Bibliothèque virtuelle
duMont Saint-Michel

Temporary exhibitions

The Manuscript room (also known as The Treasure Chamber) of the Scriptorial of Avranches exhibits precious volumes coming from the Heritage library of Avranches. The digital exhibition of the works of the Mont that can be found in the Museum can be accessed here. Based on these descriptions, the catalogue record completed within the framework of the project Digital Library of the Mont Saint-Michel can also be viewed.

Exposition d'automne octobre à décembre 2024 : Les manuscrits du Mont produits ailleurs

L orsqu’on pense aux manuscrits du Mont Saint-Michel, chacun s’imagine rapidement qu’ils sont tous l’œuvre des moines perchés au milieu des flots. Or, la bibliothèque de l’abbaye renferme également des livres magnifiques venus d’ailleurs et que les moines se procurent.

Dons, achats ou prêts sont autant de moyens de compléter la bibliothèque des religieux bénédictins, mais parfois la situation est plus difficile à comprendre. Ainsi, il convient d’être attentif aux détails d’un livre médiéval.

Avec la relecture scientifique de Stéphane Lecouteux. Il était responsable de la bibliothèque patrimoniale d’Avranches de 2016 à 2019. Il est spécialisé en description codicologique, science qui étudie les manuscrits en tant qu'objets.


Pierre Lombard, Commentaire sur les Épîtres de Paul

XIIIe siècle

Lorsqu’on cherche à déterminer l’origine d’un ouvrage, il faut souvent composer avec l’incertitude. C’est le cas pour cette Collectanea in epistolas Pauli, sur lequel on ne sait rien du contexte de création. Copié par deux mains distinctes, il pourrait s’agir d’une production montoise ou d’ailleurs. Aucun élément ne permet de trancher dans un sens ou dans l’autre.

L’auteur de cet ouvrage, l’évêque italien Petrus Lombardus est assez présent dans la bibliothèque montoise qui compte une vingtaine de manuscrits de sa plume. Celui-ci est considéré comme l’un des théologiens les plus célèbres du XIIe siècle. Toutefois, par bien des aspects, son œuvre demeure assez peu originale dans son approche. À tel point que la paternité lui a souvent été contestée.

La mise en page de ce manuscrit sur deux colonnes est très représentative des travaux du XIIIe siècle. Il en est de même pour cette belle initiale filigranée rouge et bleu P (« Principia »). De style parisien, celle-ci est dite « puzzle », dans le sens où le corps de la lettre est découpé en deux parties qui s’emboitent. L’ensemble est orné par des éléments filiformes tracés avec une plume finement taillée.

Hugues de Saint-Victor, Histoire

Peut-être de l’abbaye de Montmorel, XIIIe siècle

Ce manuscrit contient des explications et des gloses de mots, de pensées et d’éléments historiques de la Bible. Il s’agit d’un ouvrage différent de ce qu’on connait habituellement d’Hugo de Sancto Victore (1096-1141). Fils du comte de Blankenburg, il prend l’habit contre l’avis de ses parents. Les troubles politiques le mènent finalement à l’abbaye Saint-Victor de Paris, où il est choisi pour diriger l’école en 1133.

Sur cette double page, on rencontre des marginalia, c’est-à-dire des dessins tracés en marge. À gauche, les lettres se prolongent pour pêcher un petit poisson, alors qu’on trouve un guerrier au chaperon à droite. Apparu au XIIe siècle, ce vêtement se compose d’une encolure, appelée goulée, et d’une pointe, nommée cornette. Notez que, par dérision, l’homme à l’épée et au bouclier est doté d’attributs.

Sur le contre plat, une note tardive du XIXe siècle indique qu’il « provient de l’abbaye de Montmorel ». Si cette remarque jette le trouble sur l’histoire de ce manuscrit, on sait qu’il a fait partie de la bibliothèque du Mont de longue date.

La pêche miraculeuse

sud-est de l’Angleterre, VIIIe siècle

Ce feuillet complet a été employé en tête de volume, en guise de page de garde d’un manuscrit de la seconde moitié du XIIe siècle. C’est sans doute à cette époque que les moines font le choix de démembrer ce riche évangéliaire afin de le réemployer dans une reliure. Si ce choix est alors réalisé, c’est que l’on considère que ce manuscrit n’est plus d’utilité.

