Bibliothèque virtuelle
duMont Saint-Michel

Expositions temporaires

Le Scriptorial d’Avranches expose dans la salle des manuscrits (appelée aussi salle du Trésor) des volumes précieux issus de la Bibliothèque patrimoniale d’Avranches. Vous accédez ici à l’exposition virtuelle des ouvrages montois que vous pourrez retrouver au musée. À partir de ces courtes descriptions, vous pouvez également consulter la notice catalographique réalisée dans le cadre de la Bibliothèque virtuelle du Mont Saint-Michel.

Exposition d'été juillet à septembre 2024 : Le droit entre les lignes

E n Normandie, l’étude juridique occupe une place à part. C’est la raison pour laquelle les bibliothèques médiévales intègrent de nombreux manuscrits de droit civil ou canonique (droit de l’Église). Sous l'impulsion des abbés Bernard du Bec (1133- 1149) et Robert de Torigni (1154-1186), l'abbaye du Mont participe activement à la mise en place d'une véritable culture juridique. Cela se traduit bientôt par l'entrée de nombreux livres de droit dans la bibliothèque montoise, entre la seconde moitié du XIIe et le XIVe siècle

Les manuscrits de ce type ne sont qu’une partie limitée des fonds monastiques, mais ils retiennent l’attention. Ces livres ont comme point commun de ne pas être produits dans le scriptorium montois. Pour l’essentiel, ils font l’objet d’acquisitions. De plus, ces ouvrages présentent souvent de magnifiques mises en page.

Avec la relecture scientifique de Laura Viaut, membre de l’Institut Universitaire de France, qui a soutenu sa thèse en 2018 sur les mécanismes de gestion des conflits dans l’espace aquitain au haut Moyen Âge. Depuis, elle multiplie les manuels d’histoire du droit et les ouvrages sur la culture juridique, en abordant des thèmes comme l’aveu en justice, la médiation familiale ou, encore, les cartulaires.


Code Justinien (extraits)

début du XIIIe siècle

Utilisés en pages de garde d’une reliure, ces extraits du Code Justinien sont à usage d’étudiants, à une époque où les moines se forment à Paris. Ainsi, on constate que ce volume écrit à longues lignes est muni de nombreux commentaires dans les marges. À droite, une tête stylisée est ajoutée, peut-être comme moyen mnémotechnique (aide-mémoire). L'idée est de pouvoir retrouver aisément un passage du texte.

Promulgué par l’empereur romain d’Orient Justinien en 534, le Corpus juris civilis est une vaste réunion de législation et d’analyses de spécialistes. L’objectif est alors de fixer le droit de Rome. Au Moyen Âge, ce texte fondateur du droit est généralement accompagné d’une glose (ici, des commentaires composés par des docteurs d’Italie du XIIe et du XIIIe siècle). Cet ensemble, en construction lors de la copie de ce manuscrit, forme déjà une production conséquente, mais amenée à s’enrichir encore avec le temps.

Azon, Somme sur le Code Justinien

fin du XIIIe siècle

Parmi les commentateurs du Code Justinien, le jurisconsulte de Bologne Azon (†1220) est certainement le plus connu. Il achève son traité vers 1210 et ses gloses forment l’un des manuels de droit les plus diffusés jusqu’à la fin du Moyen Âge. On rencontre seulement deux Summae d’Azo dans les manuscrits de la bibliothèque du Mont Saint-Michel.

Ici, la présentation est assez classique pour un manuscrit de droit. Sur deux colonnes, le texte débute par une initiale « puzzle ». Dans le sens où le corps de la lettre est découpé en deux parties qui s’emboitent. L’ensemble est orné par des éléments filiformes tracés avec une plume finement taillée.

De couleur rouge ou bleu, le paragraphus est aussi appelé pied-de-mouche (¶). Il sert à indiquer les subdivisions du texte.

Justinien, Institutes

Probablement du sud de la France, seconde moitié XIIIe siècle

La mise en page de ce manuel de droit destiné aux étudiants suggère une production du sud de la France. Le texte officiel est placé sur deux colonnes centrales étroites. Les commentaires encadrent l’ensemble dans les marges et entre les lignes. À titre d’exemple, la première glose en haut à gauche (« In nomine domini nostri Ihesu Christi... ») vise la séquence initiale de la rubrique.

Rédigée avec une encre de couleur rouge, la rubrique constitue la salutatio de la missive impériale (préface aux Institutes de Justinien). Sur cette page, l’initiale historiée montre un pendu et un homme désignant le texte. L’objectif est de pointer du doigt l’importance d’un passage particulier, au même titre que la manicule que l’on trouve sur la page de droite.

Publiées à Constantinople le 21 novembre 533, les Institutes sont composées sur l’ordre de l’empereur Justinien. Celles-ci ont une double fonction : à la fois pédagogique et ayant valeur de loi. Ainsi, il s’agit du manuel élémentaire d’enseignement du droit pour les étudiants des deux principales écoles de droit dans l’Empire romain. De plus, avec le Digeste et le Code, les Institutes forment l’essentiel du corpus de droit civil jusqu’à la fin du XVIe siècle.

