Bibliothèque virtuelle
duMont Saint-Michel

Exposition de printemps avril à juin 2023 : 1023-2023 : un millénaire de messes

E vangéliaires, homiliaires, lectionnaires... qui connaît vraiment les ouvrages dédiés à la vie liturgique ? Les auteurs médiévaux préfèrent, quant à eux, mobiliser le mot d'officium (offices). Dans un cas comme dans l’autre, nous rangeons actuellement sous ce terme l’ensemble des rituels destinés à la célébration du culte.

Cette sélection de douze manuscrits vise à interroger l’histoire religieuse au Moyen Âge, alors que l'année 1023 est une date anniversaire importante. Selon la tradition, 2023 marque le millénaire du début de la reconstruction de l’abbatiale romane par l’abbé Hildebert II. Après six décennies d’aménagements, ce nouvel édifice offre un cadre d’exception pour la célébration quotidienne de la messe.


Avec la participation de Louis Chevalier, ingénieur d’études au laboratoire du CRAHAM de l’Université de Caen. Spécialisé dans l’édition critique et numérique des manuscrits, il a réalisé une thèse sur deux ordinaires liturgiques du Mont Saint-Michel.


Évangiles (fragments)

Sud-Est de l’Angleterre, VIIIe siècle

Issu de l’Évangile de Marc, ce morceau de manuscrit concerne la guérison du paralytique. Ce feuillet isolé fait partie des plus anciens conservés à Avranches. Néanmoins, il est parvenu jusqu’à nous parce qu’il a été démembré pour être réutilisé dans la reliure d'un autre volume. Il provient d’un riche évangéliaire produit dans la région de Canterbury avec une écriture de type onciale.

La calligraphie est dépourvue de minuscules, ce qui rend l’ensemble très lisible. Notez en particulier que le D est rond avec un appendice vers la gauche ou encore que la lettre G possède un trait qui se prolonge sous la ligne d’écriture.

Cet ouvrage regroupe des textes bibliques extraits de Matthieu, Marc, Luc ou Jean. Ils sont destinés à la lecture de l'Évangile durant la messe.

Homiliaire

Mont Saint-Michel, XIIIe siècle

Un homiliaire, comme celui-ci, ne renferme que des extraits de la Bible et des homélies destinés aux lectures des matines. Cet office de nuit débute par l’invitatoire et un hymne, puis des psaumes et des lectures (appelés “nocturnes”). Seul le troisième nocturne figure dans cet homiliaire.

Avec un décor très simple, cette page contient quelques initiales rouges et bleues. Le corps de la lettre est esquissé de manière très lisible en aplat de pigment d’une seule teinte, alors que les filigranes sont ajoutés dans une couleur différente.

Apparus au XIIIe siècle, ces décors tendent vers toujours plus de finesse au cours du temps. Ils sont tracés à l’aide d’une plume taillée de manière à n’offrir ni pleins ni déliés.

Ordinaire (partie du temporal)

Mont Saint-Michel, début du XVe siècle

Un temporal est constitué d'une partie des textes qui servent à l’office et à la messe. Un document comme celui-ci couvre la totalité de l’année, en fonction du rythme hebdomadaire. Il peut également inclure les « temps » (qui dépendent de Pâques et de Noël).

Ce Temporal a sans doute été copié au Mont Saint-Michel à une époque où peu d’écrits y sont encore produits. Il ne contient que deux pages enluminées qui sont les témoins du savoir-faire d’ateliers laïcs. La page ici présentée est encadrée par un décor géométrique, prolongé par un dragon dans la marge supérieure.

Au début du texte, on trouve une belle initiale sur fond d’or D (« De Adventu »). Les couleurs dominantes bleu et rose sont courantes au XIVe et au XVe siècle, de même que les éléments marginaux qui alternent des motifs trilobés et des guirlandes de fleurs à quatre pétales.

Ordinaire (partie du sanctoral)

Mont Saint-Michel XIVe siècle

Le sanctoral rassemble les fêtes de saints qui tombent à date fixe. Le volume ici présenté est incomplet puisque ce type de livres liturgiques termine habituellement à la saint Saturnin (le 29 novembre). Or, ce manuscrit s'achève curieusement par la festivité de saint Laurent (le 10 août).

