Bibliothèque virtuelle
duMont Saint-Michel

Trésors du Moyen Âge. Les collections du Musée de Cluny en voyage (Scriptorial d’Avranches, 29 avril -20 août 2017)

Évangiles de Matthieu et de Marc avec glose

Avranches, BM, 24, ff. 1v-2r

Paris, atelier de Gautier Lebaube, vers 1240-1250

Ce manuscrit a été produit à Paris par l’atelier de Gautier Lebaube, dont l'activité est attestée autour de 1240. Son décor principal est constitué de deux initiales ornées (f. 1r et 97v) et deux initiales historiées (f. 2r et 97v) qui servent à ouvrir les Évangiles de Matthieu et de Marc. Le décor secondaire est constitué de petites initiales filigranées et de pieds de mouche bleus et rouges dans la tradition des productions des XIIIe-XVe siècles.

Le début de l’Évangile de saint Matthieu (f. 2r) est mis en valeur par une belle initiale L figurant l’Arbre de Jessé, thème fréquent dans l’enluminure gothique du début du XIIIe siècle. Malgré la tendance à standardiser leur production, les artistes montrent encore ici une certaine originalité en introduisant par exemple le motif du lapin au sommet de la lettre historiée. Le dessin, où le bleu et le rose soutenu constituent les deux couleurs dominantes, est exécuté d’un trait net et précis. L’usage du fond d’or est une tendance qui se généralise et qui caractérise les ouvrages enluminés à partir du début du XIIIe siècle (ce procédé était encore rare au siècle précédent). Nous retrouvons les mêmes couleurs sur fond d’or dans la lettre ornée P (de Primum) et dans la lettre historiée M (de Marcus evangelista) qui ouvrent l’Évangile de saint Marc au folio 97v. 

Aristote, Éthique à Nicomaque

Glose de Robert Grosseteste

Avranches, BM, 222, ff. 22v-23r

Angleterre ?, vers 1250-1260

Le D de Dicamus est une initiale historiée, établissant un lien entre le décor et le texte. Elle représente un témoignage célèbre de la charité chrétienne en réponse à l’idéal de vertu décrit par Aristote dans le texte. Saint Martin, officier de l’armée romaine, avait fait preuve de générosité en partageant son manteau au profit d’un pauvre transi de froid. C’est donc une manière subtile pour le peintre de christianiser un écrit païen, rédigé par un des auteurs favoris des moines de l’abbaye du Mont Saint-Michel.

Ce manuscrit a été acheté à un maître de la faculté de droit de Paris en 1398, puis donné aux moines du Mont Saint-Michel par l'abbé Pierre Le Roy (1386-1410). Il comporte plusieurs enluminures réalisées sur un fond d’or épais qui illustrent la maîtrise des ateliers laïcs du XIIIe siècle. L'influence anglo-saxonne, perceptible dans ce décor, conduit les spécialistes de l'enluminure à envisager deux hypothèses : il s'agit soit de la production d'un atelier anglais, soit de la production d'un artiste anglais travaillant dans un atelier parisien. La première hypothèse semble la plus vraisemblable, car l'écriture gothique présente elle aussi quelques marques d'influence insulaire.

Aristote, Physique

Avranches, BM, 231, ff. 128v-129r.

Paris, début du XIVe siècle

Ce manuscrit homogène, avec son écriture gothique de grand module et son décor soigné, est un témoignage de la production des ateliers laïcs parisiens de la première moitié du XIVe siècle.

Le traité d’Aristote débute par une belle initiale à dragon. Entouré d’un fond rose/rouge, la lettre Q de Quoniam est peinte en bleu à rehauts blancs. L’intérieur de la lettre est décoré d’un entrelacs de feuillage bleu, rouge et vert sur un fond d’or. Ce type de feuilles trilobées se rencontre surtout à partir du début du XIVe siècle et connaîtra un grand succès dans les décors marginaux des manuscrits de luxe jusqu'à la fin du siècle suivant.

Cette enluminure richement ouvragée illustre une période de transition. La couleur verte, très rare dans les ateliers parisiens des XIIIe-XIVe siècles, la rapproche même des productions normandes des siècles précédents. Elle est dans le même temps prolongée par une antenne rouge et bleue terminée en branche à feuillages, typique du XIVe siècle. Cette incursion dans les marges, encore sage et limitée, se généralisera tout au long des XIVe et XV e siècles.

Jean de Hesdin, Commentaires des épîtres de saint Paul et Explications sur saint Marc

Avranches, BM, 33, ff. 79v-80r

Paris, 1391

L’abbé du Mont Saint-Michel Pierre Le Roy (1386-1410) a établi dans son monastère un enseignement de qualité et a enrichi la bibliothèque en livres scolaires. Six de ces manuscrits nous sont parvenus : ils contiennent des œuvres d’Origène, Thomas d’Aquin, Jean de Hesdin et Aristote (mss 33, 53, 54, 55, 127 et 222). Pierre Le Roy fréquentait aussi à cette époque la cour du roi Charles VI (1380-1422) et faisait partie du conseil royal.

