Bibliothèque virtuelle
duMont Saint-Michel

Exposition d’automne – octobre-décembre 2017

Préparation du support : les piqûres et la réglure

Avranches, BM, 68, ff. 1v-2r

Mont Saint-Michel, vers 1015-1035

Avant de copier son texte, le copiste doit d’abord définir sa zone d’écriture (délimitation de l’espace destiné à recevoir le texte). À l’aide d’un poinçon, de la lame d’un couteau ou d’un compas, il perce généralement de petits trous, appelés piqûres, à espaces réguliers de part et d’autre de sa page (dans cet exemple, les piqûres apparaissent au centre des marges extérieures). Puis, à l’aide d’une règle et d’un outil à pointe sèche ou à pointe traçante, il tire les traits formant les lignes de justification (lignes horizontales et verticales servant de cadre aux colonnes destinées à recevoir le texte) et les lignes rectrices (lignes horizontales qui servent à guider le copiste afin que sa ligne d’écriture reste régulière et droite).

En Normandie, jusqu’au début du XIIe siècle, c’est la pointe sèche qui est exclusivement utilisée : cet instrument laisse un profond sillon sur le parchemin, comme c’est le cas dans ce commentaire de la Genèse copié dans le premier tiers du XIe siècle. La pointe sèche présente l’avantage de pouvoir régler en une seule fois le recto et le verso d’un même feuillet. Il peut aussi servir à marquer simultanément plusieurs feuillets, voire un cahier entier, ce qui permet un gain de temps appréciable.

 

 

Préparation du support : la réglure à la pointe sèche

Avranches, BM, 47, ff. 127v-128r

Mont Saint-Michel, vers 1080-1100

Chose rare, cet exemplaire des écrits de Denys l’Aréopagite a la particularité de renfermer un double système de piqûres dans ses marges de gouttière (marges extérieures) : le premier, aux trous nombreux et peu espacés, a servi de guide pour tracer les lignes rectrices marginales, destinées à recevoir le texte des commentaires (écriture marginale de petit module) ; le second, aux trous moins nombreux et plus espacés, a servi de guide pour tracer les lignes rectrices de la partie centrale de la page, destinées à recevoir le texte du traité (écriture en gros caractères). On distingue aisément sur toute la page les profonds sillons laissés par la pointe sèche sur le parchemin.

Ce manuscrit enluminé contient plusieurs lettres ornées zoomorphes (dragons, lions et oiseaux) vertes et rouges. Ces deux couleurs, que l’on retrouve systématiquement dans les titres, caractérisent les productions du Mont Saint-Michel dans le dernier tiers du XIe siècle.

 

 

Préparation du support : la réglure à la mine de plomb

Avranches, BM, 4, ff. 28v-29r

Nord de la France, XIIIe siècle

A partir du début du XIIe siècle , la pointe traçante, qui laisse une marque colorée sur le parchemin, va rapidement remplacer la pointe sèche pour la réglure du parchemin. Cette trace colorée est tantôt métallique (la pointe traçante utilisée est alors la mine de plomb, qui laisse un trait gris comparable à celui de nos crayons à mine modernes), tantôt minérale ou/et carbonée (encre brune, noire ou colorée comparable à celle laissée par la plume du copiste).

Dans ce bel exemplaire des deux premiers livres de la Bible (Genèse et Exode) copié au XIIIe siècle, on distingue les petits trous (piqûres) apparaissant sur les marges extérieures des feuillets. On observe également les traces grises laissées par la mine de plomb sur le parchemin autour du texte. Ces traces ont servi à définir les colonnes destinées à recevoir le texte (celui de la Bible, écrit en grosses lettres et celui du commentaire, écrit en plus petit module), ainsi que les lignes rectrices.

