Apparat critique
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De abbatibus Montis Sancti Michaelis in periculo marisapparat
inscriptio : de abbatibus hujus loci rubrica abreviata
Histoire des abbés du Mont Saint-Michel au péril de la mer
Possesseur : Bibliothèque patrimoniale d'Avranches
Cote : Avranches, Bibliothèque patrimoniale, ms 213, fol. 178-181v.
Langue : Latin
Date : xve siècle (vers 1400)
Édition(s) :
- Pierre Bouet, Olivier Desbordes, Marie Bisson et Stéphane Lecouteux, « Écrire l’histoire des abbés du Mont Saint-Michel 3. Édition critique et traduction », Tabularia [En ligne], Sources en ligne, mis en ligne le 12 juillet 2019, consulté le 14 décembre 2021. URL : http://journals.openedition.org/tabularia/3773 ; DOI : https://doi.org/10.4000/tabularia.3773
Bibliographie :
- Stéphane Lecouteux, « Écrire l’histoire des abbés du Mont Saint-Michel 1. Les auteurs du De abbatibus », Tabularia [En ligne], Sources en ligne, mis en ligne le 24 novembre 2017, consulté le 14 décembre 2021. URL : http://journals.openedition.org/tabularia/2927 ; DOI : https://doi.org/10.4000/tabularia.2927
- Stéphane Lecouteux, « Écrire l’histoire des abbés du Mont Saint-Michel 2. Robert de Torigni, ses outils, ses sources et sa méthode de travail », Tabularia [En ligne], Sources en ligne, mis en ligne le 22 mai 2018, consulté le 14 décembre 2021. URL : http://journals.openedition.org/tabularia/2973 ; DOI : https://doi.org/10.4000/tabularia.2973
{fol. 178, Avranches_BM_213} Anno ab incarnatione Domini VCo VIo prima revelatione beati Michaelis archangeli in Oriente facta in Monte Gargano sub Zenone imperatore et Gelasio papa, subsecuta est secunda in occiduis partibus in Monte Tumba, imperante Romanis Justiniano Augusto et praesidente eisdem Johanne papa, monarchiam vero regni Francorum tenente Childeberto minore, Abrincatensem autem episcopatum disponente sancto Autberto episcopo, anno Domini VIICo VIIIo. In quo loco exinde per annos fere CCos LXIII multa miracula per beatum Michaelem archangelum patrata sunt et per totum illud spatium ibidem canonici canonicis successerunt.
La première révélation du bienheureux archange Michel se produisit en Orient, sur le Mont Gargancommentaire
Vers la fin du viie ou au début du viiie siècle, un clerc mit par écrit le récit de la fondation du sanctuaire dédié à l’archange saint Michel sur le Mont Gargan en Pouille. Ce Liber de apparitione sancti Michaelis in Monte Gargano (BHL 5948), également désigné Memoriam – qui est le premier mot du texte –, a connu une large diffusion en Europe ; cf. V. Sivo, édition du Liber in Bouet et al., 2003, p. 1-4 ; Bouet et Desbordes, 2009, p. 113-135 : édition, traduction et commentaire du texte recueilli dans le ms. 211 de la Bibliothèque municipale d’Avranches (fol. 156-161, fin xe-début xie s.). L’auteur de la première partie du De abbatibus, Robert de Torigni (1110-1186) (voir Lecouteux, 2017), se réfère à un état du texte interpolé précisant les noms du pape (Gelasius), de l’empereur (Zeno) et de l’évêque de Siponto (Laurentius), tel qu’on les trouve dans les mss 213 (xive s.), fol. 95-97, et 211 (xve s.), fol. 1-4v, de la Bibliothèque municipale d’Avranches (ibidem, p. 113, n. 4, et 125, n. 2) ; cf. Lecouteux, 2018, p. 20-21. Les noms des pape et empereur pour l’année 506 sont incorrects (voir notes suivantes)., en l’an 506 de l’incarnation du Seigneur, sous l’empereur Zénoncommentaire
