Bibliothèque virtuelle
duMont Saint-Michel

Exposition d’automne octobre décembre 2021 : Tout l’or du Mont

Chargé de sens en raison de son coût et de sa brillance, l’or sert généralement à valoriser un attribut symbolique qui peut être religieux ou profane (auréole, glaive, fleur de lys, etc.).

L’usage de ce métal précieux dans les manuscrits médiévaux témoigne des acquis techniques, des compétences et de l’expérience des enlumineurs. L’emploi de ce produit de luxe inaltérable connaît de nombreuses applications et évolutions.

Jusqu’au XIVe siècle, les artisans spécialisés exercent leur art en lien étroit avec les orfèvres, avant de se distinguer progressivement. En parallèle, alors que le métal noble est longtemps associé au pigment jaune, la sensibilité rapproche l’or d’un blanc intense, source de lumière.

Avec la participation de Noëmie Barbereau, enlumineur professionnelle, enseignante en dorure médiévale et directrice administrative de l’Institut Supérieur Européen de l’Enluminure et du Manuscrit (iseem).

Cartulaire du Mont Saint-Michel

Mont Saint-Michel, v. 1150

Un cartulaire réunit et organise une sélection des actes juridiques les plus importants d’un établissement. Rédigé par un clerc de la baie, celui-ci débute par plusieurs récits historiques, dont la Revelatio. Ce texte important est la source unique de tous les écrits sur la fondation légendaire du Mont par l’évêque d’Avranches Aubert, en 708.

Dessinée à la plume, cette illustration est l’une des quatre du cartulaire. La présence de feuilles d’or, certainement posées sur une sous-couche de glaire d’œuf (blanc d’œuf non cuit), démontre qu’il s’agit de l’une des premières étapes du travail d’enluminure. Les pigments de couleurs doivent, ensuite, parachever ce dessin pleine page.

La scène se déroule entre les murs d’Avranches, alors que l’archange apparaît pour la troisième fois à l’évêque et lui imprime sur le front la marque de son doigt pour lui prouver que ce n’est pas un songe. La présence de ce discret fond d’or rend ce document unique.

Collectaire de l’abbaye du Mont Saint-Michel

Mont Saint-Michel, ap. 1450

Comme dans le cas du cartulaire, l’or est le plus souvent posé directement sur le parchemin, avec une assiette à dorer. Cette sous-couche, parfois de couleur rosâtre, donne un aspect bombé lorsqu’il s’agit de gesso (signifiant « gypse » ou « plâtre »).

Cette double page propose de grandes initiales filigranées, de couleurs rouge et bleue. On distingue nettement les différentes couches, relativement abîmées par endroits (voire volontairement grattées). La surface de l’assiette (posée au pinceau), polie, doit être aussi lisse que possible, car tout défaut ressort lorsque la feuille d’or est fixée dessus.

Production tardive du Mont, ces lettrines sont relativement classiques pour le XVe siècle. L’or permet de souligner l’importance de ce recueil de prières qui sert pour la célébration du sacrement de l’Eucharistie pendant la messe.

Jean de Hesdin, Commentaires des épîtres de saint Paul

Mont Saint-Michel, 1391

A la fin du XIVe siècle, l’abbé Pierre Le Roy ordonne la réalisation de cette superbe copie d’une œuvre de Jean de Hesdin (1320-1412) et en fait don à la bibliothèque du monastère. La transcription est confiée au bachelier Jean Cachelart, qui collabore avec un artisan pour entreprendre ce décor à feuillages et au dragon.

Sur cette première page soignée, on remarque en particulier l’initiale C sur fond d’or. Ici, l’assiette présente une teinte plus sombre. Il est difficile d’en connaître la raison puisque les techniques utilisées pour l’assiette sont perdues. Si on sait que les produits de base sont le gypse et les colles de peau ou de poisson, peut-être ont-ils également utilisé un pigment rouge (ocre ou bol d’Arménie).

C’est un indice important pour le contexte de fabrication de ce manuscrit puisque certains historiens considèrent qu’il est possible de déterminer la provenance géographique en fonction des différentes utilisations de pigments.

Ancien Testament (Genèse)

Mont Saint-Michel, v. 1230

Bien que l’enluminure du feuillet de droite, représentant dix scènes de la Genèse (de la Création à la chute d'Adam et Ève), soit assez remarquable, ce n’est pas sur elle que notre attention se focalise. Observez plutôt l’enluminure que l’on distingue en transparence sur la page de gauche.

Afin de donner de la chaleur à l’or épais, les enlumineurs utilisent directement de l’ocre rouge ou un bol d’Arménie dans la recette. C’est particulièrement frappant en ce qui concerne le fond de cette initiale D (« Desiderii mei... »). Véritable chef-d’œuvre de l’enluminure gothique, ce premier volume d’une Bible aux couleurs vives est certainement une production du scriptorium du Mont sous l’abbé Raoul de Villedieu (v.1223/5-1236).