L’origine géographique de ce plus ancien témoin écrit de la bibliothèque montoise est attestée par l’usage d’une écriture issue du monde anglo-saxon. Ainsi, ce document est certainement une production de la région de Cantorbéry (sud-est de l’Angleterre). Belle et lisible, cette graphie onciale a des formes arrondies (comme les lettres M, D et E).

Toutefois, composée uniquement de lettres capitales, cette écriture est particulièrement gourmande en place. Avec l’émergence de la minuscule caroline dès le IXe siècle, l’onciale est progressivement délaissée, sauf pour les titres. Dans ce cas, son aspect majestueux demeure longtemps un véritable atout.

Calendrier à l’usage du Mans

Ouest de la France, XVe siècle

En fonction des fêtes qu’il contient et des choix dont il témoigne, l’origine géographique d’un calendrier peut être déduite. Ici, il comporte plusieurs évêques du Mans tels les saints Aldric (7 janvier), Victeur (1er septembre) ou Domnole (1er décembre). Auxquels s’ajoutent quelques saints spécifiques à la Bretagne, comme Melaine (6 novembre), l’évêque de Rennes.

Avec des chiffres romains compris entre 1 et 19 (I à XIX), la première colonne présente le nombre d’or. Celui-ci renvoie au cycle lunaire qui compte bien dix-neuf années. La deuxième colonne comporte des lettres dominicales, réparties de "a" à "g" (remplaçant le nom des jours de la semaine). Dans ce cas précis, le d correspond au vendredi. La troisième colonne inclut le quantième du mois (qui sert à calculer les fêtes mobiles en fonction des jours de la semaine). Enfin, la quatrième et dernière colonne recense l’intitulé de la fête (ici, « Nicolas évêque », pour la Saint-Nicolas).

Introduisant un livre d’heures contenant des prières en latin et en français, ce calendrier romain est d’une utilisation aisée pour des laïcs du XVe siècle. Ici, le choix du rouge permet de faire ressortir le nombre d’or et de distinguer les fêtes de moindre importance (copiées en noir).

Notices de donations

Saint-Malo, XIIe siècle

Cet homiliaire a un aspect très différent de ce qu’on trouve habituellement au Mont. De plus, ce feuillet porte quelques additions avec la transcription d’actes concernant l’évêché de Saint-Malo. On y rencontre, notamment, une charte accordée par Robert, fils de Bresel, qui octroie une terre à l’église d’Alet, du temps de l’évêque Benoît (1086-1112). De sorte qu’il est permis de penser que ce manuscrit pourrait être originaire de Saint-Méloir-des-Ondes. Le lien entre les moines et la presqu’île de Cancale est ancien puisque l’abbaye y possède plusieurs dépendances.

Sur cette page, on trouve aussi une Antienne, c’est-à-dire un chant, initialement exécuté par deux chœurs. Celle-ci est dédiée à saint Nicolas et débute par « O Christi pietas ». Au-dessus, sur des lignes tracées à la pointe sèche, la notation est franque. Composé de signes graphiques (accents, points, points-virgules...), ce système désigne le mouvement de la mélodie afin d’aider le chanteur. De plus en plus normés à travers le temps, mais avec des variantes régionales, les neumes de ce type sont instaurés pour répondre au besoin d’unifier la liturgie.

Missel à l’usage de Saint-Benoît-sur-Loire

Loiret, deuxième moitié du XIIe siècle

Destiné à la messe, ce livre contient des offices propres à l’abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire (Fleury). En témoigne une importance particulière donnée aux saints Benoît, Gildas, Oswald, Grégoire, Pol de Léon, Eucher, Aignan et Abbon de Fleury. Néanmoins, Thomas Becket n’y figure pas, ce qui invite à dater ce missel d’avant sa canonisation en 1173.

