Bibliothèque virtuelle
duMont Saint-Michel

Exposition d’automne octobre décembre 2019

Avec les commentaires et les traités des Pères de l’Église (Ambroise, Augustin, Jérôme et Grégoire), les Bibles, parties de Bibles et livres de la Bible glosés constituent la part la plus importante des livres provenant de l’ancienne bibliothèque bénédictine du Mont Saint-Michel. À une exception près, ces livres datent tous des XIe, XIIe et XIIIe siècles.

Trois Bibles manuscrites complètes du Mont Saint-Michel nous sont parvenues. Elles sont conservées depuis la Révolution française à Bordeaux (ms. Bordeaux, BM, 1 : superbe Bible romane, richement enluminée, en 2 volumes, réalisée dans la seconde moitié du XIe siècle) et à Avranches (ms. Avranches, BM, 1 : bible gothique, peu décorée, en un seul volume, du XIIIe siècle ; mss. Avranches, BM, 2 et 3 : splendide Bible gothique, richement enluminée, en deux volumes, copiée vers 1230). La seconde partie d’une belle Bible de poche, en deux volumes, datant elle aussi du XIIIe siècle, a été acquise en 2003 par le Musée Champollion (à Figeac). Il subsiste également 4 feuillets complets d’un manuscrit des Évangiles produit dans le sud de l’Angleterre au VIIIe siècle : 3 de ces feuillets sont conservés à Avranches, le 4e l’est à Saint-Pétersbourg. Ces fragments du Nouveau Testament sont les plus anciens témoins manuscrits subsistant provenant de l’abbaye du Mont Saint-Michel.

Enfin, la ville d’Avranches conserve vingt-huit volumes renfermant des livres glosés de la Bible, copiés du XIIe au XIIIe siècle, soit au Mont Saint-Michel même, soit à Paris. Ces volumes permettent de suivre l’évolution du décor et de la mise en page des manuscrits produits au cours de ces deux siècles, période de transition entre le style roman et le style gothique, qui influence aussi bien l’écriture (passage de la caroline à la gothique) que l’aspect des lettres de couleur, des lettres ornées et des lettres historiées. Sous l’influence des écoles, collèges et universités parisiens, ces gloses bibliques sont considérées, depuis le second quart du XIIe siècle jusqu’à la fin du XIIIe siècle, comme indispensables dans toutes les bibliothèques monastiques et capitulaires. Au Mont Saint-Michel, c’est probablement sous l’impulsion des abbés Bernard du Bec (1131-1149) et Robert de Torigni (1154-1186) que la bibliothèque commence à se doter des livres bibliques glosés, d’abord en copiant les textes sur place, puis en les acquérant d’ateliers parisiens.

La glose dite « parisienne », qui s’est imposée à partir des années 1170, se présente sous une mise en page à la fois fonctionnelle et esthétique. Le texte de la Vulgate – version latine de la Bible traduite par saint Jérôme – apparaît en gros caractères dans la colonne centrale. Entre les lignes, la glose interlinéaire est un court commentaire destiné à expliquer, à éclairer et à interpréter les passages difficiles. Dans les marges externes et internes se développe la glose ordinaire, commentaire consistant en extraits des Pères de l’Église (Augustin, Ambroise, Jérôme et Grégoire) ou des auteurs sacrés (Bède le Vénérable, Origène, etc. ; commentateurs carolingiens : Raban Maur, Haymon d’Auxerre, Remi d’Auxerre, etc.) qui s’étaient attachés à commenter l’Écriture Sainte. C’est sur ces deux gloses que devait s’appuyer le lecteur (maître, élève ou religieux en méditation), pour comprendre la Bible, toute interprétation personnelle étant bannie.

Évangiles (fragments)

Avranches, Bibliothèque patrimoniale , feuillets volants (anciennes gardes des mss 48, 66 et 71)

Sud-Est de l’Angleterre (Cantorbéry ?), VIIIe s.

Ces fragments sont les plus anciens manuscrits conservés à la bibliothèque d’Avranches : ils proviennent d’un livre des Évangiles d’origine insulaire (région de Cantorbéry, Sud-Est de l’Angleterre), écrit en onciale anglo-saxonne.

L’écriture onciale se démarque des anguleuses capitales romaines par son alphabet aux formes arrondies (observez les lettres M, D et E). Belle et lisible, mais longue à tracer et gourmande en place, la capitale onciale sera abandonnée (sauf pour les titres) au profit de la minuscule caroline (IXe-XIIe s.) puis de la minuscule gothique (XIIIe-XVe s.).

