Bibliothèque virtuelle
duMont Saint-Michel

Exposition de printemps – avril-juin 2018

Amalaire de Metz, De officiis ecclesiasticis

Avranches, BM, 38, ff. 1v-2r (reliure restaurée fin 2017)

Mont Saint-Michel, 1re moitié du XIe siècle (v. 1015-1040)

Le De officiis ecclesiasticis d’Amalaire de Metz (v. 775-850) est un traité sur la liturgie en usage dans l’Église romaine. Rédigé en 823, il exerça une influence considérable tout au long du Moyen Âge sur les écrits pédagogiques traitant de la messe. Il figure de ce fait très souvent parmi les premiers textes copiés par les établissements religieux. Les abbayes bénédictines normandes fondées, restaurées ou réformées du Xe au XIe siècle possèdent généralement un manuscrit ancien de ce texte.

Cet exemplaire est typique des productions du Mont Saint-Michel de la première moitié du XIe siècle : mise en page à la pointe sèche (laissant un profond sillon incolore sur le parchemin) ; encre brune ; usage du minium rouge-orangé (oxyde de plomb) dans les titres rubriqués et les initiales de couleur ; écriture caroline ronde, mais dont les boucles descendantes des ‘g’ sont développées et restent ouvertes ; lettres ornées de petite dimension, à entrelacs et feuillages d’influences carolingienne et normande.

Grégoire le Grand, Registre de lettres

Avranches, BM, 102, ff. 187v-188r (reliure restaurée en 2008)

Mont Saint-Michel, dernier tiers du XIe siècle (v. 1080-1100)

Le pape Grégoire le Grand (590-604) est considéré comme l’un des quatre Pères de l’Église romaine, avec saint Ambroise, saint Augustin et saint Jérôme. Les abbayes bénédictines normandes possédaient la plupart de ses écrits.

Cet exemplaire de la correspondance de saint Grégoire (ou registre de ses lettres) présente les caractéristiques des productions du scriptorium du Mont Saint-Michel du dernier tiers du XIe siècle : titres et initiales alternant le rouge (vermillon = sulfate de mercure) et le vert ; lettres ornées et historiées à la plume, d’influence anglo-saxonne ; mise en page à la pointe sèche (et non à la pointe traçante, dont l’usage en Normandie n’apparaît qu’au siècle suivant).

Cette belle lettre historiée P à dragon représente saint Grégoire exécutant un geste de bénédiction. La tige verticale du P imite les encadrements à feuillage des manuscrits de luxe de style anglo-saxon (style « de Winchester »). Des personnages ainsi que des têtes animales et humaines viennent peupler l’intérieur de la lettre, qui est envahie par les tiges et les feuillages d’une végétation foisonnante. Des feuilles trilobées et des entrelacs viennent compléter cette composition à la fois chargée et très originale.

Sigebert de Gembloux et Robert de Torigni, Chroniques

Avranches, BM, 159, ff. 69v-70r (reliure restaurée en 2008)

Le Bec et Le Mont Saint-Michel, 2e moitié du XIIe siècle (v. 1150-1186)

Robert de Torigni, moine de l’abbaye du Bec (1128-1154) puis abbé du Mont Saint-Michel (1154-1186), a compilé et complété cette chronique universelle qui connut un grand succès dans l’espace anglo-normand du XIIe au XIVe siècle. Pour la période antérieure à 1100, Robert de Torigni s'appuie sur les chroniques d’Eusèbe, de Jérôme, de Prosper d’Aquitaine et de Sigebert de Gembloux, qu’il complète et remanie par endroit. À partir de 1100, il fait oeuvre originale et compose sa propre chronique. Une nouvelle édition critique de ce texte, réalisée par le professeur émérite de l’université d’Harvard, Thomas Bisson, doit paraître prochainement (publication, avec une traduction anglaise, attendue aux presses universitaires d’Oxford en 2019).

