Exposition de printemps avril à juin 2024 : Saint Augustin et les manuscrits
ugustin d’Hippone occupe une place particulière dans la bibliothèque du Mont Saint-Michel. Au total, on relève 131 manuscrits de ses œuvres, répartis dans 33 volumes différents. Auxquels s’ajoutent de nombreux ouvrages et sermons qui lui sont attribués à tort au Moyen Âge.
Père de l’Église, son importance à l’époque médiévale s’explique par une œuvre abondante. Il intervient également lors de polémiques qui l’ont amené à définir diverses positions (définition de l’Église, dogme de la Trinité, réflexions sur l’âme, etc.). Pour ce faire, il se fonde tant sur la tradition philosophique antique que sur l’analyse du texte biblique.
Avec la relecture scientifique de Jérôme Lagouanère, Maître de conférences HDR à l’Université Paul-Valéry Montpellier 3, membre de l’équipe CRISES et de l’Institut d’Études Augustiniennes. Ses travaux portent sur la philosophie et le christianisme antiques. Il a publié, notamment, une traduction de La Vision de Dieu d’Augustin et une monographie sur l'évêque d’Hippone parue dans la Collection des Études Augustiniennes (2012).
Ainsi que de Maguelone Renard qui prépare une thèse – sous la direction de J. Lagouanère – intitulée Médiations divines et réconciliation : la notion de médiation chez saint Augustin. Elle est membre du comité de rédaction du Bulletin Augustinien et a récemment participé à l’édition de l’ouvrage collectif Du Jésus des Écritures au Christ des théologiens. Les Pères de l’Église, lecteurs de la vie de Jésus qui vient de paraître chez Brepols.
Augustin, Commentaire sur la Genèse au sens littéral
Mont Saint-Michel, v. 1050-1055
ur la page de gauche, Augustin d’Hippone est représenté en plein mouvement, comme suspendu par sa vision. On le voit tremper sa plume dans l’encrier, la tête tournée vers un ange qui tient la Bible. Assis sur un coussin, le Père de l’Église ne regarde pas, il songe. Son érudition est signifiée par les objets, comme le cornet à gueule de lion, la plume et le repose-pied qui permet un bon appui. L’acte d’écrire sur un livre renforce les attributs de l’évêque.
L’incipit (le début) de son commentaire se retrouve à la fois sur le manuscrit qu’il tient et sur la page de droite : Omnis scriptura divina bipertita est (« Toute l’Écriture divine se divise en deux parties »). La lettre ornée O est typique des productions montoises, avec des rinceaux habités. Entre les volutes des rameaux et des plantes, deux hommes semblent se débattre et s’affronter.
L’ensemble de cette double page témoigne également de l’introduction de la couleur verte dans les décors. Celle-ci s’impose rapidement aux côtés du rouge (minium, puis vermillon) comme une marque de fabrique des scriptoria normands jusqu’au XIIe siècle.
Augustin, La Cité de Dieu
Mont Saint-Michel, v. 1070-1095
ette magnifique initiale ornée P (Promissiones), de couleur verte et rouge, marque le début du dix-septième livre du De civitate Dei. Dans cette œuvre, Augustin se livre à une relecture de l’histoire de l’humanité. Il montre d’abord que les dieux du paganisme n’ont joué aucun rôle dans le développement de l’Empire romain, puis il décrit l’origine, le développement et la fin des deux cités (celle de Dieu et celle terrestre). Si le sac de Rome par les troupes des Goths d’Alaric en 410 a fourni à Augustin l’occasion de rédiger La Cité de Dieu, il en mûrissait déjà le projet depuis plusieurs années.
Le chapitre deux du livre dix-sept, qui s’ouvre sur la page de droite, évoque la double promesse faite par Dieu à Abraham. Ici, Augustin fait explicitement la distinction entre le charnel et le spirituel : Abraham est le père des Juifs (selon la chair) et de tous les croyants (selon la foi).