Nous ne conservons que quelques fragments de ce riche volume entré tôt en possession des moines du Mont Saint-Michel : ils ont servi de remplois (pages de garde et reliure) dans des manuscrits copiés au Mont Saint-Michel sous l’abbé Robert de Torigni (1154-1186).

Cantique des Cantiques (glose de Robert de Tombelaine)

Mont Saint-Michel, seconde moitié du XIIe s.

Cette lettre ornée de couleurs rouge et verte (initiale ‘O’ de Osculetur) ouvre le Cantique des Cantiques glosé par le moine Robert de Tombelaine. Cet auteur a composé son commentaire vers le milieu du XIe s., alors qu’il était moine du Mont Saint-Michel et avant qu’il ne devienne prieur de Saint-Vigor de Bayeux (v. 1070-1082). Il s’agit de la plus ancienne œuvre d’exégèse (commentaire de la Bible) produite en Normandie à l’époque ducale (911-1204). Cette copie a toutefois été réalisée seulement sous l’abbatiat de Robert de Torigni (1154-1186), à une époque où les pieds de mouche introduisant les gloses sont encore tracés à l’encre noire et où les initiales sont encore influencées par celles de la première moitié du XIIe siècle.

Le commentaire de Robert devance de seulement quelques décennies la très riche production exégétique de son élève Richard des Fourneaux, moine de Saint-Vigor de Bayeux puis abbé de Préaux (1101-1125). Richard a commenté au moins onze livres de la Bible, mais reste moins connu que ses deux maîtres Anselme du Bec et Robert de Tombelaine : contrairement à eux, ses œuvres, rapidement concurrencées par la « glose ordinaire », ont été très peu diffusées.

Évangile de saint Matthieu (avec glose ordinaire)

Mont Saint-Michel, seconde moitié du XIIe s.

Comme le manuscrit précédent et comme celui qui suit, ce volume a été copié durant l’abbatiat de Robert de Torigni (1154-1186). La lettre ornée « L » qui ouvre l’Évangile de saint Matthieu par les mots Liber generationis (généalogie du Christ), reprend les trois couleurs emblématiques des productions montoises du XIIe siècle : le rouge, le vert et le bleu. Judicieusement agencées, ces trois couleurs confèrent un certain dynamisme à cette lettrine, grâce notamment à la présence des quatre fleurettes, disposées de manière circulaire dans le but de donner une impression de mouvement à l’ensemble.

À cette époque, les pieds de mouche introduisant les gloses en interligne et en marge sont encore tracés à l’encre noire, comme le reste du texte. Notez toutefois que les pieds de mouches sont de formes différentes, afin de distinguer sans ambiguïté gloses interlinéaires et gloses marginales.

Évangile de saint Matthieu (avec glose ordinaire)

Mont Saint-Michel, seconde moitié du XIIe s.

Voici un troisième exemple de livre glosé copié au Mont Saint-Michel durant l’abbatiat de Robert de Torigni (1154-1186). Comme dans le manuscrit précédent, la lettre ornée « L » qui ouvre l’Évangile de saint Matthieu par les mots Liber generationis, reprend les trois couleurs emblématiques des productions montoises du XIIe siècle : le rouge, le vert et le bleu. Le style est cependant très différent du manuscrit précédent, puisqu’il s’agit d’une initiale puzzle à filigranes, qui apparaît vers le milieu du XIIe siècle : le corps de la lettre est formé de deux parties rouge et bleue imbriquées l’une dans l’autre ; des filigranes bleus et rouges viennent remplir les espaces vides. Ils se terminent de manière originale en feuillages verts et jaunes, trahissant certaines influences normandes et montoises des périodes précédentes.

Les pieds de mouche, qui introduisent indifféremment les gloses interlinéaires et marginales, sont toujours tracés à l’encre noire.

Évangile de saint Matthieu (avec glose ordinaire)

Paris, atelier de Gautier Lebaube, vers 1240-1250

Ce manuscrit a été produit à Paris par l’atelier de Gautier Lebaube, dont l'activité est attestée autour de 1240. Son décor principal est constitué de deux initiales ornées (f. 1r et 97v) et deux initiales historiées (f. 2r et 97v) qui ouvrent les Évangiles de Matthieu et de Marc. Le décor secondaire est constitué de petites initiales filigranées et de pieds de mouche bleus et rouges, dans la tradition des productions des XIIIe-XVe siècles.