Il existe diverses raisons pour expliquer qu'un document comme celui-ci puisse être lacunaire. Un ouvrage peut volontairement ne s'intéresser qu'à quelques fêtes. D’autres manuscrits, trop encombrants, sont divisés en deux volumes, dont l’un a pu ne pas parvenir jusqu’à nous. Un cahier terminal a pu simplement se détacher…

Le début de ce document destiné au culte est seulement signalé par une initiale F (« Festivitatem »). Celle-ci est dite « puzzle » : elle est découpée en parties peintes de deux couleurs différentes. Accompagnée de filigranes marginaux bleus, elle introduit la fête de saint André, célébrée le 30 novembre.

Calendrier

Mont Saint-Michel, début du XIIIe siècle

On rencontre un calendrier, dans ce bréviaire qui recoupe les textes utiles à la liturgie des Heures (c’est-à-dire la prière quotidienne répartie tout au long de la journée). S'il peut paraitre difficile à décrypter, ce document suit pourtant une logique qu’il convient de comprendre :

XVIIICXVIkalen dasmarciusValentini martiris
123456

Avec des chiffres romains compris entre 1 et 19 (I à XIX), la première colonne présente le nombre d’or. Celui-ci renvoie au cycle lunaire qui compte bien dix-neuf années. La deuxième colonne comporte des lettres dominicales, réparties de "a" à "g" (remplaçant le nom des jours de la semaine).

La troisième et la quatrième colonnes incluent le quantième du mois et l’indication des jours qui servent de repères (calendes, nones et ides). Enfin, les dernières colonnes recensent l’intitulé des fêtes mensuelles (ici, en « marcius » pour mars : la Saint Valentin martyr).

Jacques de Voragine, La légende dorée

Mont Saint-Michel, XIVe siècle

Œuvre du futur archevêque de Gênes Jacques de Voragine (v. 1228-1298), la Legenda aurea appartient au genre des écrits hagiographiques (consacrés aux vies de saints). Rédigé entre 1261 et 1266, ce livre compile les miracles d’environ 150 personnages, classés en fonction de l’année liturgique.

La très vaste diffusion de la Légende Dorée au Moyen Âge lui permet de toucher un large public. Bien qu’endommagé par l’humidité, le luxe de ce livre montre qu’il vise à frapper les esprits. Peut-être faut-il envisager un usage privilégié en dehors de l’office, mais les récitations de « vitae » forment aussi une bonne part des Matines dans une abbaye.

Un ouvrage tel que celui-ci témoigne donc d’un véritable souci d’oralisation, qui répond aux prétentions de l’ordre des Dominicains (auquel l’auteur de ce texte appartient). Ces religieux mendiants se focalisent sur l’administration du sacrement de pénitence et sur le prêche itinérant, par la mission de prédication.

Grégoire le Grand, Homélie sur Ézéchiel

Mont Saint-Michel, 1015-1035

Discours prononcé au milieu de la messe, l’homélie est un commentaire de circonstance de la Bible. Ce document reprend les vingt-deux homélies du pape Grégoire, ayant servi en 593 (au moment de la marche des Lombards sur Rome). Ici, il choisit le texte d’Ézéchiel afin de stimuler la résistance de la population en faisant le parallèle avec le siège de Jérusalem par les Babyloniens.

Finalement, ces homélies ne sont remises en forme que huit ans après, une fois le danger passé. Ces prédications trouvent progressivement une place dans le cadre de la liturgie du dimanche et de certaines fêtes.

Avant tout destiné à la réflexion, ce manuscrit demeure assez sobre. Cette page s’ouvre sur deux initiales simples (O pour « Omelias » et D pour « Dei »), tracées en rouge minium (pigment minéral de l’oxyde de plomb). Avec des entrelacs et des rinceaux végétaux, elles servent à indiquer les subdivisions du texte.

Hugues de Saint-Victor, Homélie sur l’Ecclésiaste

probablement du Mont Saint-Michel, fin du XIIe siècle

Au XIIe siècle, Hugo de Sancto Victore (v. 1096-1141) pourrait avoir choisi l’Ecclésiaste comme sujet de cette homélie dans un but précis. Ce livre de l’Ancien Testament se porte bien aux déclamations mystiques en raison des vanités qu’il dénonce : la richesse, le plaisir et la gloire. Il privilégie une voie de science et de piété qui reflète la position de son auteur, un chanoine régulier de l’abbaye Saint-Victor de Paris.

On lui prête, par ailleurs, dix-neuf autres homélies sur la question du mépris du monde. Toutefois, si le style d’écriture et le thème correspondent à Hugues de Saint-Victor, il demeure que la paternité de cette homélie a parfois été jugée comme trop peu fondée.