Zénon régna sur l’Empire romain d’Orient de 474 à 491. À cette époque, l’Apulie et la Calabre dépendaient de Constantinople. En 506, l’empereur romain d’Orient était Anastase Ier, qui régna de 491 à 518. – Un manuscrit du Liber pontificalis présente à la suite du nom de Zénon dans la notice consacrée au pape Gélase (LI) l’interpolation suivante : Hujus temporibus inventa est aecclesia sancti angeli in monte Gargano (cf. Liber pontificalis, 1886, p. 255 et n. 2, p. 256). et sous le pape Gélasecommentaire
Gélase fut évêque de Rome de 492 à 496. Contrairement au Memoriam (VI), le Liber pontificalis (LI) ne fait pas état de l’intervention de ce pape dans la fondation du sanctuaire du Mont Gargan. Il rapporte, en revanche, chap. LIII, que le pape Symmaque, qui occupa le siège de Rome de 498 à 514, agrandit une église de Rome dédiée à l’archange Michel (Item ad archangelum Michahel basilicam ampliavit [cf. Liber pontificalis, 1886, p. 255, p. 262 et n. 36, p. 268]). ; la seconde eut lieu en Occident, sur le Mont Tombecommentaire
Le récit de l’apparition de l’archange saint Michel sur le mont Tombe est connu par un texte rédigé au début du ixe siècle par un clerc montois, la Revelatio ecclesiae sancti Michaelis archangeli in Monte qui dicitur Tumba (BHL 5951) ; cf. Bouet et Desbordes, 2009, p. 29-109., en l’an du Seigneur 708, alors que Justinien Auguste était empereur des Romainscommentaire
L’empereur Justinien évoqué dans le texte est nécessairement Justinien II, dit Rhinotmète (« Nez coupé »), qui gouverna de 685 à 695, puis de 705 à 711., que le pape Jeancommentaire
Au début du viiie siècle, deux papes se succédèrent sous le nom de Jean : Jean VI (701-705) et Jean VII (705-707). Mais en 708, le siège de Rome fut occupé par Sisinius (708) et Constantin Ier (708-715). exerçait sur eux son autorité, que d’autre part Childebert le Jeunecommentaire
Trois rois portèrent ce nom en Gaule sous les Mérovingiens : Childebert Ier (511-558), troisième fils de Clovis, qui hérita de Paris comme capitale ; Childebert II (575-596), qui gouverna l’Austrasie et la Bourgogne ; Childebert III (695-711), le seul qui régna sur les trois regna : Austrasie, Bourgogne et Neustrie, comme le précise la Revelatio (I, 1). C’est donc ce dernier qui est désigné ici. La qualification de minor s’explique sans doute par le fait que Childebert était le second fils de Thierry III – Clovis IV (691-695) étant l’aîné. Cf. Bouet et Desbordes, 2009, p. 68-70. occupait le trône du royaume des Francs et que le saint évêque Aubert administrait l’évêché d’Avranchescommentaire
Le texte de la Revelatio est le seul document antérieur à l’an mille qui donne le nom d’Aubert. Est-ce un nom inventé par le clerc du ixe siècle ou celui d’un authentique évêque sur l’existence duquel nous n’aurions conservé aucun témoignage ? Aubert pourrait avoir été installé évêque d’Avranches lors de la prise du pouvoir par Pépin II de Herstal en Neustrie à partir de 687 ; cf. Lelegard, 1967, p. 29-52 ; Bouet et Desbordes, 2009, p. 70-73.. À cet endroit, depuis lors, pendant près de deux cent soixante-trois ans, s’accomplirent par l’intercession du bienheureux archange Michel de nombreux miracles, et durant tout cet intervalle, des chanoines y succédèrent à des chanoinescommentaire
Cf. Revelatio (VII, 2). Sur ce paragraphe, cf. Lecouteux, 2018, p. 28-29 ; p. 52..