 

 

Hilaire de Poitiers (saint), Commentaire sur l’Évangile de saint Mathieu

Mont Saint-Michel, vers 1070-1090

Cette lettre historiée , représente l’évêque de Poitiers saint Hilaire (vers 315-367) composant son commentaire sur l’Évangile de saint Mathieu : l’auteur est muni d’une plume (main droite) et d’un grattoir (main gauche) destinés respectivement à l’écriture et à la correction de son texte. Dessinée à la plume, cette lettre G est inachevée : l’artiste a commencé à donner du volume et du relief à la végétation à l’aide d’une encre plus foncée, mais n’a pas eu le temps de colorer les différentes parties du décor. Confirmant ce caractère inachevé, plusieurs espaces réservés, en attente de décoration, se rencontrent dans le volume.

Une double influence carolingienne et anglo-saxonne est perceptible dans le décor de cette lettre historiée : lettre zoomorphe (lion) et compartimentée ; végétation foisonnante ; entrelacs réguliers et symétriques aux extrémités ; têtes d’animaux vomissant des volutes végétales, etc. Ces détails sont typiques des productions du Mont Saint-Michel du milieu et de la seconde moitié du XIe siècle. Les titres écrits à l’encre rouge (vermillon : sulfate de mercure), bleue (lapis-lazuli) et verte (mélange de substances végétales et organiques indéterminées) permettent toutefois de repousser cette réalisation dans le dernier tiers de ce siècle. Les usages de la pointe sèche pour la réglure et d’une minuscule caroline arrondie pour l’écriture confirment cette datation.

 

 

Raban Maur, Commentaire sur Judith

Mont Saint-Michel, second ou troisième tiers du XIIe siècle

Originaire de Mayence, Raban Maur (vers 780-856) a été formé à l'abbaye de Fulda (près de Cassel, en Allemagne), où il est devenu écolâtre en 803, puis abbé en 822. Érudit et auteur de nombreuses œuvres (commentaires de la Bible, traités de pédagogie et de grammaire, encyclopédie, poèmes, etc.), il développe le scriptorium et favorise l’enrichissement de la bibliothèque de son monastère, contribuant ainsi à faire de ce lieu l’un des principaux centres spirituels et intellectuels d'Europe occidentale. Parmi ses élèves, on compte quelques-uns des plus brillants esprits de la renaissance carolingienne, tels que Walafrid Strabon (vers 808-849) et Loup de Ferrières (805-862). Tout en restant abbé de Fulda, Raban Maur a terminé sa carrière comme archevêque de Mayence (847-856).

L’écriture caroline compacte et anguleuse du texte correspond à celle du XIIe siècle. Nous retrouvons dans la modeste initiale tricolore qui ouvre ce commentaire les trois couleurs les plus communément utilisées par les moines du Mont Saint-Michel à cette époque : le bleu (lapis-lazuli), le rouge (vermillon) et le vert. Une discrète réglure à la mine de plomb, servant à délimiter l’espace de justification du texte, est observable sur les feuillets qui suivent. Cet usage, nouveau en Normandie à cette époque, suggère la copie de l’ouvrage entre le second et le troisième tiers du XIIe siècle.

 

 

Raban Maur, Commentaire sur Jérémie

Mont Saint-Michel, second ou troisième tiers du XIIe siècle

Comme pour le manuscrit précédent (ms. 111), ce volume contient une œuvre exégétique (commentaire de la Bible) de Raban Maur (vers 780-856) : il s’agit de son commentaire sur Jérémie, que l’abbé de Fulda dédia dans les années 840 à l’empereur Lothaire Ier (840-855), fils de Louis le Pieux.

L’écriture caroline compacte et anguleuse du texte est celle du XIIe siècle. La panse de l’initiale rouge qui ouvre le 6e livre de ce commentaire est habitée par des volutes végétales sur fond vert se terminant par une feuille trilobée. Bien que maladroit, le style est typique des productions normandes des XIe et XIIe siècles. L’espace de justification du texte a été réglé à la mine de plomb, suivant l’usage qui tend à s’imposer en Normandie à partir du second tiers du XIIe siècle. Ce volume, copié au Mont Saint-Michel, l’a probablement été sous l’un de ces trois abbés : Bernard (1131-1149), Geoffroy (1149-1150) ou Robert (1154-1186).

