont Saint-Michel.

Exposition d'hiver janvier à mars 2024 : De branche en branche : la généalogie médiévale

I Intimement associée à l’histoire, la pratique visant à établir les filiations de génération en génération est d’abord rattachée aux souverains, puis à l’aristocratie, voire à la noblesse. Dès la seconde moitié du XIe siècle, on constate le développement de ce genre, qui offre rapidement une véritable diversité.

Durant le Moyen Âge, les auteurs et les enlumineurs mettent donc en scène les liens familiaux. Ainsi, de nombreux textes évoquent les parentèles et la filiation, mais cela se rencontre aussi bien dans l’iconographie. Or, les images du mariage, du couple ou de l’entourage dépendent moins de l’observation de la réalité que des règles qui structurent l’art.


Avec la participation de Germain BUTAUD, maître de conférences à l'université de Nice Côte d'Azur. Intéressé par la noblesse médiévale et les généalogies de Provence, il est le co-auteur d'un ouvrage de référence sur le sujet (intitulé Les enjeux de la généalogie).


Évangile de Matthieu (avec glose)

Paris, v. 1240-1250

CCe manuscrit est une production du parisien Gautier Lebaube, spécialisé dans l’élaboration de bibles luxueuses. Ouvrant l’Évangile de Matthieu, la superbe initiale historiée L (« Liber ») témoigne des compétences de cet atelier laïc. La lettrine représente le thème de l’arbre de Jessé qui rencontre un grand succès aux XIIe et XIIIe siècles. Celui-ci sert à montrer schématiquement la généalogie du Jésus.

En s’appuyant sur la prophétie d’Isaïe, Jessé – le père de David – est dépeint en position endormie, rêvant de sa descendance. Le dessin sur fond d’or suggère les rois David et Salomon, ainsi que le Christ au sommet. Ce dernier est représenté en « Sauveur du monde » puisqu’il bénit d’une main tout en portant un orbe (globe) de l’autre. Malgré une tendance à la standardisation des enluminures à l’époque, une certaine originalité peut se rencontrer à l’image du lapin ajouté à la cime.

Entre les lignes et dans les marges, la glose discontinue entoure le texte biblique. Ces commentaires officiels, souvent puisés chez les Pères de l’Église, servent à expliquer certains termes difficiles.

Évangile de Matthieu

Mont Saint-Michel, fin du XIIe siècle

[L]iber generationis Jhesu Christi filii David,

filii Abraham ; Abraham genuit Ysaac ; Ysaac

autem genuit Jacob…

Livre des origines de Jésus Christ, fils de David,

fils d’Abraham ; Abraham engendra Isaac ; Isaac

engendra Jacob…

Véritable introduction au premier évangile, ces mots offrent une ouverture magistrale au thème de la filiation. Dès le premier verset, Jésus est présenté avec une double nature, dont témoigne la surprenante formule « fils de David, fils d’Abraham ».

Ici, Abraham est considéré comme le père des pères, alors que David est la figure royale par excellence. Découle une généalogie linéaire depuis Abraham, à l’exclusion des femmes. L’auteur reprend trente-neuf fois la même tournure grammaticale. Cette répétition a pour but d’insister sur le caractère inéluctable du déroulement des évènements.

Le texte copié sur la page de droite est identique à celui du manuscrit qui précède et à ceux qui suivent. Toutefois, ici, la lettrine L (« Liber ») qui aurait dû figurer en marge est complètement oubliée. Par ailleurs, l’écriture pré-gothique constitue une véritable aide à la datation puisqu’elle est caractéristique de la fin du XIIe siècle comme en témoigne les lettres d peu saillantes et les s droits en position terminale.

Évangile de Matthieu (avec glose)

Mont Saint-Michel, fin du XIIe siècle

L’initiale L est dite « puzzle », dans le sens où le corps est découpé en deux parties peintes en rouge et en bleu. L’ensemble est orné par des filigranes de mêmes couleurs, mais positionnés en miroir inversé. Il s’agit d’un réseau de filaments, plus ou moins denses, réalisés avec une plume finement taillée (sans pleins et sans déliés). Plus abstraits et libres que de nombreuses autres enluminures, ces motifs obéissent pourtant à certaines codifications.