Anno Domini IXC LXVIo Ricardus primus, dux Normannorum, videns negligentiam canonicorum circa agenda divina in Monte consistentium, ipsos negligentes de Monte expulit et monachos religiosos undecumqueapparat
undeci(m)q(ue) ms. congregatos ibidem posuit et Mainardum, virum summae religionis, primum illis abbatem praefecit, de monasterio Fontinellaeapparat
fontanellae Labbe ; at vide Rob. de Tor., de immutatione… (p. 194, 1-3 [éd. Delisle]) : abbatiam sancti wandregisili, quam fontinellam antiquitus vocaverunt, reaedificavit. – quod nunc Sancti Wandregisili vocant – assumptum cumapparat
con ms. venerabili nepote suo Mainardo et aliis religiosis monachis. Ipsum vero locum praedictus papa Johannes et Lotharius, rex Francorum, et Ricardus, dux Normannorum, magnis privilegiis munierunt. Hic praedictus Mainardus per V annos et eo amplius rexit monasterium Sancti Wandregisili, antequam veniret ad regimen Montis.
En l’an du Seigneur 966commentaire
À partir des années 960, le comte de Rouen, Richard Ier (942-996) soutint la restauration de plusieurs monastères du duché, mis à mal par les destructions des Vikings au siècle précédent : Saint-Wandrille et Saint-Ouen de Rouen vers 960, le Mont Saint-Michel en 965/966 et Saint-Taurin d’Évreux dans les années ultérieures. Pour le Mont, selon l’Introductio monachorum (VIII, 1), dans Bouet et Desbordes, 2009, p. 214-215, le duc Richard Ier aurait fait appel à Mainard. Sur les notices des années 966-1009, cf. Lecouteux, 2018, p. 7-8 ; 29-30 ; 53-55., constatant la négligence des chanoines résidant sur le Mont dans l’accomplissement du culte de Dieu, Richard Ier, duc des Normands, chassa ces négligents du Mont, et il y établit des moines d’une grande piété, qu’il avait rassemblés de partoutcommentaire
Undecimque est le produit d’une mauvaise lecture des jambages de l’adverbe undecunque : en effet, la source du De abbatibus est ici l’Introductio monachorum VII, 1 : aggregatis undecumque idoneis in sancta religione monachis. Une confirmation indirecte de cette leçon est apportée par l’Inventio et miracula sancti Vulfranni (Laporte, 1938, p. 34) : […] Denique ad montem sancti archangeli compulerunt (sc. Nortmannorum dux et primates ejus) migrare (sc. Mainardum), quatinus, canonicis inde eliminatis, monachos quibus praeesset in regulari disciplina deberet undecumque aggregare.. À leur tête, il installa comme abbé Mainard Ier, un homme d’une profonde piété, qu’il avait fait venir du monastère de Fontenelle – qu’on appelle maintenant Saint-Wandrille –, avec son vénérable neveu, Mainard, et d’autres moines d’une grande piété. Et ce lieu reçut dudit pape Jeancommentaire
Le pape Jean XIII (965-972) aurait, selon les Brèves annales du Mont Saint-Michel et l’Introductio monachorum, rédigé une bulle en faveur de la fondation du monastère bénédictin sur le Mont ; mais ce document semble être un faux forgé au cours du xie siècle, à une époque où les moines tentaient d’établir l’un des leurs sur le siège abbatial, c’est-à-dire en 1027, vers 1048 ou entre 1058 et 1060. Cependant, une intervention du pape en faveur de l’initiative du duc de Normandie reste vraisemblable ; cf. Gazeau, 2007, t. II,p. 198 ; Bouet et Desbordes, 2009, p. 157-158., de Lothairecommentaire
Le roi de France, Lothaire (954-986), confirma la réforme bénédictine décidée par le duc Richard Ier et l’archevêque de Rouen, Hugues. Ce document est un acte authentique – dont l’original a été perdu –, interpolé au xie siècle : on y a intercalé la fausse bulle du pape Jean XIII. Il a été émis le 7 février 966 ; cf. Gazeau, 2007, t. II, p. 198 ; Bouet et Desbordes, 2009, p. 158-159., le roi des Francs, et de Richard, le duc des Normands, d’importants privilèges. Avant de venir diriger le Mont, ledit Mainard avait dirigé pendant cinq ans et plus le monastère de Saint-Wandrillecommentaire
D’après la tradition, ce Mainard, originaire de Flandre, aurait gouverné Saint-Wandrille de 960 à 965/966, puis le Mont de 965/966 à 991 ; cf. l’Introductio monachorum (BHL 5952) dans Bouet et Desbordes, 2009, p. 149-225 ; Laporte, 1967a, p. 53-80 ; Gazeau, 2007, t. I, p. 202-211 ; t. II, p. 197-198 et p. 331-332..