Progressivement considérées comme archaïques et trop attachées à la tradition juive, les homélies se pratiquent de moins en moins, avant de disparaitre au cours du XIIIe siècle. Petit à petit, les religieux privilégient les sermons qui se détachent davantage du texte biblique.

Augustin, Sermon sur l’Écriture

Mont Saint-Michel, deuxième moitié du XIe siècle

Prononcé avant, après ou pendant la messe, le sermon demeure longtemps un moment à part du rassemblement dominical. Il permet l’échange entre le religieux et les fidèles, en créant une véritable parenthèse. Il est clamé depuis la chaire, souvent située dans la nef pour des raisons acoustiques.

Très répandus en milieu monastique, certains sermons peuvent porter sur des thèmes, alors que d’autres s'appuient davantage sur les textes bibliques.

Véritable référence de la pensée depuis l’Antiquité tardive, Augustin (354-430) est l’auteur d’au moins cinq cents sermons. Ils sont si nombreux que certains n’ont été découverts que depuis une quarantaine d’années.

Si on connait au total 183 prédications "sur l'Écriture", ce volume n’en contient que 94. Ces discours permettent de suivre la pensée de cet évêque d’Hippone sur de nombreux sujets : du buisson ardent à la Transfiguration du Christ, en passant par la lutte de Jacob avec l’Ange.

Bréviaire (fragment)

Mont Saint-Michel, deuxième moitié du XVe siècle

A l’image de nombreux ouvrages destinés à la liturgie, ces fragments mélangent des extraits de textes et une succession de chants. Ici, la page s’ouvre sur une oraison du commun des saints (prière collective qui débute par « Deus qui nos sanctorum confessorum »). S’en suit un invitatoire, c’est-à-dire est une exhortation à la prière. Comme souvent, celui-ci est chanté :

  • on trouve d'abord la notation musicale carrée, posée sur quatre lignes rouges ;
  • viennent ensuite les paroles (« Regem confessorum Dominum... ») dans la partie la plus basse.

Ce type de chants est très attendu dans la liturgie médiévale. Sans accompagnement musical (a cappella), il est considéré comme sacré et sert de soutien au texte en latin. Un ouvrage tel que celui-ci permet donc de réciter l’office divin au quotidien.

Bréviaire-missel

Mont Saint-Michel, XIIesiècle

Copié d’une main différente du reste du manuscrit, ce feuillet ne comporte que quelques initiales vertes. Il s’agit d’un type d’écrits appelés bréviaires-missel, apparu au XIe siècle. Ces ouvrages donnent à la fois les textes de l’office (à l’image du bréviaire) et de la messe (à l’image du missel). Dans le sens où l’office renvoie plutôt à la prière quotidienne, alors que la messe célèbre le sacrifice du Christ (Eucharistie).

Ainsi, ce manuscrit rédigé à longues lignes contient de multiples extraits du livre prophétique d’Isaïe, qui se lisent au moment de l’Avent. En module d’écriture plus réduit, on trouve plusieurs prières utiles au chant (« Rorate caeli desuper… »). Les espaces laissés entre ou à l’intérieur des mots servent à donner le rythme.

On a longtemps supposé que ces livres étaient pour la plupart portatifs, mais ce n’est en fait qu’une faible proportion d'entre eux. Destiné aux moines en voyage ou à l’usage choral dans l’abbaye, l’ouvrage permet donc aux religieux d’assurer la liturgie des Heures (répartie en plusieurs moments dans la journée).

Heures à l’usage de Coutances

Avranches, Musée d’art et d’histoire, fonds Pigeon, ms 2, f. 13v-14r

Normandie, XVe siècle

Ala fin du Moyen Âge, se développe une véritable dévotion privée qui s’exerce en dehors des offices et des lieux de culte. Héritier laïc du bréviaire, le livre d’Heures émerge progressivement. Dans ce cas, les « heures » désignent les huit heures de prière dans une même journée.

Généralement de petites dimensions, ces ouvrages reprennent le calendrier (à gauche) et l’office de la Vierge (à droite). Celui-ci s’ouvre sur les matines avec le verset « Domine, labia mea aperies », auquel s’ajoutent les extraits de l’Évangile et des prières.

N’étant pas destinés à des religieux, les livres d’Heures sont souvent personnalisés. Ainsi, ils font l’objet d’une présentation soignée qui dépend des exigences et de la fortune du commanditaire. Au XVe siècle, lors de la réalisation de cet ouvrage, on n’envisage plus la prière individuelle sans une stimulation visuelle. C’est ce dont témoigne cette lettrine D sur fond d’or. L’ensemble du décor encadre la page, dans un style très en vogue à cette époque.