Dans cet exemple, les filiformes sont rehaussées en vert afin de former des feuilles travaillées. La présence d’une troisième teinte, comme c’est le cas ici, se rencontre jusqu’à la fin du XIIe siècle. L’ajout de ces touches jaune-marron témoigne d’une influence normande persistante favorable à la lettrine polychrome, à décor végétal. Ce choix n’est pas très surprenant puisque le vert, le bleu et le rouge constituent les couleurs emblématiques des productions montoises durant l’abbatiat de Robert de Torigni (1154-1186).

Évangile de Matthieu (avec glose)

Mont Saint-Michel, XIIIe siècle

Bien que ressemblante, cette initiale L témoigne d’une évolution de style dans les manuscrits produits au Mont. Et pour cause, le choix des couleurs se borne au bleu azur et rouge vermillon, comme c’est le cas à partir du XIIIe siècle. D’autres touches colorées se retrouvent sur l’ensemble du feuillet. C’est le cas, par exemple, pour le titre courant « MA- TH(EU)S » que l’on trouve dans la partie supérieure.

D’un manuscrit à un autre, la glose peut comporter des variations sensibles, ce qui pousse à développer des trésors d’imagination dans la mise en page du texte. Chaque portion du commentaire sur trois colonnes est signalée par un paragraphus (¶). Aussi appelés pied-de-mouche, certains se prolongent dans les espaces vides qui le permettent.

Les zones délaissées par l’écriture demeurent en nombre suffisant pour tolérer quelques additions supplémentaires en marge. Le changement de main témoigne du fait que ces corrections sont ajoutées ultérieurement. Dans tous les cas, la glose apporte des commentaires jugés indispensables à la bonne compréhension du texte officiel. Ce dernier est rédigé, quant à lui, au centre, avec une écriture de gros module (bien adaptée à la lecture publique).

Hymne sur la généalogie des trois Maries

Mont Saint-Michel, milieu du XVe siècle

A la fin d’un évangéliaire du XIIIe siècle (contenant des passages bibliques lus durant la messe), on trouve quelques vers issus de la Légende dorée. Servant à évoquer la vie de nombreux saints et à recueillir des textes importants, cet ouvrage est l’œuvre du dominicain et archevêque de Gênes Jacques de Voragine (v. 1229-1298).

Anna solet dici tres concepisse Marias

has genuere viri Joachim

Cleophas et Salomas…

On dit qu’Anne avait conçu ces trois Maries

Dont les pères furent Joachim,

Cléophas et Salomé

Ce poème sur le thème de la Sainte Parenté reprend une légende populaire, selon laquelle Anne aurait eu trois époux (Joachim, Cléophas et Salomé). Elle aurait ainsi enfanté trois filles, nommées Marie. L’une serait la mère de Jésus et les deux autres auraient engendré une série de disciples à leur tour.

Cette pensée est finalement condamnée par le Concile de Trente durant le XVIe siècle. Elle entre en contradiction avec la stérilité d’Anne qui n’aurait enfanté Marie qu’à un âge avancé, ce qui laisse peu de place à des conceptions ultérieures, issues de deux nouvelles unions. De même, on considère que cette croyance a pour conséquence de réduire cinq des douze apôtres à de simples cousins.

Livre de l’Exode (avec glose)

Mont Saint-Michel, v. 1170-1180

Le livre de l’Exode de ce manuscrit est introduit par une lettrine H (« Hec ») purement ornementale. Dans un style archaïque, celle-ci représente un homme attaquant un dragon. Ce choix difficilement lisible apparait d’autant plus étonnant à cette époque que, dans ce même contexte, les ateliers parisiens préfèrent alors des lettrines historiées (avec Moïse comme personnage principal). De plus, la palette de couleurs est originale pour le XIIe siècle, à un moment où l’on connait peu d’autres exemples de décors peints produits au Mont. Toutes ces particularités s’expliquent sans doute par le fait qu’il s’agit d’un travail réalisé en pleine période de déclin de l’enluminure montoise.

