e Scriptorial
d’Avranches expose dans la salle des manuscrits (appelée aussi salle du Trésor) des volumes précieux issus de la Bibliothèque
patrimoniale d’Avranches. Vous accédez ici à l’exposition virtuelle des ouvrages montois que vous pourrez retrouver au musée. À partir de ces courtes descriptions, vous pouvez également consulter la notice catalographique réalisée
dans le cadre de la Bibliothèque virtuelle du Mont Saint-Michel.
Exposition de printemps d'avril à juin 2025 : L’année 1204 : rupture et reconstruction au Mont
e début du XIIIe siècle marque une profonde rupture pour le rocher au péril de la mer. Alors que la Normandie est en passe d’être rattachée au domaine royal capétien, le Mont subit l’assaut de la noblesse bretonne et poitevine. Les troupes menées par Guy de Thouars massacrent, incendient le village et le feu se communique alors à l’abbaye.
Coup sur coup, ces deux évènements de l’année 1204 provoquent le déclin de l’atelier de copie du Mont. Par ailleurs, à partir du XIIIe siècle, la copie des manuscrits se laïcise, elle est désormais l’œuvre des ateliers qui s’installent près des universités.
Dès lors, on peine donc à trouver une œuvre majeure produite et décorée au Mont. La reconstruction est difficile et les livres qui entrent dans la bibliothèque sont – pour l’essentiel – apportés par les moines de l’extérieur.
Avec la relecture scientifique d'Henry Decaëns, historien et guide-conférencier de l’abbaye durant de nombreuses années. Il est l’auteur de plusieurs livres et articles sur le Mont Saint-Michel.
Augustin, Les Commentaires des Psaumes
Mont Saint-Michel, v. 980-1000
atant de la fin du Xe siècle, ce manuscrit est certainement l’un des plus anciens copié au Mont. Il porte une lettre ornée B (« Brevis ») dans l’espace laissé libre par le moine copiste. Les végétaux et les têtes animales au tracé simple et sans relief sont inspirés du style carolingien et franco-saxon.
Ce volume contient une quinzaine d’homélies sur les 250 du Enarrationes in Psalmos. Il s’agit d’une œuvre de saint Augustin (354-430) qui forme le premier commentaire complet du psautier. Celle-ci a d’autant plus marqué les esprits que l’ouvrage prend souvent la forme de prédications très vivantes et incarnées.
Ces discours prononcés durant la messe par l’évêque d’Hippone au cours de sa carrière concernent des thèmes variés. De plus, nombre de ces commentaires ont été tenus dans des lieux différents, dont une partie à Carthage.
Grégoire, Morales sur Job
Mont Saint-Michel, v. 991-1009
eprésentant du premier âge d’or du Mont, ce manuscrit est le témoin d’une époque durant laquelle on ne sait quel espace de l’abbaye servait à l’activité quotidienne de copie. Aux environs de l’an Mil, on connaît
seulement le nom de quelques moines copistes, dont Hervard qui a travaillé sur cet ouvrage.
Ici, il se penche sur une œuvre célèbre que Grégoire le Grand (v. 540-604) rédige alors qu’il vient d’être ordonné diacre. Il est alors envoyé à Constantinople comme représentant du pape entre 579 et 585. Comprenant les quinze premiers livres, le volume marque chaque changement par une lettre ornée.
Si certaines d’entre elles sont simples, la lettre Q (« Quia ») ouvrant le livre XV mérite une certaine attention. On y voit deux oiseaux – probablement des aigles – qui écartèlent un lion vomissant. Le travail du moine dévoile également des entrelacs et des feuilles d’acanthe stylisés. Réalisé en camaïeu de gris appelé grisaille, l’ensemble offre des nuances qui marquent les ombres.
Haymon d’Auxerre, Commentaire sur les Épîtres de saint Paul
Mont Saint-Michel, 1015-1035
a copie de ce manuscrit est également en partie l’œuvre du moine Hervardus dans le premier tiers du XIe siècle. Ce manuscrit s’ouvre sur une lettre ornée de style carolingien, tracée à la plume, mais rehaussée à l'encre brune et rouge-orangé (minium). Sur la page de gauche, l’encadrement témoigne d’une influence anglo-saxonne précoce dans l’enluminure normande.
Dans la partie supérieure, on reconnaît un Christ bénissant. Tenant les Écritures, il est identifiable en raison du nimbe cruciforme soulignant sa sainteté acquise. Dans ce cas, il est dit pantocrator, c’est-à-dire représenté comme tout-puissant. Les autres médaillons sont plus difficiles à identifier puisqu’ils semblent inachevés et assez effacés.
L’auteur ici copié est Haimo Autissiodorensis qui est actif de 830 à 860. Lors de la renaissance carolingienne, ce moine a produit de nombreux commentaires connus. De manière surprenante, il n’y laisse jamais de dédicaces ou de références à lui-même, sans doute parce qu’il vit alors en retrait du monde.
