e Scriptorial
d’Avranches expose dans la salle des manuscrits (appelée aussi salle du Trésor) des volumes précieux issus de la Bibliothèque
patrimoniale d’Avranches. Vous accédez ici à l’exposition virtuelle des ouvrages montois que vous pourrez retrouver au musée. À partir de ces courtes descriptions, vous pouvez également consulter la notice catalographique réalisée
dans le cadre de la Bibliothèque virtuelle du Mont Saint-Michel.
Exposition d'été juillet à septembre 2025 : L’étonnante science du Moyen Âge
’époque médiévale est souvent perçue comme un temps d’immobilisme et d’obscurantisme. Or, il s’agit d’une vision construite durant la Renaissance, alors que cette période de mille ans a connu une intense effervescence scientifique et de nombreuses innovations techniques
Dans les manuscrits du Mont Saint-Michel, les sciences (au sens large) représentent environ 7 % de l’ensemble. On distingue alors les savoirs à travers les arts libéraux. Issus de la théorie antique, trois d’entre eux forment le trivium (la grammaire, la dialectique et la rhétorique). Les quatre autres (l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie et la musique) constituent le quadrivium.
Sententiae diviae paginae
XIIIe siècle
es Sententiae sont l’œuvre d’un auteur inconnu, appartenant à l’école d’Anselme de Laon (†1117). Parmi les maîtres de la première moitié du XIIe siècle, il est l’un des plus célèbres. Il fonde le principal centre d’études théologiques en Occident, qui rayonne alors sur l’ensemble du monde chrétien.
Comme partout ailleurs, son enseignement suit les normes mises en place à la fin de l’Antiquité et repose sur la compréhension des sept arts libéraux. À la fin du dernier chapitre, ces matières sont reprises par un lecteur qui indique les définitions correspondantes dans un tableau synoptique :
grammaire | > | écrire correctement |
dialectique | > | distinguer le vrai du faux |
rhétorique | > | parler avec élégance |
arithmétique | > | compter |
géométrie | > | mesurer les terres |
musique | > | accords des voix |
astronomie | > | des étoiles |
Ce genre de présentations graphiques se rencontre couramment dans les manuscrits. L’objectif est de montrer les idées de manière synthétique, à l’aide de lignes agencées en colonnes.
Martianus Capella, Les noces de Philologie et de Mercure
Mont Saint-Michel, vers 991-1009
éritable « encyclopédie » rédigée par un avocat de Carthage (au début du Ve siècle), cet ouvrage entend transmettre les connaissances à travers un conte philosophique. Ici, le dieu Mercure souhaite épouser Philologie, une vierge capable de contraindre les divinités à satisfaire sa soif d’apprentissage.
Alternant entre sérieux et comique, le récit met en scène l’acquisition des savoirs à travers un cheminement initiatique. Ce parcours peut être symbolisé par un labyrinthe. Composé de 12 cercles concentriques, il dispose d’une entrée surmontée de deux tours. Sa structure correspond à celle que l’on retrouve à la cathédrale de Chartres, mais avec une orientation différente.
De plus, le contenu même du texte est précisé à l’aide de nombreuses gloses et variantes, insérées entre les lignes et dans les marges, par une main contemporaine. Témoignant d’une bonne connaissance des écrits carolingiens, il s’agit de l’un des plus anciens manuscrits de la bibliothèque du Mont Saint-Michel.
Barthélemy l’Anglais, Le livre des propriétés des choses
seconde moitié du XIIIe siècle
’auteur de cet ouvrage est peu connu. On sait qu’il serait né en Grande-Bretagne vers 1200. Une vingtaine d’années plus tard, il passe par Paris pour terminer son apprentissage débuté à Oxford. On perd ensuite sa trace alors qu’il est envoyé en tant que lector en Saxe (direction des études franciscaines). Rédigée dans la première moitié du XIIIe siècle, sa volumineuse œuvre est considérée comme majeure dans la pensée médiévale.
Après la redécouverte des textes grecs par le biais des traductions arabes, on observe un véritable âge d’or de la production de ce type de synthèses méthodiques. L’encyclopédie devient alors le mode de diffusion principal des connaissances. Il n’est donc pas surprenant de trouver au Mont une copie du travail de Bartholomeus Anglicus.
Sur cette page traitant des causes des maladies, les lettres ornées portent d’élégants prolongements de style italien. Dans la partie basse, on rencontre un échassier blanc, tenant en son bec une dorure. En marge, les brèves notes indiquent le sens allégorique et moral des points développés dans le manuscrit.