Dans cette lettre historiée D, le moine Sigebert de Gembloux (v. 1030-1112), représenté ici à tort comme un abbé, dicte sa chronique à un copiste tenant une plume et un grattoir. Des boîtes de pigments, utilisés pour l’enluminure, sont disposées sur des étagères en arrière-plan, tandis qu’un encrier repose sur le pupitre. Cette illustration donne une bonne idée du contexte de copie de l’ouvrage, l’abbé Robert de Torigni ayant lui-même dicté son texte à plusieurs copistes. Les trois couleurs caractéristiques de l’enluminure normande et montoise du XIIe siècle sont présentes : le rouge (vermillon), le bleu (lapis-lazuli) et le vert.

La couture des cahiers et la reliure de ce volume étant très endommagées, une restauration de ce manuscrit a été programmée en 2018-2019.

Boèce, De institutione musica

Mont Saint-Michel (?), 2e moitié du XIIe siècle (v. 1160-1180)

Boèce (455-526), philosophe romain converti au christianisme, est considéré comme l'un des derniers intellectuels de l'Antiquité. Son traité De institutione musica, rédigé en 510, lègue au Moyen Âge une vision spéculative sur la musique, dont la beauté doit servir à révéler l'harmonie divine. Mais la musique nécessite également une pratique instrumentale régie par différentes règles, fruit de calculs mathématiques précis, comme en témoignent les nombreux schémas explicatifs introduits tout au long du traité. Le De institutione musica de Boèce restera une référence tout au long du Moyen Âge, comme le prouvent les 150 manuscrits de l’oeuvre conservés à travers le monde.

Plusieurs éléments du manuscrit surprennent : l’usage de la pointe sèche, qui devient rare au Mont Saint-Michel dans la seconde moitié du XIIe siècle, ainsi que l’emploi du lilas, du rouge-orangé et du jaune pâle dans la lettre historiée ouvrant le traité. Cependant, dans le reste du volume, le décor secondaire (constitué de lettres rouges et bleues) et l’écriture sont à rapprocher des autres productions montoises contemporaines. Il est donc possible que l’artiste responsable de la lettre historiée O ouvrant le traité de Boèce se soit inspiré du décor de son modèle, ce qui pourrait expliquer les différences stylistiques et de couleurs observées avec les autres productions montoises contemporaines. Les quatre compartiments internes de la lettre sont remplis par deux scènes représentant l’enseignement de la musique (partie supérieure) et par deux hybrides zoomorphes (partie inférieure).

Hugues de Saint-Victor, Commentaire sur la hiérarchie céleste du Pseudo Denys l’Aréopagite

Avranches, BM, 49, ff. 56v-57r

Mont Saint-Michel, 3e quart du XIIe siècle (v. 1154-1175)

Hugues de Saint-Victor (1096-1141) fut un grand auteur mystique, mais aussi un philosophe et un théologien de premier ordre, qui enseigna à Paris dans la première moitié du XIIe siècle. Grâce à sa parfaite connaissance des Pères de l’Église, il réussit à diffuser leurs idées et leurs écrits auprès de nombreux disciples et favorisa ainsi l’émergence de la pensée scolastique. Par sa modération et l’observance d’une stricte orthodoxie, il saura faire oublier les audaces de son contemporain Abélard (1079-1142) qui, par la fulgurance de ses idées, avait soulevé un sentiment de suspicion autour de cette nouvelle méthode d’interprétation des saintes Écritures.

Cet exemplaire du commentaire d’Hugues de Saint-Victor sur la Hiérarchie céleste du Pseudo Denys l’Aréopagite a été copié au Mont Saint-Michel sous l’abbatiat de Robert de Torigni (1154-1186). La tendance est alors de renoncer à l’alternance du rouge et du vert dans les titres pour recourir à nouveau exclusivement au rouge. Le décor se limite ici à des lettres ornées rouges (vermillon) et bleues (lapis-lazuli), avec des motifs filigranés discrets, qui se développeront considérablement à partir du siècle suivant. On trouve aussi des lettres secondaires vertes et rouges, comme sur la page de gauche.

Raban Maur, Traité de comput

Avranches, BM, 114, ff. 126v-127r

Mont Saint-Michel, seconde moitié du XIIe siècle (v. 1154-1186)

Ce volume renferme plusieurs traités de Raban Maur (v. 780-856), grand érudit et théologien de l’époque carolingienne. Maître de l’école monastique de Fulda (803-840) et abbé de ce monastère (822-840), puis archevêque de Mayence (847-856), il a formé quelques-uns des plus grands esprits de la renaissance carolingienne (Loup de Ferrières, Walafrid Strabon, Otfried de Wissembourg, etc.).