Ce livre s’ouvre sur une conception généalogique, en lien avec les douze tribus d’Israël qui correspondent aux fils de Jacob (Ruben, Simeon, Levi, Judas, Issachar, Zabulon, Benjamin, Dan, Nephthali, Gad, Aser et Joseph, tels que vous pouvez les retrouver dans le texte). Ici, l’objectif est d’introduire une identité collective fondée sur une croyance commune en une « nouvelle alliance ».

Sulpice-Sévère, Vie de saint Martin

Angleterre, Xe siècle

[I]gitur martynus sabariæ pannoniarum

oppido oriundus fuit. sed intra italiam

ticini alitus est

Martin naquit à Sabarie, en Pannonie, de

parents assez distingués, mais païens ; il

fut élevé à Ticinum, ville d’Italie.

Copié en Angleterre, avant d’être apporté au Mont, ce manuscrit très sobre est une reproduction partielle de la Vita sancti Martini de Sulpice-Sévère. Ce disciple de Martin y présente ses connaissances sur ce célèbre évêque de Tours de la fin de l’Empire romain.

Comme dans de nombreuses Vies de saints, seul le père est évoqué. Soldat, puis tribun militaire (officier), Martin semble d’abord suivre sa voie. Pourtant, la légende veut qu’il entre dans une église dès l’âge de dix ans et qu’il commence alors son long cheminement vers une existence religieuse. Dans ce cas, l’image paternelle n’est mobilisée qu’afin de justifier l’action guerrière, au début de la narration.

Les Vies de saints constituent une bonne part de la production littéraire de l’époque médiévale. Toutefois, basés sur le modèle proposé par Sulpicius Severus, ces documents contiennent généralement bien peu d’informations généalogiques. Pour l’essentiel, on se contente de mentionner les parents du saint ou de la sainte. Ainsi, l’objectif est essentiellement de conserver l’universalité de ces récits à valeur d’exemple.

Jérôme, Sur les hommes illustres

Mont Saint-Michel, XIIe siècle

Daté de 393, l’opuscule intitulé De viris illustribus renvoie à une tradition gréco-latine. Par cet écrit, Jérôme entend dresser des notices d’auteurs ayant parlé avec éloge de l’Église naissante. Copier ce manuscrit au XIIe siècle procède d’un choix intéressant.

La dimension polémique du catalogue ne présente plus de doute à ce moment-là, tant il a fait couler d’encre. Par ce travail, l’objectif du docteur de l’Église est de convaincre les païens de l’existence d’une riche littérature chrétienne. Il construit donc une réponse à l’accusation de « rusticité », souvent prêtée aux premiers chrétiens.

S’il néglige dans sa liste des auteurs comme Augustin, Rufin ou Jean de Jérusalem qu’il n’apprécie pas, il offre une bonne place à des hommes qu’il admire et qu’il rattache volontiers à une généalogie politique. Ainsi, Jérôme reconnait au philosophe Sénèque une « grande pureté de mœurs » (« continentissime vite fuit »). Ce rattachement à la doctrine chrétienne du dramaturge païen a suscité de nombreuses réactions puisque ce choix ne repose que sur de prétendues lettres adressées à l’apôtre Paul. Dans cette œuvre politique, Jérôme se soucie alors peu de l’authenticité des preuves ou de la pensée réelle du romain.

Généalogie des rois francs

Mont Saint-Michel, XIIe siècle

Comment expliquer qu’une généalogie cite Priam (le souverain de Troie), comme ancêtre le plus lointain des rois francs ? Cela suit une logique identique à celle des rois anglo-saxons qui se reconnaissent pour descendants du dieu nordique Odin. De fait, l’ensemble des familles régnantes de l’Europe médiévale s’invente des racines glorieuses et invérifiables.

Et pour cause, les Francs préfèrent ce mythe des origines troyennes. Ainsi, ils s’inscrivent dans des traditions antiques, plutôt que de revendiquer descendre d’un Dieu païen. Il s’agit donc d’une construction politique du VIIe siècle qui trouve sa source durant le règne de Clotaire II (613-629). On rédige alors les premières parentèles mérovingiennes, pour fonder une légitimité nouvelle. Si les doutes émergent peu à peu, on note que cette ascendance mythique ressort régulièrement jusqu’au XVe siècle puisqu’elle assure un certain prestige et une cohésion dans le royaume.