En bas de la page, le chiffre IIIIus (pour quartus) marque la fin du 4e cahier formant ce volume. L’inscription « lib(er) VIus [pour sixtus] incip(it) » signale le commencement du 6e livre. Les citations bibliques sont indiquées par des signes en forme de « S » (pour Scripturae : l’Écriture) inscrits en marge.

 

Saint Jérôme, Commentaire sur les épîtres de saint Paul

Avranches, BM, 71, ff. 1v-2r

Mont Saint-Michel, milieu ou seconde moitié du XIIe siècle

L’analyse de la mise en page, du décor et de l’écriture permet de rattacher ce manuscrit aux productions du scriptorium du Mont Saint-Michel du XIIe siècle.

Bien que la couleur rouge vermillon (sulfate de mercure) soit utilisée seule pour les titres, nous retrouvons l’association du rouge et du vert dans les lettres ornées, dont l’usage s’impose à partir de la seconde moitié du XIe siècle puis se maintient au cours du siècle suivant. Le tracé de cette initiale bicolore est d’ailleurs typique des réalisations montoises du XIIe siècle.

La réglure, servant à délimiter la zone de texte, a été tracée à la mine de plomb : le trait gris laissé par cet instrument est nettement visible dans les marges et sous le texte (lignes rectrices).

L’écriture compacte, anguleuse et brisée, aux lettres ascendantes et descendantes peu développées, trahit la transition qui s’opère alors entre l’écriture caroline, pratiquée depuis l’époque carolingienne (IXe siècle), et l’écriture gothique qui s’impose en Occident du XIIIe au XVe siècle.

Justinien, Digestum novum (avec glose)

France, troisième quart du XIIIe siècle

Ce volume de droit civil (droit romain) renferme une Collection justinienne connue sous le nom de Digeste (le Digestum vetus correspond aux livres I-XXXIV de cette collection et le Digestum novum aux livres XXXIX-L). Le texte du Digeste se trouve au centre, dans un espace justifié sur deux colonnes. Son commentaire envahit les marges, de part et d’autre du texte principal (glose marginale).

L’œuvre débute par la « Dénonciation de nouvel œuvre » (livre XXXIX), action par laquelle on s’oppose en justice à la continuation d’une entreprise qui nous est préjudiciable (action que les Romains appellent novi operis nuntiatio, selon l’expression qui apparaît en rouge dans le titre). Une miniature sert à illustrer ce recours : un groupe de 5 personnes (dont un enfant) munies d’un bâton s’oppose à deux ouvriers bâtissant un édifice (ces derniers portent un outil à la main gauche, symbolisant leur rôle de bâtisseur). Dans cette représentation, c’est donc la construction d’une bâtisse qui est l’objet du litige.

Juste en dessous, une belle lettre ornée « h » rouge et bleue ouvre le texte. On remarque la présence au centre d’une petite tête d’animal, qui semble être celle d’un singe (animal souvent présent dans les ménageries au Moyen Âge).

Sermons dominicaux

Avranches, BM, 133, ff. 37v-38r

Provenance inconnue, fin du XIIIe siècle

Ce recueil de sermons réservés aux dimanches suit le cycle liturgique annuel. Le copiste a parsemé les marges inférieures du volume de dessins, représentant le plus souvent des poissons. Leurs formes allongées font généralement penser à des sardines ou à des girelles. Mais il s’agit plutôt de spécimens sortis tout droit de l’imagination du copiste. Ainsi les nageoires, les écailles et les branchies ne sont que rarement représentées (le poisson de gauche constitue toutefois une remarquable exception). Les poissons sont dans la plupart des cas représentés grossièrement et sans détail, comme c’est le cas dans l’exemple de droite.

Ces dessins montrent que les marges pouvaient servir d’espace de liberté au copiste. Il s’en sert parfois pour se détendre au cours de sa longue et fastidieuse activité de transcription.