Art grammatical, Commentaire sur Priscien
France, XIIe siècle
urant le Moyen Âge, l’étude des éléments constitutifs de la langue est perçue comme la base des connaissances. Parmi les « arts humanistes », la grammaire est considérée en tant que nourrice des autres savoirs. L’Ars grammatica est encore jugé comme la référence sur cet enseignement, alors que l’ouvrage a été écrit à Constantinople au début du VIe siècle.
Les livres qui le composent s’intéressent par exemple à la préposition, à l’adverbe, à la conjonction ou – comme sur cette page – aux constructions transitives (un verbe qui nécessite un complément d’objet direct à l’accusatif). Sur de nombreux problèmes linguistiques, le grammairien Priscien propose une version qui sert de base à la formation médiévale. Les divers commentaires notés en marge des différentes copies jouent habituellement un rôle pivot dans la transmission du savoir.
Guillaume d’Auvergne, Rhétorique divine
Mont Saint-Michel, XIVe siècle
econd art du trivium, la rhétorique est mobilisée dans son traité par Guillelmus Alvernus (1190-1249). En deux parties, cet évêque de Paris analyse d’abord la prière à partir du discours de Cicéron, puis développe avec des comparaisons plus symboliques.
Cette science du langage est au cœur de la pensée méthodique durant l’époque médiévale. Un prédicateur aussi remarquable que ce confesseur de Louis IX ne peut négliger cet art qu’il met au quotidien au service de sa doctrine religieuse. Véritable maître de la parole, on lui attribue environ 560 sermons, c’est dire s’il connaît les usages oratoires.
Signe de l’importance que l’on accorde à sa vision, on copie encore ce manuscrit au XIVe siècle. Une magnifique initiale I (« In ») ouvre son texte sur deux colonnes. Celle-ci est dite puzzle puisque composée de deux parties imbriquées, bicolores (rouge et bleu). En marge et tout le long de la page, on observe un prolongement aux motifs fleurdelisés. Afin d’habiller davantage cette page, les moines ajoutent de nombreux traits fins, appelés filigranes.
Alcuin, De la dialectique
Probablement en Bretagne, Xe siècle
a dialectique occupe une place centrale dans l’enseignement depuis le règne de Charlemagn (768-814). Au sein du trivium, il s’agit des règles de la langue latine et d’une initiation à la littérature, qu’un auteur comme Alcuin (v. 735-804) ne peut négliger. Proche du souverain, il est l’un des principaux artisans de la Renaissance carolingienne.
À cette époque, l’autorité royale décide d’un véritable renouveau des études et l’influence d’Alcuinus Flaccus est patente dans cette initiative. L’idée n’est pas à proprement parler « d’inventer l’école », mais de restaurer une formation qu’il convient de généraliser. Ces apprentissages reposent sur un socle commun (lire, écrire, chanter, compter, connaitre la grammaire et la prise de notes).
Installé sur le continent alors qu’il est d’origine anglaise, ce conseiller du monarque consacre un traité à la dialectique. Présenté comme un dialogue entre l’enseignant et le roi Charles, il y recommande de dissocier grammaire et rhétorique en prenant les travaux de Cicéron et de Quintilien pour modèles.
La géométrie
Probablement Mont Saint-Michel, entre 1145-1155
omme le reste du quadrivium, la géométrie est réintroduite en France au XIe siècle. Issue d’un auteur inconnu, cette double page contient une collection de problèmes géométriques. Diverses figures célèbres illustrent le manuscrit et aident à la compréhension.
Cette œuvre unique est sans doute d’origine arabe. Elle témoigne d’une spécificité des manuscrits scientifiques : la mise en page nécessite le recours à des illustrations qui « collent » au texte. Cette démarche contraint à une anticipation dès la copie pour parvenir à un agencement harmonieux.
Isidore de Séville, Le traité de la nature
Mont Saint-Michel, XIe siècle
Jusqu’au XIIe siècle, l’influence de l’évêque de Séville (†636) demeure intense. Au sein du royaume wisigoth, son œuvre est en partie historique, théologique, mais aussi scientifique. Toutes les figures de cette double page sont issues de son célèbre De natura rerum qui fait état d’un « système du monde », tel qu’on se le représente alors.
En haut à gauche, on trouve une roue des cercles du monde. Chaque partie du trèfle à cinq pétales symbolise une zone terrestre habitable ou inhospitalière (deux arctiques, deux tempérées et une équatoriale).