Historiquement, qu’il soit fictif ou non, le genre généalogique demeure longtemps un privilège royal. À partir du Xe siècle, on commence à conserver les premières filiations princières. Mais ce n’est qu’au XIIe siècle que les écrits de ce type s’étoffent véritablement et se diffusent.

Augustin, Quatre-vingt-trois questions différentes

XIIe siècle

Au sein de cette œuvre rédigée au IVe siècle, la dernière problématique concerne le mariage (« LXXXIII. De conjugio »). Durant le Moyen Âge, le lien marital est la grande affaire de la vie, que ce soit en droit ou en matière religieuse.

L’auteur de ce manuscrit est Augustin d’Hippone, l’un des quatre Pères de l’Église. Il se consacre ici à la question encore floue de la rupture de la vie conjugale. Selon ce lettré romain, la séparation des conjoints ne peut intervenir qu’en cas d’impuissance ou de « fornication » (c’est-à-dire d’adultère). Dans sa pensée, seul compte ce qui pourrait menacer le lignage et il n’admet pas le remariage pour les couples séparés.

Par cette copie manuscrite du XIIe siècle avec peu d’ornements, il n’est pas étonnant de voir ressurgir un intérêt pour cette question. L’alliance devant Dieu est alors à nouveau au cœur des débats religieux et politiques depuis quelques décennies. En raison d’attaques qu’elle juge hérétiques à ce moment-là, l’Église est même obligée de réviser sa doctrine pour mieux intégrer l’union conjugale dans sa pensée.

Yves de Chartres, Panormie

Mont Saint-Michel, XIIe siècle

Durant l’époque médiévale l’essor du droit canon (droit de l’Église) en matière de mariage pousse de plus en plus à représenter les liens. Contrairement aux pratiques de l’Antiquité, la parenté se transmet alors indifféremment par les deux parents.

De plus, la généalogie de l’Europe du Moyen Âge est étroitement associée aux modes de calcul de la parenté. C’est ce dont témoignent les arbres de consanguinité qui apparaissent dès le VIIIe siècle. Chaque case renferme un terme de parenté, notion très riche en latin :

  • le père (pater) et la mère (mater) forment la génération centrale.
  • en dessous, on trouve le fils (filius) et la fille (filia), qui constituent la première génération du « tronc ».
  • au-dessus, figurent le grand-père (avus) et la grand-mère (avia).

Toutefois, malgré leur nom, ces schémas ont rarement l’apparence d’arbres. Ils se rencontrent dans les manuscrits du livre IX d’Isidore de Séville, puis de Burchard de Worms, de Gratien ou des Décrétales. On en trouve aussi régulièrement pour illustrer les textes juridiques sur le mariage d’Yves de Chartes (v. 1040-1116). Cet évêque est un intellectuel hors pair qui s’est opposé au roi Philippe Ier dont il dénonce l’adultère, au pape et à la réforme grégorienne.

Gratien, Décret avec gloses de Barthélémy de Brescia

probable production italienne, XIIIe siècle

A partir du XIIe siècle, l’arbre de consanguinité est régulièrement soutenu par une figure tutélaire qui habille l’ensemble. On préfère un couple dès le IXe siècle, puis un vieillard, Adam ou le Christ. Toutefois, comme c'est le cas ici, au XIIIe siècle, on privilégie un souverain, présenté de face.

De plus, le quatrième concile de Latran en 1215 révise de sept à quatre les degrés de consanguinité qui empêchent le mariage. De sorte qu’un homme peut alors épouser la descendante d’un quadrisaïeul commun. Ce bouleversement a nécessairement un impact sur les représentations des arbres puisqu’un nouveau médaillon central s’intercale entre pater-mater et filius-filia.

Afin de s’adapter à ce changement de règle, c’est désormais à partir de ce point qu’il convient de compter les degrés de parenté pour identifier les interdits. Ce médaillon est laissé vide dans cette copie du Decretum rédigée par le moine de Bologne Gratien (vers 1140-1150). Il est souvent nommé ego sur d’autres manuscrits. Très répandu depuis la fin du XIIe siècle et enseigné à l’université de Bologne, le Décret a fait l’objet de commentaires compilés par Barthélémy de Brescia au XIIIe siècle.