En 1391, l’abbé fit réaliser cette belle copie d’une œuvre de Jean de Hesdin (1320-1412), maître de théologie renommé à la Sorbonne, et en fit don à la bibliothèque de son monastère pour l’usage de tous les moines. Ce sont sans doute les qualités de calligraphe de Jean Cachelart, bachelier, qui incitèrent Pierre Le Roy, maître en décret et en droit canon à la faculté de Paris, à employer son élève comme copiste.

Originaire du diocèse de Quimper, Jean Cachelart était encore à cette époque un jeune étudiant au début de sa carrière de copiste. Il collabore ici avec un artiste talentueux, dont le style et le décor à feuillage et à dragon rappellent ceux du « maître du Policratique de Charles V », avec lequel il collabora à plusieurs reprises pour des commanditaires prestigieux proches de la cour royale au cours des années 1390. Le 14 février 1396, le duc Louis d’Orléans acheta deux Légendes dorées à Jean Cachelart pour la somme de 40 écus d’or. Outre ce manuscrit de la bibliothèque patrimoniale d’Avranches, on lui doit également la copie, entre 1391 et 1403, de plusieurs manuscrits connus et bien documentés.

Dionigi da Borgo San Sepolcro, Commentaire sur l'Histoire romaine de Valère Maxime

Paris, fin du XIVe siècle.

Valère Maxime a composé un florilège de récits traitant de l'histoire romaine à l'intention d'orateurs souhaitant étayer leurs démonstrations d'exemples historiques édifiants. Le commentaire de cette œuvre par Dionigi da Borgo San Sepolcro (v. 1300 ?-1342), ami de Pétrarque et de Boccace, témoigne du regain d'intérêt des érudits italiens pour cette compilation antique dès la première moitié du XIVe siècle

Ce manuscrit, par son décor à feuillage (motifs végétaux de couleur bleu, rouge et or) et à dragon, se rattache aux productions parisiennes de la fin du XIVe siècle et mérite d’être comparé au manuscrit 33 de la bibliothèque patrimoniale d’Avranches (présenté à proximité). La lettre ornée bleue sur fond rouge et or ouvrant le manuscrit 33 comporte en effet des rehauts blancs formant des vaguelettes et des ronds qui rappellent les motifs que l’on retrouve dans cette belle initiale R bleue sur fond rouge et or. Outre les dragons aux pattes et ailes alternées rouges et bleues, nous retrouvons également des tiges à feuilles trilobées rouges et bleues dans la panse des initiales. L’artiste et le copiste de ces deux manuscrits, bien que contemporains et appartenant sans doute à des ateliers parisiens proches, s’influençant mutuellement, sont toutefois bien distincts.

Ordinaire à l’usage du Mont Saint-Michel

Avranches, BM, 216, ff. 26v-27r

Mont Saint-Michel, fin du XIVe siècle-début du XVe siècle

L'Ordinaire fixe le rythme de la vie liturgique. Il indique l'ordonnance générale des offices et des processions dans le sanctuaire. L’importance de cet ouvrage dans l’organisation quotidienne de l’abbaye est attestée par l’usure que présente le parchemin. Ce manuscrit a très probablement été copié au Mont Saint-Michel, où un autre Ordinaire, le manuscrit 46, légèrement plus ancien, contient le même texte.

Il ne comporte que deux pages enluminées (folios 25r et 27r), dont le décor a soit été réalisé par un artiste parisien venu au Mont, soit été exécuté dans un atelier parisien. Elles sont destinées à mettre en valeur un extrait d’un texte de Guillaume Durand, théologien, qui sert d'introduction à l’Ordinaire.

La page est entourée d’un cadre à décor géométrique dont l’extrémité est ornée d’un dragon. Une belle initiale débute le texte ; ses couleurs (bleu, rouge et or) et les motifs qui l’ornent sont comparables aux manuscrits présentés précédemment.

Les décorations marginales alternent des motifs de feuilles à trois lobes, caractéristiques du XIVe siècle, avec des guirlandes de fleurs à quatre pétales et à tiges vertes que l’on retrouve dans les manuscrits du siècle suivant. Cette double influence dans le décor semble révéler une période de transition.

Recueil de légendes et miracles dédiés au Mont Saint-Michel

Normandie ou Paris ?, milieu XVe siècle

L’initiale A de Ange débute une prière à l’ange saint Michel en ancien français : « Ange benenie et esperit de bonté... », « Ange bienveillant et épris de bonté... ». La page présente un encadrement à décor géométrique, alternant des compartiments à fond bleu et rouge, d’où s’échappent des rinceaux de feuilles à trois lobes. Si le décor présente une influence clairement parisienne, sa réalisation peu détaillée et son contenu, tardif (plusieurs textes datent des années 1450) et à forte identité montoise, font pencher en faveur d’une production locale.

L’initiale à dragon, tracée en bleu sur un fond rouge et or, rompt avec les pratiques des années antérieures : le motif du dragon, qui avait un temps quitté les lettres ornées pour prendre place dans le décor des marges (seconde moitié du XIV e et début du XVe siècle), réintègre ici le corps de l'initiale et retrouve ainsi une place qu'il occupait couramment aux XIe- XIIe-XIIIe siècles.