L’enseignement du comput était indispensable pour fixer les fêtes mobiles chrétiennes, telle que Pâques, calculées en fonction des cycles de la lune et du soleil. Cela impliquait des connaissances solides en mathématiques et en astronomie. Dans son Traité de comput, Raban Maur a dressé comme ici des tables permettant de fixer la date de la fin du carême et le terme pascal en fonction des cycles lunaires et solaires.

Cette partie du recueil, réglée à la mine de plomb et aux titres rubriqués en rouge (vermillon), a été copiée sous l’abbatiat de Robert de Torigni (1154-1186).

Gratien, Décret (avec gloses de Barthélemy de Brescia)

Italie ?, puis Mont Saint-Michel, premier quart du XIIIe siècle

Gratien, moine canoniste de Bologne, est l’auteur du Décret, une compilation datant des années 1140-1150 visant à classifier et à concilier les textes de droit canonique (décrets conciliaires, constitutions pontificales, textes de divers auteurs chrétiens) afin d'éliminer les contradictions existant entre ces textes. Barthélemy de Brescia (v. 1174-1258), qui a étudié le droit romain et le droit canon à Bologne, a remanié l'apparat et a commenté ce Décret de Gratien.

Ce passage, le seul à être illustré, traite du mariage. Un personnage (peut-être un roi ?) présente l’arbre de consanguinité. Le calcul se fait en partant du centre (médaillon vide), en suivant les lignes bleues :

  • au-dessus, les ascendants (parents : père [pater] et mère [mater] ; grands-parents : grand-père [auus] et grand-mère [auia] ; arrière-grands-parents : [proauus et proauia] ; arrière-arrière-grands-parents [abauus et abauia] ; etc.) ;
  • au-dessous les descendants (enfants : fils [filius] et fille [filia] ; petits-enfants (petit-fils [nepos] et petite-fille [neptis]) ; arrière-petits-enfants ([pronepos et proneptis]) ; arrière-arrière-petits-enfants [abnepos et abneptis] ; etc.) ;
  • et sur les côtés les frères et soeurs (frater, soror) puis les cousins (consobrinus et consobrina), etc.

Cet arbre de consanguinité témoigne des prescriptions fortes édictées par l’Église à partir des XIe et XIIe siècles afin de lutter contre l’inceste et le mariage entre cousins.

Raban Maur, Commentaire sur les Macchabées

Avranches, BM, 112, ff. 43v-44r

Paris (?) puis Le Mont Saint-Michel, XIIIe siècle

Ce volumerenferme plusieurs traités de Raban Maur (v. 780-856), grand érudit et théologien de l’époque carolingienne dont il a déjà été question dans un manuscrit présenté plus haut (Avranches, Bibliothèque patrimoniale, Ms 114).

Chacun des deux livres des Macchabées commentés par Raban Maur s’ouvre par une belle initiale filigranée rouge et bleue de style parisien. La tendance, au cours du XIIIe siècle, est de voir les filigranes, minces filets d’encre bleue et rouge prolongeant les lettres ornées, se développer à l’intérieur des panses, mais surtout dans les marges, jusqu’à occuper toute la hauteur de la page, comme c’est le cas ici dans ce F de Fratribus. Dans le reste du volume, les initiales de couleur sont beaucoup plus petites, avec des filigranes plus ou moins développés suivant la position de la lettre en bordure ou en milieu de texte.

La mise en page à la mine de plomb est relativement complexe, des colonnes distinctes étant réservées pour le texte biblique (texte principal, en plus gros module) et pour le commentaire associé (écriture de module plus petit).