Missel à l’usage de Saint-Benoît-sur-Loire

Loiret, deuxième moitié du XIIe siècle

Dans la partie basse, le visage du Christ est nimbé (entouré d’un disque de lumière). Il prend alors la place au centre des lettres entrelacées VD, initiales de la formule Vere Dignum. Cette phrase commence habituellement la préface du canon de la messe (après le Sanctus). Rappelons que le missel est un recueil de prières et de lectures qui servent lors des offices. Dans ce cas, les notations musicales accompagnent les passages chantés.

Au XIIe siècle, l’or est considéré comme mauvais lorsqu’il évoque la matière et donc la richesse, alors qu’il est bon s’il apporte la lumière. Participant de manière attendue à l’échange avec le divin en magnifiant l’auréole du Christ, l’or donne du brillant aux décors. Comme au siècle précédent, le métal de luxe n’est encore utilisé qu’en petites zones et avec une charge symbolique marquée.

Constantin l’Africain, Pantegni

Mont Saint-Michel, XIIIe siècle

Brillant médecin Constantin l’Africain est né en 1015 en Tunisie et décédé en 1087. Il est essentiellement connu pour être l’un des premiers traducteurs en latin de la science arabe. Ainsi, le livre de médecine ici présenté est en fait la traduction de l’encyclopédie du médecin Haly Abbas (930-994). Constantin fait alors preuve d’une remarquable habileté en adaptant les textes et en maquillant leur origine.

Comme en témoigne cette initiale ornée D de l’incipit (« Domino sua montis cassianensis... »), ce sont les couleurs franches qui dominent au XIIIe siècle. Employé en abondance pour le fond de la panse (partie courbe de la lettre), l’or offre un contraste avec le rouge et le bleu très présents par ailleurs.

Clément V, Constitutions

Mont Saint-Michel, XIVe siècle

Marquée par la guerre de Cent Ans et la crise économique, l’abbaye produit et achète peu d’ouvrages au XIVe siècle. Dans ce manuscrit, on peut voir qu’il s’agit bien de feuilles en raison des craquèlements. Comme souvent à cette époque, l’usage de l’or se fait plus rare, certainement en raison de difficultés d’approvisionnement. En parallèle, dans les enluminures, le dessin prend souvent le pas et les couleurs pâlissent.

Surnommées les clémentines, les Constitutiones clementinae, ici copiées, sont un recueil de décrétales du pape Clément V (v. 1264-1314). Il s’agit de lettres qui édictent une règle pour répondre à une demande. Faisant autorité en droit canonique (le droit de l’Église), la transcription suit les normes universitaires : le texte original en gros caractères, cerné par la glose d’une même main, elle-même commentée par des usagers.

Livre d’heures à l’usage du diocèse du Mans

Ouest de la France, deuxième moitié du XVe siècle

Au XVe siècle la mode est au réalisme des sujets traités même dans une ornementation relativement abstraite comme celle-ci. L’or se mêle aux détails et aux couleurs : il est désormais employé presque automatiquement en association au bleu et au rouge. Le lien avec le divin se distend progressivement.

D’une petite dimension et destiné aux fidèles laïques, ce livre d’heures s’ouvre sur un calendrier à l’usage du diocèse du Mans. Bien que lacunaire, cet ouvrage liturgique conserve trois pages agrémentées d’un décor marginal similaire. Classiques pour l’époque, les bandeaux décoratifs sont constitués de feuilles de vigne dorées, de feuilles d’acanthe tricolores (bleu, rouge et vert) et de fruits. De facture relativement modeste, les initiales et les bouts-de-lignes champis bleus, roses et dorés illuminent l’ensemble du volume.

Ancien Testament (Prophétie de Malachie)

Mont Saint-Michel, vers 1230

avec une technique proche de la gravure, l’enlumineur utilise la méthode de l’incision : les motifs sont creusés dans l’or. Issue de l’art byzantin du Xe siècle et souvent réalisée à main levée, cette technique utilisée à partir du XIIe siècle en Occident est visible dans le fond de cette lettrine historiée O (« Onus verbi domini... »).

Celle-ci représente Dieu s’adressant à Malachie. Prophète du Ve siècle avant notre ère, il est le rédacteur du dernier livre des Écritures hébraïques. Celui-ci contient la déclaration divine adressée à Israël et dénonce, notamment, les négligences apportées au culte. Différents éléments démontrent qu’il s’agit de l’une des productions les plus luxueuses du scriptorium du Mont : la taille monumentale de ce second volume d’une Bible en deux parties, la qualité du parchemin, la régularité de l’écriture et la richesse des 107 enluminures.

Révélation

Mont Saint-Michel, v. 1462

Cette lettrine P (Postquam) de grand module illustre parfaitement la technique dite des « champs d’or » (Fields of gold). Grande innovation de l’époque romane (XIe-XIIe siècles), celle-ci consiste d’abord en la réalisation d’un fond d’or (que l’on distingue bien sur la page de droite). Par la suite, l’enlumineur s’en sert comme support afin de réaliser des motifs aux pigments ou à l’encre (observables sur le dégorgement de la page de gauche, résultant d’un dégât des eaux).