Le début de l’Évangile de saint Matthieu (Liber generationis, f. 2r) est mis en valeur par une belle initiale historiée « L » figurant l’Arbre de Jessé (généalogie du Christ), thème fréquent dans l’enluminure gothique du début du XIIIe siècle et qui rompt avec les lettres ornées de la période romane (comparez avec les deux manuscrits précédents). Malgré la tendance à standardiser leur production, les artistes parisiens montrent encore ici une certaine originalité en introduisant le motif du lapin au sommet de la lettre historiée. Le dessin, où le bleu et le rose soutenu constituent les deux couleurs dominantes, est exécuté d’un trait net et précis. L’usage du fond d’or est une tendance qui se généralise et qui caractérise les ouvrages enluminés de luxe à partir du début du XIIIe siècle. Nous retrouvons les mêmes couleurs sur fond d’or dans la lettre ornée P (de Primum) et dans la lettre historiée M (de Marcus evangelista) qui ouvrent l’Évangile de saint Marc au folio 97v.

Livre de l’Exode (avec glose ordinaire)

Mont Saint-Michel, dernier quart du XIIe siècle

La lettre ornée H, qui ouvre le livre de l’exode et qui représente un homme se saisissant d’un dragon par le cou (influence romane), a été maladroitement surchargée d’un fond d’or (influence gothique), ce qui en rend la lecture difficile. La palette de couleur est d’ailleurs originale pour une production montoise du XIIe siècle. Il s’agit de l’un des rares exemples de décor peint produit par le scriptorium du Mont Saint-Michel dans le dernier quart du XIIe siècle, période de déclin de l’enluminure montoise. Depuis la seconde moitié de ce siècle, les ateliers parisiens produisent une lettre « H » souvent historiée, figurant Moïse. Le style anthropozoomorphique, purement décoratif et archaïque de l’initiale prouve que nous avons affaire à une production locale, datant soit de la fin de l’abbatiat de Robert de Torigni (1154-1186), soit plus vraisemblablement de celui de Martin de Furmendi (1186-1191) ou de Jourdan (1191-v. 1212).

Notez que les pieds de mouche, qui introduisent les gloses interlinéaires et marginales, sont toujours tracés à l’encre noire.

Deutéronome (avec glose ordinaire)

Paris, début du XIIIe siècle

Les initiales ouvrant les trois livres glosés de la Bible contenue dans ce volume (Lévitique, Nombres et Deutéronome) sont des initiales puzzles non filigranées. Cependant, les petites initiales secondaires rouges et bleues qui apparaissent ailleurs dans le manuscrit comportent parfois de discrets filigranes. Dans cette lettre puzzle « H » ouvrant le Deutéronome, les parties rouge vermillon et bleu azur s’imbriquent l’une dans l’autre, en laissant un fin espace blanc entre elles. Il s’agit vraisemblablement d’une production du début du XIIIe siècle, les filigranes ayant tendance à être plus fréquents, plus développés et plus fins au fur et à mesure que l’on progresse dans ce siècle.

Notez que les pieds de mouche des gloses interlinéaires sont noirs, tandis que les pieds de mouche des gloses marginales alternent les couleurs rouge et bleue. Afin de mieux se repérer dans le texte, le titre courant « Deuteronomis » est indiqué en marge supérieure.

Livre d’Esther (avec glose ordinaire)

Paris, XIIIe siècle

Les initiales puzzles filigranées « L » et « I » rouge vermillon et bleu azur qui ouvrent cet exemplaire glosé du Livre d’Ester sont caractéristiques des productions gothiques parisiennes du XIIIe siècle. Un réseau de fins filaments rouges et bleus entoure l’initiale et sert au décor des manuscrits. Avec l'abandon des entrelacs et des rinceaux végétaux, la lettre filigranée ramène le vocabulaire ornemental vers une esthétique plus géométrique, faite de lignes, de cercles, de crochets... Nous retrouvons des initiales puzzles filigranées comparables, mais avec des motifs géométriques variés, dans les trois manuscrits qui suivent. Ces variations stylistiques des filigranes permettent aux historiens de l’art – notamment Patricia Stirnemann (IRHT), grande spécialiste de ce type de décor – de parvenir à localiser et à dater précisément les productions des XIII e-XVe siècles (précision de l’ordre de dix à vingt ans).

Les pieds de mouche des gloses interlinéaires sont noirs, tandis que ceux des gloses marginales alternent les couleurs rouge et bleue. Afin de mieux se repérer dans le texte, le titre courant « Hester » est signalé dans la marge supérieure (« Hes » à gauche et « ter » à droite).