Pseudo Jérôme, Questions hébraïques sur le livre des Paralipomènes
Mont Saint-Michel, seconde moitié du XIIe siècle
partir de 1154, l’élection en tant qu’abbé de Robert de Torigini (1106-1186) ouvre la voie à un second âge d’or du Mont. Ce personnage marquant, entre d’abord au monastère du Bec en 1128, où il devient prieur vers 1149. Dès lors qu'il prend la tête de l’abbaye du Mont, il lance d’importants travaux, comme l’édification des deux tours occidentales et du bâtiment sud. Néanmoins, il ne délaisse pas l’activité de l’atelier d’écriture au quotidien.
Ici, sur la page de droite, il ajoute de sa propre main le terme « accepit » en interligne (dans le sens d’accepter, de recevoir, d’agréer). L’abbé ajoute d’ailleurs plusieurs commentaires dans ce recueil d’œuvres, pour l’essentiel attribuées à Jérôme de Stridon (v. 347-420). Traducteur en latin des quatre Évangiles depuis les manuscrits grecs et hébreux, ce Père de l’Église propose de nombreuses analyses. On lui attribue divers textes longtemps classés ensemble. Toutefois, des études plus récentes permettent d’identifier d’autres auteurs pour une partie des multiples travaux qu’on a pu lui attribuer.
Hugues de Saint-Victor, Exposition sur la Hiérarchie céleste du Pseudo-Denys
Mont Saint-Michel, v. 1154-1175
econde œuvre de Hugo de Sancto Victore (1096-1141) par sa taille, ce commentaire a permis de faire émerger le Pseudo-Denys l’Aréopagite en tant que penseur majeur. Ce moine syrien du VIe siècle était déjà considéré comme prestigieux, mais demeurait peu lu. L’analyse qu’en fait Hugues de Saint-Victor, né en Saxe à la fin du XIe siècle, n’est pas anodine. Il était certainement l’un des intellectuels les plus influents de son siècle, connu en particulier pour ses activités d’enseignement.
On trouve ce commentaire – sans doute partiellement inachevé – de la Hiérarchie céleste à travers au moins 119 manuscrits conservés dans différentes bibliothèques. Comme souvent organisée en dix livres, la copie montoise offre simplement quelques initiales filigranées. C’est-à-dire qu’elles sont composées d’un corps de lettre d’une seule couleur, agrémentée d’un décor structuré par un jeu de filaments d’une couleur opposée.
Cantique des Cantiques (avec glose)
Probablement du Mont Saint-Michel, seconde moitié du XIIe siècle
e manuscrit propose un commentaire de ce livre de la Bible qui prend la forme d’une suite de poèmes. À la page précédente, le prologue reprend l’argumentaire de Raban Maur (v. 780-856), alors que la glose de cette page alterne diverses références bibliques. On y rencontre également, par exemple, des extraits du commentaire réalisé en son temps par Isidore de Séville (v. 570-636).
L’ensemble se présente donc comme une synthèse de différentes analyses de fond et commentaires de vocabulaire insérés entre les lignes. Ces différents éléments sont ajoutés avec une écriture de petit module. Alors que la lettre ornée O (« Osculetur ») introduit le texte biblique en écriture de grande taille.
Aux couleurs rouge et vertes, cette initiale est assez représentative du style des manuscrits montois durant l’abbatiat de Robert de Torigni. À cette époque les pieds-de-mouche ou paragraphus (¶) sont encore tracés à l’encre noire.
Stephan Langton, Glose de l’Ancien Testament
production inconnue, début du XIIIe siècle
n 1204 le rattachement de la Normandie au domaine royal capétien entraîne le déclin du scriptorium montois et des autres scriptoria monastiques normands. Du XIIIe au XVe siècles, on compte seulement dix manuscrits produits localement. Les autres le sont certainement en dehors du Mont ou, comme c’est le cas de celui-ci, ils n’offrent aucun indice sur leur origine.
Ce volume contient le commentaire de l’Ancien Testament réalisé par l’archevêque de Canterbury Stephanus de Languetonia (v. 1150-1228). Né dans le Lincolnshire, il étudie la théologie à Paris, où il devient lui-même professeur en 1180. Jusqu’en 1213, les six premières années de sa nomination en tant que cardinal-prêtre sont conflictuelles et il est contraint à l’exil dans le royaume de France.
Comme on le voit sur la page de gauche, le défi logistique que représente l’Arche de Noé est une préoccupation majeure. Les deux schémas montrent les espaces fonctionnels et ceux dévolus aux animaux. Le religieux y établit une distinction pratique entre mitia animalia et inimitia animalia. On envisage donc de séparer les animaux domestiques de ceux pouvant être hostiles et sauvages.
Aristote, Seconds Analytiques
production inconnue, av. 1260
robablement réalisé en dehors du Mont, ce manuscrit comprend quelques grandes initiales rouge et bleu sur fond d’or. Ce manuscrit comprend quelques grandes initiales rouge et bleu sur fond d’or. Celles-ci sont parfois ornées d’entrelacs hybrides zoomorphes. Quoi que, sur cette page pour cette lettrine O (« Omnis »), on ne remarque que la présence d’un masque léonin qui rappelle la tête d’un lion.