Par ailleurs, l’ensemble de la page de droite est rehaussé d’un encadrement décoratif et fleuri. Source unique quant à la fondation du premier sanctuaire sur le mont Tombe, la Revelatio est encore considérée comme incontournable au XVe siècle. Il n’est donc pas surprenant d’en proposer alors une copie à l’écriture gothique. Cette transcription est probablement elle-même une copie de celle de la fin du Xe siècle, reliée dans ce même codex (livre manuscrit) aux feuillets 180 à 188.

Missel à l’usage de Rennes

Nord-Ouest de la France, XVe siècle

Ce livre liturgique à l’usage de Rennes est intéressant parce qu’il associe deux techniques d’utilisation de l’or : en feuilles (initiale A de « Ad te levavi », annonçant un chant du répertoire grégorien) et en poudre (par petites touches éparses dans les lettres majuscules).

Dans le premier cas, les feuilles de métal précieux sont battues très finement, mais demeurent plus épaisses que celles vendues de nos jours. Cette spécificité offre une malléabilité propice à la manipulation, en particulier lorsqu'il faut s’adapter à une surface qui n’est pas plane. On utilise alors des feuilles de 24 carats, de bonne qualité et très pures. La technique requiert nécessairement une certaine habileté et un outillage conservé à l’abri de la poussière.

Dans le second cas, la feuille d’or est broyée avec du miel, voire avec du blanc d’œuf. Réduite en poudre, la feuille est utilisée comme pigment avec la gomme arabique ou un liant organique protéinique, comme une colle animale.

Vies des saints Pères

Nord de la Loire, fin XIIIe siècle

SSous le titre de Vitæ Patrum et de Verba seniorum, les sentences des Pères du désert ont nourri la spiritualité de l’Occident monastique, en particulier à partir de la première traduction du grec. Les vies relatées sont celles de moines de l’Antiquité tardive (IIIe et IVe siècles) ayant vécu en communautés ou en ermites en Égypte, en Palestine et en Syrie.

Ce volume copié par Jean Tartivint présente une graphie gothique, décorée d’initiales rouges et bleues à filigrane. Comme le montre cette double page, afin de rehausser l’ensemble, les majuscules intègrent de l’or. Dans ce cas, il s’agit d’or en poudre, appelé or « en coquille » puisqu’il est généralement conservé dans des coquilles de petits mollusques (moules, palourdes, coques, praires, etc.). Au moment de la pose, l’or finement broyé est mélangé à un liant (dorure à l’eau).

Ambroise, Œuvres

XIIe siècle

Cette couvrure de veau brun est représentative des reliures mauristes du Mont Saint-Michel. On sait que les moines de la congrégation de Saint-Maur entreprennent une campagne de reliure vers 1660. Les caissons du dos sont alors ornés de fleurons dorés, à l’exception du deuxième qui porte le titre, en lettres capitales. Celui-ci est poussé directement sur le cuir et encadré d’un double filet doré à froid naturel (cuir humidifié qui brunit en réaction à la chaleur). À l’aide de fers, de palettes ou de roulettes, la dorure à chaud permet de déposer le métal en feuille sur la peau préalablement apprêtée.

Parmi la trentaine d’ouvrages qui enrichissent la bibliothèque au XIIe siècle, ceux des Pères de l’Église dominent. Entre les œuvres de saint Augustin et de saint Grégoire figurent les écrits d’Ambroise de Milan (339-397). Né à Trèves, il est le fils d’un préfet du prétoire des Gaules, c’est-à-dire un administrateur militaire et judiciaire de l’Empire romain. Évêque de Milan en 374, Ambroise rédige divers documents, dont des lettres et des sermons sur la virginité, que renferme ce codex restauré en 2017.

Louis de Camps, Histoire de la celebre abbaye du Mont Sainct Michel

Mont Saint-Michel, 1661-1664

DDurant la seconde moitié du XVIIe siècle, trois moines travaillent successivement à la rédaction d’une histoire du monastère : Jean Huynes (1609-1651) entre 1636 et 1638, Thomas Le Roy (1608-1683) entre 1646 et 1648 et Louis de Camps, entre 1661 et 1664. Seul le travail de ce dernier est parvenu jusqu’à Avranches, alors que les autres manuscrits sont conservés à la bibliothèque Alexis-de-Tocqueville de Caen et à la Bibliothèque nationale de France.

Ici, le feuillet de gauche évoque la renonciation de l’évêque Norgot au début du XIe siècle. Celui-ci aurait alors préféré devenir moine de l’abbaye, après une vision du Mont en proie aux flammes. Cet épisode fait suite à ce que l’historien nomme justement le « siècle d’or », en raison de la multiplication de donations à l’abbaye permettant l’emploi de dorures pour les reliquaires et les objets de culte. En effet, à la fin du Xe siècle, la prospérité des religieux repose, notamment, sur des dons prestigieux de Geoffroi Ier dit Bérenger, duc de Bretagne, ou de Gonnor, la femme du duc de Normandie Richard Ier.