Ézéchiel (avec glose ordinaire)

Paris, XIIIe siècle

Cette initiale puzzle filigranée « E » rouge vermillon et bleu azur, qui ouvre cet exemplaire glosé du livre d’Ézéchiel, comporte quelques points de ressemblance avec les deux initiales du manuscrit précédent. On remarquera en particulier la tendance à faire descendre les filigranes jusqu’au bas de la marge inférieure, comme cela a été également fait dans les filigranes descendant du pied de mouche en page de droite du précédent manuscrit. Cette ressemblance est toutefois surtout due au fait que les lettres filigranées du XIIIe siècle sont rarement réalisées dans d'autres couleurs que le bleu et le rouge (sauf pour les manuscrits les plus luxueux, qui utilisent en plus la feuille d’or pour le fond).

Comme dans la plupart des autres livres glosés de la période gothique, les pieds de mouche des gloses interlinéaires sont noirs, tandis que ceux des gloses marginales alternent le rouge et le bleu.

Évangile de saint Matthieu (avec glose ordinaire)

Paris, XIIIe siècle

Les initiales puzzles « P » et « M » rouge vermillon et bleu azur, qui ouvrent les Évangiles de saint Mathieu (f. 1r) et de saint Marc (f. 100r), présentent des filigranes rouges et bleus très fins qui remplissent intégralement l’intérieur des panses des lettres. En revanche, les filigranes descendent peu dans les marges, contrairement aux exemples précédents et suivants.

Comme dans la plupart des autres livres glosés de la période gothique, les pieds de mouche des gloses interlinéaires sont noirs, tandis que ceux des gloses marginales alternent le rouge et le bleu. Afin de mieux se repérer dans le texte, le titre courant « Marcus » est signalé dans la marge supérieure.

Évangile de saint Jean (avec glose ordinaire)

Paris, XIIIe siècle

L’initiale puzzle « h » rouge vermillon et bleu azur – qui ouvre l’Évangile de saint Jean comme le rappelle le titre courant « Ioh(an)es » dans la marge supérieure – présente des filigranes rouges et bleus très fins qui remplissent intégralement l’intérieur de sa panse. Les filigranes descendent cette fois très nettement dans la marge interne, sans toutefois se prolonger jusqu’en marge inférieure. Ainsi, malgré leurs ressemblances (nous avons affaire à des initiales puzzles filigranées de style parisien), les initiales gothiques de ce volume et des volumes précédents ont été réalisées par des artistes et des copistes différents, qui ont sans doute travaillé dans des ateliers parisiens distincts et à des époques légèrement différentes.

Nous constatons une fois encore que, pour la période gothique, les pieds de mouche des gloses interlinéaires sont noirs, tandis que ceux des gloses marginales alternent le rouge et le bleu.

Livres des rois (avec glose ordinaire)

Mont Saint-Michel, vers 1230

Cet exemplaire des quatre livres des rois glosés a été décoré à la feuille d’or par le même artiste que celui qui a enluminé la superbe Bible en deux volumes Avranches, Bibliothèque patrimoniale, ms 2 et 3, ainsi que le missel Avranches, Bibliothèque patrimoniale, ms 42. Ces quatre manuscrits sont des chefs-d'œuvre des débuts de l'enluminure gothique. Ils ont vraisemblablement été produits au Mont Saint-Michel sous l’abbé Raoul de Villedieu (v. 1223/5-1236), commanditaire probable du cloître gothique de la Merveille.

Le contour vert de la lettre et les motifs géométriques remplissant l’intérieur de ces lettres ornées à dragon, qui figurent aux folios 3r et 135v de ce volume, se retrouvent pratiquement à l’identique, aux folios 32r et 248v du second volume de la grande Bible du Mont Saint-Michel (ms 3).

Psautier

Paris, Pierre le Rouge, 1490

Cet incunable (livre imprimé avant le 1er janvier 1501) est un « Psaultier avecques l’exposition sur De Lira en francoys » imprimé à Paris par Pierre le Rouge en 1490. Comme l’indique son titre, il s’agit d’un psautier (recueil contenant les 150 psaumes) accompagné du commentaire du célèbre théologien normand Nicolas de Lyre (v. 1270-1349). Le texte et la gravure sur bois, en noir, ont été imprimés, tandis que l’initiale de couleur rouge et bleue et les pieds-de-mouche de mêmes couleurs ont été ajoutés à la main : il s’agit donc d’un ouvrage mêlant caractères imprimés et caractères manuscrits.

Ce livre a appartenu au moine, prieur et historien du Mont Saint-Michel Sébastien Ernault (XVIe siècle), comme le précisent plusieurs mentions manuscrites de sa main apposées en rouge en début d’ouvrage : un ex-libris et sa signature ont été inscrits sur la page de titre ; on peut lire, sur la page suivante, au début du prologue, « Sebastianus Ernault me possidet » (Sébastien Ernault me possède).