Surchargé de notes qui témoignent de lectures multiples, cet ouvrage comprend les Secondes Analytiques d’Aristote. Il y expose ce qu’il appelle la « science démonstrative », une forme de base de l’analyse rationnelle. Par exemple, il évoque qu’on « cherche quatre choses : le fait, le pourquoi, si c'est et ce que c'est » (II, 1, 89 b 24).
En se procurant une copie de cet ouvrage du philosophe grec de l’Antiquité, les moines du Mont témoignent d’une culture et d’une curiosité certaine. Cela s’inscrit aussi dans un mouvement plus large. Ainsi, depuis le milieu du XIIe siècle, ses travaux sont massivement redécouverts et copiés à travers l’Europe médiévale.
Grégoire Ier, Règle pastorale
production inconnue, XIIIe siècle
a bibliothèque du Mont est avant tout constituée d’ouvrages d’érudition. Par conséquent, nombre d’entre eux n’ont pas de décor ou sont particulièrement sobres. Ici, on relève essentiellement quelques initiales de couleur rouge, alors que la page de gauche est particulièrement épurée puisqu’elle contient la table des chapitres.
La Règle pastorale a exercé une immense influence, comme en témoignent les nombreuses copies (plus de 500 manuscrits connus). Rédigée par le pape Grégoire Ier entre 590 et 591, cette règle s’inscrit dans une période trouble en Italie (invasion des Goths et des Lombards, épidémies, etc.).
Cet ouvrage destiné aux évêques a pour objectif de rappeler la fonction du pasteur (celui qui dirige). On insiste sur l’instruction aux fidèles, la distribution des sacrements, mais également sur l’assistance aux pauvres. Le pape offre donc un canevas clair soulignant ses exigences. Le livre connaît un tel succès qu’il ne sert, finalement, pas qu’aux religieux, mais aussi aux souverains et aux administrateurs.
Raban Maur, Exposition sur le livre des Maccabées
Mont Saint-Michel, XIIIe siècle
’ils sont largement minoritaires, certains manuscrits de cette période demeurent produits au Mont. C’est le cas de ce commentaire biblique qui offre un décor classique pour l’époque. Ainsi, en moins d’un siècle, l’initiale puzzle à filigranes s’est imposée comme le décor type à travers l’ensemble du royaume de France.
La lettrine découpée et peinte en deux couleurs constitue la première place dans la hiérarchie du décor à l’encre. Par ailleurs, sur le reste de la page, on observe de simples initiales qui marquent les sous-parties.
Hrabanus Maurus (776-856) est abbé à Fulda, une abbaye allemande dans laquelle il s’est formé à la grammaire et à la rhétorique. Il y a lui-même enseigné, avant d’être élu archevêque de Mayence en 847. Celui-ci est à l’origine de nombreux commentaires de la Bible, ainsi qu’une encyclopédie, diverses poésies et des écrits sur la musique.
Thomas d’Aquin, Contre ceux qui combattent le culte de Dieu et la religion
Mont Saint-Michel, 1386-1411
a Grande Peste (1346-1353) et la guerre de Cent Ans (1337-1453) ne permettent pas à l’abbaye du Mont Saint-Michel de redresser l’activité de son atelier de copie. Toutefois, les moines ne peuvent se passer de posséder au moins un ouvrage de Thomas d’Aquin (v. 1225-1274). Alors qu’il vient d’être canonisé en 1323, il est connu pour avoir essayé de concilier foi et raison dans ses écrits.
Le dominicain Thomas d’Aquin a littéralement marqué de son empreinte le XIIIe siècle. Rapidement, sa pensée émerge grâce à la rédaction de milliers d’articles et ouvrages. Il laisse derrière lui un héritage intellectuel considérable, mais ses idées sur certains sujets mettent du temps à être adoptées. C’est le cas, notamment, de son attachement aux idées d’Aristote, alors que certains penseurs le considèrent comme incompatible avec la religion chrétienne.
Ici copié, le Liber contra impugnantes Dei cultum et religionem renvoi à une controverse dans laquelle Thomas Aquinas s’est engagé en 1256. Alors qu’il vient de devenir maître régent à l’Université de Paris, il y défend la place de son ordre religieux dans l’Église et décrit son adversaire comme « réactionnaire ».
Jean de Hesdin, Commentaires des épîtres de saint Paul
1391
la fin du XIVe siècle, l’abbé Pierre Le Roy fait réaliser cette superbe copie d’une œuvre de Jean de Hesdin (1320-1412). Il en fait ensuite don à la bibliothèque du monastère. Docteur en théologie renommé à la Sorbonne, Jean de Hesdin est un religieux de l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean. Il est connu pour être l’auteur de commentaires imposants sur différents livres de la Bible.
La transcription est confiée au bachelier Jean Cachelart, qui collabore avec un artisan pour entreprendre ce décor à feuillages et au dragon. Cette première page soignée témoigne donc du savoir-faire des ateliers laïcs qui se développent à partir du XIIIe siècle. Ici, on remarque en particulier l’initiale E (« Erudi ») sur fond d’or. Le style et le décor à feuilles trilobées se rencontrent surtout à partir du début du XIVe siècle et connaissent ensuite un grand succès dans les manuscrits de luxe.