Ainsi, les moines du Mont entretiennent des relations avec le Loiret depuis l’an mil. Ce volume est, d’ailleurs, contemporain de l’abbatiat de Robert de Torigni (1154-1186) qui cherche à réactiver ces liens anciens. L’époque de sa production suppose aussi l’usage de la feuille d’or pour le nimbe du Christ (disque de lumière).

Permettant de donner du brillant au décor, celle-ci doit être de bonne qualité et très pure. Toutefois, l’or est encore utilisé pour de petites zones, avec une charge symbolique marquée. Ici, l’auréole trouve sa place au centre des lettres entrelacées VD, initiales de la formule Vere Dignum. Cette phrase commence habituellement la préface du canon de la messe (après le Sanctus).

Hugues de Strasbourg, Somme théologique

XIVe siècle

L’origine de ce manuscrit est inconnue. Toutefois, une note à la fin indique que le prieur de Saint-Germain a acheté ce livre à Paris pour deux écus. Si on ignore comment il est arrivé à l’abbaye, on comprend la curiosité des moines du Mont pour Hugues de Strasbourg puisqu’il a produit le manuel de théologie scolastique le plus répandu de la fin du Moyen Âge. Dans un style clair, il incarne un courant de pensée visant à concilier la philosophie grecque et l’héritage des Pères de l’Église.

Le problème qui sous-tend ce genre de synthèses touche au rapport de la foi et de la raison. La composition de la bibliothèque montoise témoigne d’un vif intérêt pour ce débat. Ici, le texte est sur deux colonnes d’une quarantaine de lignes, alors que la mise en page demeure assez simple. On relève seulement quelques initiales de couleur rouge et bleue (comme ce V de « Veritatis »), ce qui est attendu pour l’époque de la copie.

Aussi connu sous le nom d’Hugo Ripelin, Hugo Argentinensis (1210-v. 1270) est membre de l’Ordre des frères prêcheurs à Strasbourg. Prieur du couvent à Zurich et dans l’Est de la France, il rédige son ouvrage phare lors des dernières années de sa vie.

Pierre Lombard, Livre des Sentences

Paris, seconde moitié du XIIIe siècle

Recensant plus de 50 auteurs et plus de 200 ouvrages, le contenu de ce manuscrit sert de véritable manuel de base dans les universités du Concile de Latran (1215) au XVIe siècle. Celui-ci connait de nombreux commentaires et exerce une influence sans égale sur la pensée médiévale. Ainsi, pour obtenir le grade de maître et occuper une chaire, tous les futurs théologiens doivent alors s’y confronter.

Un siècle après la rédaction du Libri sententiarum, il n’est donc pas surprenant d’en trouver une copie parisienne puisqu’il est toujours largement d’actualité. Cette page témoigne de l’importance accordée à ce manuscrit, avec une initiale ornée O (« Omnis »). Ici, la présence d’or renforce la valeur du livre et sert à donner une impression de luminosité.

L’auteur, Petrus Lombardus (v. 1100-1160), est originaire du Piémont. Il deviendra évêque à la veille de sa mort et est connu pour son enseignement parisien. Véritable référence, on comprend l’intérêt des religieux pour son approche. Quant à l’histoire de ce livre, une note nous apprend qu’il est acheté pour 8 livres parisis en 1317. Finalement, il est vraisemblablement donné par Jean Hellequin à un moine du Mont.

Origène, Commentaires sur les Psaumes Traduction de Rufin d’Aquilée

fin XIIe siècle

Le style de mise en page et une note suggèrent que ce volume a d’abord appartenu à une abbaye cistercienne, dont le nom est gratté. Acquis par Pierre Le Roy, durant son abbatiat au Mont (1386-1410), ce manuscrit témoigne de l’intérêt des moines pour Origène (v. 185-253). Né à Alexandrie, celui-ci reçoit certainement une double formation : aux sciences de la Grèce Antique et dans le domaine des Écritures. Après des divergences avec l’évêque local, il se réfugie à Césarée Maritime (une cité côtière de la province Syrie-Palestine). Il produit une analyse considérable durant l’ensemble de sa carrière, tant et si bien que la pensée de ce théologien exerce une influence persistante sur l’exégèse.