Augustin, De la Trinité
XIIe siècle
ommencé dès 400, le De Trinitate connaît une première publication pirate en 415. Les onze premiers livres et le début du douzième sont volés dans l’atelier d’Augustin par des disciples trop zélés. Sur l’instance de l’évêque de Carthage, il achève cependant cet ouvrage en quinze livres et ajoute un préambule. L’ensemble paraît entre 422 et 426.
Dans ce traité, qui exerce une influence décisive au Moyen Âge, Augustin tente d’éclairer le mystère de la Trinité. Il cherche donc à comprendre l’idée que le Dieu chrétien soit tout à la fois Un et Trine (Père, Fils, Saint- Esprit). Son analyse repose d’abord sur l’exégèse de la Bible, puis sur les catégories logiques léguées par Aristote. Enfin, Augustin mobilise une approche psychologique.
En raison de sa composition austère, ce manuscrit témoigne principalement de la volonté des moines du Mont de se constituer une bibliothèque de travail, comprenant les ouvrages de référence. Ici, l’illustration n’est pas une priorité, malgré la présence de cette initiale ornée et aux couleurs vives N (Nunc).
Augustin, De fide et operibus
Mont Saint-Michel, v. 1065-1080
édigé en 412-413, le De fide et operibus est une œuvre polémique dans laquelle Augustin défend la nécessité d’une discipline avant le baptême. Augustin y réfute la position de certains laïcs qui soutiennent que seule la foi est nécessaire pour les futurs baptisés. En effet, ils opposent la foi et les actes, en considérant que la foi est supérieure à l’enseignement moral. Ils le repoussent donc après l’admission au baptême. Au contraire, Augustin s’efforce de démontrer le caractère complet des règles du Nouveau Testament : sans bonnes œuvres, la foi est inutile et ne garantit pas le salut du croyant.
À longues lignes, la présentation du manuscrit est assez sobre. On relève seulement l’initiale rouge Q (Quibusdam) qui désigne les adversaires anonymes d’Augustin (que l’on peut traduire par « à certains »). S’ajoutent quelques commentaires dans les marges.
Augustin, Miroir de l’Ancien et du Nouveau Testament
Ouest de la France, premier quart du IXe siècle
a vie et la pensée d’Augustin sont intimement liées à son rapport à la lecture du texte biblique dont il se nourrit dès l’enfance par sa mère Monique. Plus tard, il découvre aussi la lecture allégorique à Milan avec les sermons d’Ambroise, mais privilégie la lecture littérale dans les années 400. À travers ses écrits, le texte biblique constitue l’aliment premier de la vie du chrétien, ce qu’illustre cette œuvre originale qu’est le Speculum (Miroir).
Dans cet ouvrage rédigé en 427, Augustin compose un florilège de textes bibliques tirés de l’Ancien et du Nouveau Testament qui exposent les préceptes moraux de la vie chrétienne sur le mensonge, l’adultère ou encore l’avarice. L’ouvrage témoigne aussi du délitement de la société de l’Afrique du Nord juste avant l’invasion des Vandales qui atteignent Hippone en 430.
Ici, le titre rubriqué (en rouge) est précédé d’une belle initiale ornée I (In), suivis par la table des chapitres exposés dans l’ouvrage.
Augustin, Les Révisions
XIIe siècle
ugustin a 72 ans lorsqu’il entreprend un nouveau projet d’ampleur en 426-427 : « réviser tous mes ouvrages, livres, lettres et sermons avec la sévérité d’un juge, et ce qui m’y déplaît, le biffer comme de la plume d’un correcteur ».
Les Révisions se composent ainsi d’une série de notices – 93 au total – qui recensent les principaux traités d’Augustin. Pour chacun des ouvrages listés, une notice générale précise le titre, le nombre de livres, le dédicataire, les adversaires éventuels, la date ou les aléas de composition et l’incipit du texte. Augustin se livre également à un travail de correction (reprehensiones) et d’interprétation de certains passages (defensiones), afin de prévenir les contre-sens et les lectures abusives. Le plan chronologique permet au lecteur de mesurer les progrès méthodologiques et doctrinaux accomplis par Augustin.