 

Barthélemy de Urbino, Milleloquium Ambrosii

Avranches, BM, 64, ff. 9v-10r

Provenance inconnue, seconde moitié du XVe siècle

BBarthélemy de Urbino (1350) a composé deux recueils regroupant des travaux des Pères de l’Église par thème, suivant un classement alphabétique : le Milleloquium Augustini (qui reproduit quelques 15000 citations de saint Augustin, évêque d’Hippone, classées sous 1081 entrées) et le Milleloquium Ambrosii (organisation thématique des travaux de saint Ambroise, évêque de Milan). Ce volume correspond au troisième des quatre tomes du Milleloquium Ambrosii (le premier tome est perdu ; les tomes 2, 3 et 4 sont conservés à Avranches, respectivement sous les cotes 63, 64 et 65).

Le parchemin, généralement confectionné avec de la peau de vache/veau ou de mouton/agneau (plus rarement de chèvre), constitue le support privilégié pour la confection des manuscrits occidentaux au Moyen Âge. Le papier, inventé en Chine avant notre ère, et déjà en usage dans le monde méditerranéen oriental au IIIe siècle, commence à être employé en Occident à partir du milieu du XIVe siècle. Mais il faut attendre l’invention de l’imprimerie au milieu du siècle suivant pour que ce support commence à véritablement s’imposer. Ainsi, les volumes du Milleloquium Ambrosii de Barthélemy de Urbino copiés dans la seconde moitié du XVe siècle sont les seuls manuscrits provenant de l’abbaye du Mont Saint-Michel antérieurs à 1500 à avoir du papier plutôt que du parchemin comme support.

On observera l’ex-libris, inscrit verticalement entre les deux colonnes du feuillet de droite : Ex libris sancti Michaelis in periculo Maris. Cette marque de possession a été ajoutée au XVIIe siècle par les moines de la Congrégation de Saint-Maur, qui réformèrent l’abbaye du Mont Saint-Michel en 1622.

Bède le Vénérable, De tabernaculo

Avranches, BM, 106, reliure (vers 1660)

Provenance inconnue, XIIe et XIIIe s.

La reliure très endommagée de ce manuscrit permet d’observer des éléments habituellement cachés sous celle-ci.

Les plats supérieur et inférieur sont détachés du dos, qui ne subsiste plus. Cela permet d’apercevoir les 14 cahiers reliés les uns aux autres par des fils cousus autour de ce qu’il reste des quatre nerfs doubles en cuir. Ces derniers étaient autrefois fixés sur les ais en carton des deux plats. Les entre-nerfs ont été renforcés par des bandes de tissu blanc. Les tranchefiles, situées en tête (haut du dos) et en queue (bas du dos), ne sont plus protégées car les coiffes ont disparu. On aperçoit également les gardes protégeant l’intérieur du livre : la garde supérieure est en parchemin, tandis que la garde inférieure est en papier (on peut apercevoir le filigrane représentant un chapeau de cardinal).

Afin de préserver ce volume, une restauration de sa reliure mauriste du XVIIe s. (vers 1660) est indispensable et a été programmée. 

Psautier

feuillet volant feuillet volant

Avranches, BM, R 14-9

Paris, Pierre le Rouge, 1490

Cet incunable (livre imprimé avant le 1er janvier 1501) est un « Psaultier avecques l’exposition sur De Lira en francoys » imprimé à Paris par Pierre le Rouge en 1490. Comme l’indique son titre, il s’agit d’un psautier (recueil contenant les 150 psaumes) accompagné du commentaire du célèbre théologien normand Nicolas de Lyre (v. 1270-1349). Le texte et la gravure sur bois, en noir, ont été imprimés, tandis que l’initiale de couleur rouge et bleue et les pieds-de-mouche de mêmes couleurs ont été ajoutés à la main : il s’agit donc d’un ouvrage mêlant caractères imprimés et caractères manuscrits.

Ce livre a appartenu au moine, prieur et historien du Mont Saint-Michel Sébastien Ernault (XVIe siècle), comme le précisent plusieurs mentions manuscrites de sa main apposées en rouge en début d’ouvrage : un ex-libris et sa signature ont été inscrits sur la page de titre ; on peut lire, sur la page suivante, au début du prologue, « Sebastianus Ernault me possidet » (Sébastien Ernault me possède).