Dans l'espace supérieur droit, c’est le seul diagramme à revêtir habituellement une forme cubique :
Dans la partie inférieure, la roue du microcosme est placée en regard des cubes des éléments, sous le titre central « ANNUS » (l’année). L’idée est d’établir une correspondance géométrique entre le monde, les saisons et les humeurs du corps humain.
Traité de musique
Mont Saint-Michel, XIIe siècle
e recueil composite est une copie partiellement montoise qui semble avoir été volé au lendemain de la Révolution française, comme 65 autres manuscrits médiévaux de l’abbaye. En novembre 2017, ce document
ressurgit dans la perspective d’une vente aux enchères bloquée par l’État.
Il est finalement restitué en mai 2023, ce qui nous permet de le présenter
ici pour la première fois.
Celui-ci contient un Tractatus de musica qui compile divers extraits issus de cinq textes de musique et de versification, à usage scolaire. On y rencontre, par exemple, un manuscrit sur le monocorde et le tétracorde ou encore un traité sur les cymbales. Sur cette double page, les notations alphabétiques recourent aux minuscules et aux lettres capitales. On connaît deux autres traités musicaux dans la bibliothèque du Mont, mais il s’agit plutôt du travail de Boèce (De institutione musica). Et pour cause, entre le VIIIe et le XVe siècle, son approche mathématique de cette science du quadrivium est centrale pour l’enseignement avec plus de 150 copies.
Aristote, Seconds analytiques
XIIIe siècle
partir de la fin du XIIe siècle, les lettrés occidentaux commencent à avoir accès à l’ensemble de l’œuvre d’Aristote. Les traductions du grec réalisées par les Arabes offrent des perspectives nouvelles pour le Mont qui devient un pôle de conservation et de diffusion de la pensée du philosophe. Ainsi, la bibliothèque montoise dispose de neuf volumes contenant 31 copies
de ses travaux, dont certaines des plus anciennes.
Or, ce penseur propose une approche basée sur la méthode et la logique. Par bien des aspects, la possession d’une grande partie de ses œuvres témoigne d’une certaine curiosité scientifique, alors que les abbayes bénédictines lui préfèrent d’autres penseurs plus « compatibles » avec le catholicisme.
Le Liber posteriorum analeticorum est un ensemble de traités dédiés à la logique. Il y présente la démonstration comme un système déductif : « on cherche quatre choses : le fait, le pourquoi, si c’est et ce que c’est ». Cette page montre qu’un ouvrage tel que celui-ci nécessite souvent une médiation. Ici, en marge et entre les lignes, les commentaires officiels (c’est-à-dire la glose) sont agencés de manière discontinue.
Aristote, De la Génération et de la corruption
XIIe siècle
arfois méprisé, ce traité est longtemps resté à l’écart dans l’œuvre physique d’Aristote. Il y déploie une équation d’une grande évidence, mais qui ne cesse d’effrayer : qui vit est également condamné à mort. Si on considère désormais que les conceptions qu’il y développe n’ont plus de pertinence scientifique, il demeure intéressant de comprendre les arguments mobilisés par le penseur grec. Il y tisse un lien entre physique et biologie et entre philosophie et médecine contre les théories qu’il critique.
La traduction et les commentaires de cet exemplaire sont attribués au juge Burgondio de Pise (†1193). Dans ce cas, on sait qu’il s’est basé sur un modèle grec unique (Laurientianus, 87.7). Ce traducteur a également travaillé sur l’Éthique à Nicomaque et, comme de nombreux lettrés en Méditerranée, il a participé à la réelle renaissance du XIIe siècle.
Constantin l’Africain, Tout l’Art
XIIIe siècle
ravail le plus célèbre du moine Constantin l’Africain (1020-1087), le Liber Pantegni est en fait la traduction « remaniée » de l’ouvrage d’Alī Ibn-al-ʿAbbās al-Maǧūsī (930-994). S’il reste assez méconnu, ce médecin persan n’est pas choisi comme modèle au hasard. Ce savant est l’un des plus grands auteurs d’encyclopédies médicales.
Par ailleurs, si on prête de nombreux voyages et des compétences linguistiques étendues à Constantinus Africanus, les recherches récentes appellent à la prudence quant à son parcours. Toujours est-il que sa capacité à s’attribuer les travaux des autres est critiquée dès son décès. Ce qui invite nécessairement à réévaluer l’apport réel de la science arabe dans le monde médiéval.
La première partie de l’ouvrage concerne la théorie médicale, alors que la seconde s’attache à la pratique (inachevée). S’il existe déjà de nombreux écrits latins à ce sujet lors de sa création, le Pantegni est certainement le premier à rassembler un large éventail en matière d’anatomie, de physiologie ou de thérapeutique.