Il s’agit ici de la notice des Révisions consacrée à un ouvrage exégétique d’Augustin, les Questions sur l’Heptateuque. Cette page se distingue par deux initiales ornées de couleur bleue et rouge. Le manuscrit s’arrête au milieu de la 55e question sur le Livre des Juges, issu de l’Ancien Testament.
Augustin, Les Commentaires des Psaumes
Mont Saint-Michel, troisième quart du XIe siècle
es Enarrationes in Psalmos sont une œuvre à part : tout en étant son œuvre la plus longue, ces différents commentaires sur les psaumes, prêchés et dictés entre 392 et 418 n’ont jamais été rassemblés par Augustin lui-même. C’est son ami et disciple Possidius de Calama, qui – le premier – classe ces commentaires peu après la mort d’Augustin en 430.
Dans sa prédication, Augustin s’appuie pour l’essentiel sur l’ancienne version latine des Psaumes, réalisée dans la seconde moitié du IIe siècle. Verset à verset, on notait les paroles d’Augustin au fur et à mesure qu’il parlait, ce qui donne à la plupart de ces homélies un style vivant en nous faisant entendre tout à la fois les réactions de la foule et les répartiesd’Augustin.
Sur cette page, le Psaume sur les « gémissements de l’Église » est introduit par une lettre ornée E (Ecce). Tracée à l’encre noire, rouge et verte sur fond bleu, celle-ci témoigne d’influences carolingiennes et anglo-saxonnes. Les rinceaux habités laissent entrevoir un lion, un oiseau et un dragon très caractéristiques du Mont.
Augustin, Sermon sur les Écritures Sermon CLXXX
XIIe siècle
' activité quotidienne de l’évêque d’Hippone est très conséquente : en témoignent le millier de sermons qui nous sont parvenus. On sait qu’une bonne part a disparu, puisqu’il aurait prêché presque huit mille sermons au total. Ces sermons pour la plupart improvisés sont ensuite archivés dans la bibliothèque d’Hippone.
On distingue trois catégories de sermons parmi les œuvres d’Augustin : les Commentaires sur les Psaumes, les Commentaires sur l’Évangile et la première Épître de Jean et les Sermons au peuple. Leur lecture nous permet d’avoir accès à la « parole vive » du prédicateur et à la relation qu’il nouait avec son auditoire.
Introduit par une grande initiale de couleur rouge aux prolongements marginaux, le sermon 180 s’intéresse à la thématique du « serment ». Augustin s’attache en particulier à la valeur morale de l’engagement pris et au respect de la parole jurée. Dans la mesure où Dieu est pris comme témoin de l’engagement, celui-ci revêt un caractère sacré ; pour Augustin, un parjure devient alors une trahison envers Dieu lui-même.
Augustin, La grâce de la Nouvelle Alliance
Mont Saint-Michel, début du XIIe siècle
a correspondance d’Augustin renferme un éventail de quelques trois cents lettres (epistulae) aussi nombreuses que variées. Celles-ci vont du simple billet à la « lettre-traité », de la lettre de consolation à la lettre d’invective, en passant par les écrits d’exhortation et de recommandation. Les destinataires eux-mêmes sont très divers puisqu’Augustin s’adresse aussi bien à des hommes qu’à des femmes, à des prêtres qu’à des laïcs, à des chrétiens qu’à des hérétiques ou des païens.
Le De gratia Testamenti noui constitue ce que les spécialistes appellent une « lettre-traité », c’est-à-dire une longue lettre qui dépasse largement le cadre circonstanciel de sa rédaction. Pour son auteur, c’est l’occasion de développer un sujet doctrinal en particulier. Dans cette lettre, Augustin répond aux cinq questions posées par Honoratus, sûrement son ami de jeunesse. Ce traité synthétise son approche sur le libre arbitre et la grâce divine.