Ainsi, Origène est pratiquement le premier à commenter quasiment l’intégralité des Ancien et Nouveau Testaments, ce qui en dit long sur l’ampleur du travail fourni. Ses commentaires sur les Psaumes 36 à 38 sont connus par la traduction latine de Rufin d’Aquilée. Ce traducteur d’Origène de la fin du tournant du IVe et du Ve siècle est un contemporain de Jérôme de Stridon, qui a d’ailleurs remis en cause la qualité de ses traductions.

Origène, Homélies

deuxième moitié du XIIe siècle

Grand amateur de livres et abbé du Mont pendant 25 ans, Pierre Le Roy (v. 1350-1411) n’a pas fait seulement l’acquisition de l’ouvrage précédent, mais aussi de celui-ci. Une mention inscrite à l’intérieur de ce volume précise qu’il se l’est procuré pour le placer dans la bibliothèque « à l’usage et au profit de tous les frères ».

Ce manuscrit est composé d’homélies (regroupées par livres de la Bible). C’est-à-dire de discours de circonstance, proclamés durant la messe. Ici, il met en avant le récit de la Genèse, accompagné de commentaires d’Origène.

Dans l’ensemble, ce recueil présente une ornementation assez sobre. On relève quelques initiales qui introduisent les homélies. Elles peuvent être monochromes (rouges, bleues ou vertes), bicolores (rouge et bleue ou rouge et vertes), voire tricolores (rouge, bleu et vert). Sur la page de gauche, on rencontre un titre en majestueuse écriture onciale. Développé sur l’ensemble de la première colonne de gauche, cette mise en page témoigne d’une influence cistercienne (ordre de Cîteaux).

Aristote, Économiques traduction de Nicole Oresme

Nord-ouest de la France, vers 1374

Cette note manuscrite fournit beaucoup d’informations sur l’histoire de ce manuscrit. Il s’agit de la copie revue et corrigée de la main même de Nicole Oresme (v. 1320-1382). Après des études au collège de Navarre, il enseigne à Paris et bénéficie d’une certaine réputation. À tel point qu’il se rapproche du pouvoir et devient le précepteur du futur roi. Nommé par la suite chanoine et doyen du chapitre cathédral de Rouen (1364-1377), il continu son activité auprès de la Couronne.

Alors qu’il est conseiller à la cour du roi, Charles V le charge de traduire des traités d’Aristote. L’ensemble de ce travail considérable semble effectivement réalisé entre 1370 et 1377. À l’issue, il devient finalement évêque de Lisieux jusqu’à son décès. On sait, qu’à ce moment-là, le manuscrit demeure entre les mains des membres de sa famille, avant qu’il soit enfin proposé au Mont le 12 avril 1557.

Comme on peut le constater, la mise en page de l’ouvrage est assez simple. Les initiales en aplat de couleur ou puzzle sont ornées de filigranes (traits fins prolongés dans les marges). Sur deux colonnes, les subdivisions du texte ressortent par l’emploi de paragraphus, aussi appelés pied-de-mouche (¶), de couleur rouge ou bleu.

Pseudo Clément, Reconnaissances

Saint-Laumer de Blois, entre 980 et 1000

Avec une superbe peinture pleine page, ce volume a longtemps été considéré comme le plus ancien manuscrit produit par le scriptorium du Mont. Néanmoins, quelques questionnements sur son origine subsistaient.

Ainsi, on sait qu’il comporte un « vert métallique » qui ne se rencontre que dans un seul autre manuscrit de la bibliothèque, mais qui n’est pas une réalisation montoise. Il s’agit peut-être d’un pigment utilisé pour imiter l’or dans les abbayes du Val de Loire autour de l’an mil. Celui-ci parait désormais vert, en raison de l’oxydation du cuivre, mais la couleur initiale devait ressembler davantage à un jaune doré.

Le scanner de fluorescence des rayons X révèle l’encre dissimulée sous la couche pourpre-marron. Il ressort donc nettement que le donateur de ce manuscrit, Gelduin, n’est pas religieux du Mont. Cette découverte enrichit considérablement nos connaissances sur les débuts de l’atelier du monastère montois et de ses liens étroits avec de grands établissements de la vallée de la Loire.