Digeste vieux (avec glose)

XIIIe siècle

Le Digestum est la partie la plus ambitieuse du Corpus juris civilis (corpus de droit civil). Ordonné en cinquante livres, il est transmis en trois volumes dès le XIIe siècle : le Digestum Vetus, l’Infortiatum et le Digestum novum. Difficile à établir, le Digeste ne se base pas sur un ouvrage préexistant, mais propose un recueil de décisions prises par le passé.

Ainsi, on recense une masse documentaire énorme pour uniformiser le droit, selon « un plan méthodique ». Rédigé au VIe siècle, le monumental ouvrage est bien plus adapté à l’apprentissage qu’à la pratique. Il met plus de cinq siècles pour s’imposer comme la source juridique de référence.

À ce texte central sur deux colonnes, on ajoute de nombreux commentaires (appelés gloses). On estime même que ces analyses ultérieures sont plus importantes que l'écrit initial, dans l’enseignement du droit. Visant à éclairer la loi, les juristes considèrent que ces compléments marginaux sont davantage source de « vérité ».

Digeste neuf (avec glose)

XIVe siècle

Copier un volume du Digestum novum prend près d’une année et le prix d’un tel ouvrage n’est pas à la portée de simples élèves. Ils servent donc principalement à la lecture. C’est d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit d’un « beau livre » de droit comme celui-ci.

Ces riches manuscrits – destinés à être montrés – témoignent de l’expansion des professions juridiques à partir du XIIIe siècle. En rapport direct avec le texte, la miniature suggère le thème de la « Dénonciation de nouvel œuvre » qui ouvre le Digeste (livre XXXIX). Quiconque se sent lésé par la construction d’un bâtiment sur une terre dont il est possesseur peut faire interrompre les travaux dans l’attente d’une décision judiciaire. Comme on le voit, le juge brandit alors la verge de justice, pour intimer aux maçons l’ordre de suspendre le chantier.

Particulièrement codifié, la mise en page des manuscrits de droit doit être analysée avec précision. Dans le corps du texte central, la miniature sert à marquer le début de l’ouvrage. Alors que l’initiale bleue et rouge H (« Hoc ») fait ressortir une subdivision importante. L’ornement s’aventure dans les marges, comme souvent dans les livres de cette époque.

Vacarius, Livre du pauvre

XIIIe siècle

Cette collection de fragments du Code de Justinien est l’œuvre de Vacarius, vers l’année 1149. Né en Lombardie et ayant étudié le droit à Bologne, il bénéficie d’un grand crédit dans l’Angleterre de la seconde moitié du XIIe siècle. Ainsi, ce religieux est à l’origine du début de l’enseignement du droit civil à Oxford.

En marges, la glose principale de ce manuscrit est, en partie, constituée d’extraits supplémentaires du Code et du Digeste de Justinien. Ces remarques viennent s’ajouter au Liber pauperum, qui n’est qu’un abrégé du droit romain. Les compléments d’un maître sur un même texte tendent à se fixer et à être copiées directement avec l’ouvrage initial par habitude.

À la suite de cet apparat de gloses se surajoutent des commentaires de lecteurs qui peuvent être d’une ampleur considérable. Au Moyen Âge, il n’est donc pas rare d’utiliser un manuscrit contenant déjà des annotations. C’est à travers cet empilement de différentes couches d'explications que l’on peut cerner les enseignements successifs d’un texte.

Décrétales de Grégoire IX

XIIIe siècle

Au Mont, il n’est pas surprenant de trouver encore peu de livres de droits au XIIe siècle. Les moines se rattrapent par la suite, en quelques décennies seulement. Comme Jumiège ou Saint-Évroult, ils comptent progressivement un nombre respectable de manuscrits juridiques, dont une partie servent à l’enseignement. Néanmoins, les abbayes normandes demeurent loin des grandes bibliothèques spécialisées

Les papes s’affirment comme législateurs (producteurs de lois), alors que les recueils existant se révèlent très rapidement insuffisants. Ainsi, une confusion certaine s’installe peu à peu dans l’application du droit et Grégoire IX décide de reprendre l’ancienne méthode de Justinien pour remettre à plat l’édifice juridique.

En 1230, il confie à Raymond de Peñafort la mission de rassembler en un seul ouvrage l’ensemble des décrétales (lettres des souverains pontifes qui répondent à une question précise). Si l’idée est de fixer le droit, la promulgation de cette collection de jurisprudence n’empêche pas les papes qui lui succèdent de continuer de produire de nombreux textes, ce qui provoque de nouvelles contradictions.

Décrétales de Grégoire IX

XIVe siècle

Copié par Robert Roussel de Saint-James, il s’agit également du même ouvrage que celui qui précède. Il est surprenant qu’une note n’attribue la réalisation de ce manuscrit qu’à un seul moine puisque, dès la fin du XIIe siècle, le temps des scriptoria monastiques est révolu.