Augustin, Contre la lettre de Parménien
XIIe siècle
orsqu’Augustin est élu prêtre, puis devient évêque d’Hippone dans les années 391-395, l’Église d’Afrique est en proie à un violent schisme qui oppose catholiques et donatistes. Ces derniers se présentent comme la seule Église des purs et rejettent le baptême donné par des prêtres catholiques. L’affrontement entre catholiques et donatistes donne souvent lieu à des violences de part et d’autre. Toutefois, il joue une influence décisive dans la réflexion menée par Augustin sur le statut de l’Église, du baptême ou encore sur le rôle de l’État.
Dans le Contra epistulam Parmeniani, Augustin cite abondamment une lettre de l’évêque donatiste de Carthage de 361 à 393, Parménianus. L’objectif est de réaliser une réfutation systématique de ses thèses sur l’Église ou sur le baptême.
Le texte s’ouvre ici par une lettrine ornée M (Multa). Celle-ci semble inachevée, peut-être par manque de temps. L’enlumineur s’est interrompu après avoir appliqué la couleur verte, ce qui est un bon indicateur de la hiérarchie des couleurs. Ainsi, on commence généralement par les aplats de couleurs rouge et vert qui sont les pigments les plus utilisés au XIIe siècle.
Vigile de Thapse, Dispute contre Félicien sur l’unité de la Trinité
Mont Saint-Michel, 1040-1055
a dispute contre les hérétiques constitue un motif récurrent de l’iconographie médiévale. Bon nombre de miniatures du Moyen Âge mettent ainsi en scène l’affrontement de Pères de l’Église contre des hérétiques. Dès la fin du Xe siècle, il n’est pas rare que ce type d’images vienne orner les frontispices des traités antihérétiques. C’est le cas ici de la pleine page qui ouvre le Contra Felicianum Arianum de unitate Trinitatis. Ce traité longtemps attribué à Augustin est, de nos jours, restitué à Vigile, évêque de Thapse (Tunisie actuelle), dans la seconde moitié du Ve siècle.
Ce frontispice du premier âge d’or du scriptorium du Mont est exceptionnel et témoigne de l’importance accordée à l’évêque d’Hippone. La scène représente la controverse entre Augustin et l’arien Félicien sous le patronage du Christ bénissant, dépeint en buste dans le tympan de l’arcade.
De manière codifiée, l’artiste matérialise la supériorité d’Augustin sur son adversaire en apportant un soin particulier à la taille des personnages, à leur posture ou encore aux choix des vêtements. Chacune des trois figures possède une Bible, puisque le débat porte justement sur la nature divine du Christ et l’interprétation du texte. Pour Augustin, dont la gestuelle reproduit le signe de la Trinité, le Christ est parfaitement égal au Père. Pour les ariens, au contraire, le Fils n’est pas de même nature que Dieu et lui est subordonné.
Augustin, De l’Immortalité de l’âme
Mont Saint-Michel, 1055-106
partir de 1670, la congrégation des moines mauristes entreprend d’éditer les œuvres d’Augustin. La bibliothèque du Mont, très riche en écrits de ce Père de l’Église, envoie ses livres à Saint-Germain-des-Prés. On souligne à ce moment-là de nombreux passages à l’encre rouge afin de montrer les points comportant des variantes par rapport aux autres témoins manuscrits.
Le De immortalitate animae est une œuvre particulière : il s’agit d’un aide- mémoire (commonitorium). Celui-ci rassemble des notes prises par Augustin dans les années 386-387 afin d’ajouter un troisième livre à ses Soliloques consacré à l’immortalité de l’âme. Il est publié sans son accord, ce qui explique la difficulté de ce texte où se succèdent les raisonnements parfois abstraits, tout en faisant son intérêt. Cet ouvrage nous permet de saisir la pensée d’Augustin au travail tout en nous montrant sa maîtrise très pointue de la tradition philosophique antique.