Justinien, Institutes (avec gloses)

Avranches, BM, 140, ff. 38v-39r

Sud de la France (?), puis Le Mont Saint-Michel, second moitié du XIIIe siècle

La forme étroite et haute de ce volume ainsi que sa mise en page sont propres aux manuscrits juridiques produits dans les milieux universitaires d’Italie et de France aux XIIIe et XIVe siècles. Le texte de droit officiel est placé dans une double colonne centrale, tandis que la glose, qui le commente, l’encadre tout autour, dans les marges. Dans les milieux universitaires, de nouveaux commentaires réalisés au gré des lectures par les étudiants et les lecteurs viennent s’insérer dans les interstices et dans les espaces laissés libres (additions réalisées par diverses mains). Les marges sont peuplées de repères mnémotechniques (dessins de main à l’index pointé sur les passages importants, signes de renvoi, etc.).

Ce manuscrit de droit romain est décoré de grotesques, mélange d’êtres humains, d’animaux et d’hybrides, dont le style trahi une origine méridionale. À gauche, un petit personnage, armé d’une massue, dirige son regard vers un animal étrange perché sur une autre lettre : une sorte de sphinx, personnage mythologique composé d’un buste de femme, d’un corps de félin et d’ailes d'oiseau.

Anonyme, Orationes devote ad propositum

Avranches, BM, 213, ff. 228v-229r

Mont Saint-Michel, XVe siècle

Ce manuscrit est un recueil de pièces historiques diverses sur l’abbaye du Mont-Saint-Michel. Il contient notamment l’Apparitio (apparition miraculeuse de l’archange Michel au Monte Gargano, en Italie, v. 490), la Revelatio (fondation du Mont Saint-Michel en 708, avec l’intervention miraculeuse de l’archange Michel auprès d’Aubert, évêque d’Avranches), l’Introductio monachorum (installation des moines bénédictins au Mont Saint-Michel en 965), le De translatione (translation des reliques de saint Aubert) et les Miracula (miracles survenus au Mont Saint-Michel). Il contient aussi des annales et une chronique des abbés du Mont Saint-Michel (texte dont l’édition critique et la traduction française paraîtront prochainement dans la revue Tabularia).

Ces deux enluminures illustrent un petit texte consacré à la Passion du Christ (Orationes devote ad propositum). La première est une scène d’ostentation des plaies : deux anges entourent la figure divine ensanglantée du Christ en tenant dans leurs mains les divers instruments de son supplice passé (chaînes, croix, marteau, pinces et lance). La seconde représente un moine bénédictin en prière : son regard est tourné vers l’image pieuse qui précède, objet de sa dévotion. Son attitude humble et recueillie rend compte de l’invitation à la prière que constitue le petit texte qui précède cette image.

Livre d’heures à l’usage du diocèse du Mans

Avranches, BM, 45, ff. 22v-23r

Ouest de la France (Le Mans ?), milieu ou 3e quart du XVe siècle

Ce livre d’heure s’ouvre par un calendrier liturgique à l’usage du diocèse du Mans. Il commémore notamment plusieurs saints évêques de ce diocèse : Julien (27 janvier), Thuribe (16 avril), Liboire (29 avril et 9 juin), Bertrand (6 juin) et Aldric (7 janvier). Il commémore également, au 1er juillet, saint Calais (Karilephus), fondateur et premier abbé d’Anisole (monastère fondé au VIe siècle sur l’actuelle commune de La Chapelle-Huon, située à 7 km de Saint-Calais, dans la Sarthe).

Bien que comportant quelques lacunes, ce livre d'heures conserve encore trois de ses pages agrémentées d’un décor marginal (f. 22v, 31v et 81). Les bandeaux décoratifs ornés sont classiques pour l’époque. Ils sont constitués de feuilles de vigne dorée, de feuilles d’acanthe tricolores (bleu, rouge et vert), de fleurs et de fruits rouges et bleus. L’ouvrage ne comporte en revanche aucune scène historiée. Des initiales et des bouts-de-ligne champis de couleur bleue, rose et dorée égaient le texte sur l'ensemble du volume.

L’ouvrage, de petites dimensions (190 x 140 mm), est relativement soigné mais il reste globalement de facture modeste pour ce type de livre. Il était probablement destiné à une personne appartenant à la petite noblesse ou à la bourgeoisie du Maine, mais, faute de marque de possession ancienne, nous ignorons l’identité de ce propriétaire médiéval.