Se met en place, progressivement, la technique de la pecia qui permet la réplique depuis un exemplaire distribué par fragments à plusieurs copistes en même temps. Développé dans les grands centres universitaires, le procédé a pu rester marginal dans les monastères non spécialisés où on reproduit encore en fonction des besoins.

Promulgué en 1234, le recueil de décrétales est certainement le plus répandu. Celui-ci est considéré comme l’une des bases du droit médiéval. Ce volume renferme les cinq livres et est dépourvu de glose. Il comporte uniquement des annotations fournies. Le décor soigné reste sobre, on trouve quelques initiales rouge et bleue, dont certaines plus travaillées (à l’image des trois puzzles filigranés de cette page).

Boniface VIII, Sexte

XIVe siècle

Le titre Liber sextus Decretalium (signifiant littéralement « le sixième livre des décrétales ») fait référence aux cinq premiers ouvrages publiés par Grégoire IX en 1232. Promulgué le 3 mars 1299 par le pape Boniface VIII, cet ouvrage complémentaire est connu sous le nom abrégé de Sexte. Il s’agit d’une compilation de droit canon réalisée par des juristes de l’Université de Bologne. Ici, l'exemplaire contient une glose discontinue interlinéaire et marginale. De sorte que les copistes se sont livrés à un véritable jeu de structure, autour de colonnes de commentaires. Ainsi, les volumes juridiques s'articulent avec une succession d'éléments : marge médiane séparant les colonnes, marges latérales détachant les gloses, etc. La combinaison de l’ensemble peut donner lieu à des mises en pages très savantes.

Sur cette double page, on rencontre une particularité des manuscrits de droit. Grâce à des changements de longueurs de lignes, les copistes tracent des triangles pour mettre en valeur la glose encadrante. Dans certains espaces blancs qui restent, de petites notes sont ajoutées ultérieurement, afin de corriger ou d’expliquer un point ou un autre.

Tancrède de Bologne, Somme sur le mariage

première moitié du XIIIe siècle

Tancredus Bononiensis (v. 1185-v. 1236) est un prédicateur dominicain, spécialiste de droit canon (le droit de l’Église). Professeur à Bologne en Italie, il est l’auteur de ce Summa de matrimonia, témoignant des prescriptions religieuses autour du mariage. Sur cette double page, il fait le point sur les empêchements absolus à une union.

Afin de rendre facilement compréhensibles les problématiques souvent complexes de droit, de nombreux manuscrits proposent des tableaux et des schémas. Sur la page de gauche, on rencontre un arbre de consanguinité. Il permet de calculer la parenté à partir du centre de la flèche (le médaillon avec le visage).

Sur la page de droite, on trouve un arbre d’affinité. Il reprend le vocabulaire du premier, en y insérant les degrés d’empêchements (primus, secundus, tertius et quartus).

Clémentines (avec gloses)

XIVe siècle

La rubrication rédigée à l’encre rouge (« Incipiunt constitutiones Clementis pape quinti de summa trinitate ») sert à apporter de l’intensité au manuscrit. L’idée est de marquer visuellement les différentes sections d’un manuscrit. Dans le cas présent, l’objectif est de souligner l’incipit, c’est-à-dire les premiers mots d’un texte.

Ceux-ci soulignent ici qu’on a affaire aux constitutiones Clementis, surnommées les clémentines. Ce recueil réunit les décrétales du pape Clément V, mais est publié seulement en 1322 par son successeur. Un exemplaire de l’ouvrage est alors envoyé aux universités, ce qui consacre sa valeur légale jusqu’en 1917.

C’est la quatrième et dernière grande compilation officielle du Corpus. La mise en page est très simple, avec le texte des cinq livres copié sur deux colonnes. Celui-ci intègre directement la glose. Pour agencer la page, on rencontre seulement quelques initiales de couleur rouge et bleue, dont certaines sont plus travaillées que d’autres.

Cartulaire du Mont Saint-Michel

Mont Saint-Michel, XIIe siècle

Selon la loi du genre, un cartulaire organise et recense les titres de propriétés et les rentes concernant un monastère. Il s’agit donc d’un recueil d’actes ayant une valeur juridique et permettant de faire valoir des droits.

Sous un dais porté par deux colonnes, Gonnor est dépeinte (il s’agit de la veuve du duc de Normandie Richard Ier). C’est donc l’une des rares représentation médiévale d’une femme de pouvoir dans l’exercices de ses fonctions. Cette scène illustre une procédure de 1015, lorsqu’elle réalise une donation de terres au Mont. Ce dessin est de nature à surprendre. C’est le seul du volume à n’occuper que les trois quarts inférieurs d’une page.

Assise sur un siège d’apparat et accompagnée de témoins, la noble dame est de face et dépasse les autres personnages, ce qui montre son importance. Elle remet une grande charte à l’abbé Hildebert Ier du Mont Saint-Michel (1009-1017). Celui-ci est représenté à droite avec sa crosse. La communauté des moines est symbolisée par les trois religieux qui se tiennent derrière lui. L’écrit solennel occupe une place centrale dans la scène puisque c’est sa raison d’être.