Anno IXCo XCIo primo Mainardo successit Mainardus secundus, nepos ejus et prior ejusdem loci. Hujus tempore combustum fuit istud monasterium cumapparat
con ms. omnibus officinis.
En 991, à Mainard Ier succéda Mainard IIcommentaire
Mainard II était également abbé de Saint-Sauveur de Redon en Bretagne, et c’est dans cet établissement qu’il se retira après sa démission ; cf. Gazeau, 2007, t. II, p. 198-200., son neveu et le prieur du lieu. Du temps de Mainard II, le monastère brûla, ainsi que tous les bâtimentscommentaire
L’incendie du monastère se produisit peu après l’installation de l’abbé Mainard II, en 992, si l’on en croit Le Roy, 1878, t. I, p. 97-98. Il causa des dommages non seulement à l’abbatiale (monasterium), mais aussi aux bâtiments conventuels (cum omnibus officinis) ; cf. Laporte, 1967a, p. 63-67..
{fol. 178 v°, Avranches_BM_213}Anno Mo IXo secundus Mainardus jam gravatus senio elegit successorem sibi domnum Hildebertum, monachum ejusdem loci. Tempore istius repertum fuit corpus beati Autberti, quod absconditum fueratapparat
fuerat add. a. m. supra lineam a canonicis. Isti successit secundus Hildebertus, nepos ejus, tamen nescio quo anno, sed tempore suo mulier peperit in arenis. Et inchoata fuit nova ecclesia beati Michaelis a Richardo secundo duce et ipso Hildeberto, scilicet anno Mo XXIIIo, et eodem anno obiit.
En 1009, Mainard II, éprouvant alors les atteintes du grand âge, choisit pour lui succéder Dom Hildebert, un moine du lieucommentaire
Hildebert Ier dirigea le monastère montois de 1009 à 1017 environ ; cf. Gazeau, 2007, t. II, p. 200-202 ; Lecouteux, 2018, p. 30 ; 66-67.. C’est du temps de ce dernier que fut découvert le corps du bienheureux Aubertcommentaire
C’est sous l’abbatiat d’Hildebert que, selon le De translatione et miraculis beati Autberti, on redécouvrit dans la soupente d’un toit de cellule les restes que l’on crut être ceux de saint Aubert : le chanoine Bernier, contraint de quitter sa cellule en 965, y aurait caché les ossements de l’évêque. Ils furent découverts près d’un demi-siècle plus tard, vers 1012. Constatant, lors de leur expertise, la présence d’un orifice sur le crâne, les moines imaginèrent que ce trou avait été causé par le doigt de l’archange saint Michel, lorsque celui-ci, irrité des atermoiements de l’évêque, le visita pour la troisième fois ; cf. De translatione dans Bouet et Desbordes, 2009, p. 229-255. La découverte des restes d’Aubert n’entraîna pas la composition immédiate d’une liturgie dédiée au saint évêque d’Avranches : dans le Sacramentaire du Mont (ms. New York, Pierpont Morgan Library, 641, daté du milieu du xie s.), la liturgie concernant Aubert n’est pas de première main : elle a été ajoutée après coup, dans la seconde moitié du xie siècle. Probablement apparue au Mont sous l’abbatiat de Renouf (1061-1084), soucieux de la promotion d’un culte local, elle est donc contemporaine de la rédaction de l’Introductio monachorum, qui marque la naissance du culte officiel d’Aubert., que les chanoines avaient caché. À Hildebert Ier succéda Hildebert IIcommentaire
Hildebert II succéda à son oncle Hildebert Ier vers 1017. Il gouverna le Mont jusqu’à sa mort, en 1023 ; cf. Gazeau, 2007, t. II, p. 202., son neveu, mais j’ignore en quelle annéecommentaire
Cette remarque montre que la date de la mort d’Hildebert Ier et celle de l’accession d’Hildebert II, son neveu, n’étaient plus connues au moment de la rédaction du De abbatibus, c’est-à-dire plus d’un siècle après les faits, vers 1154 ; voir Lecouteux, 2017. ; quoi qu’il en soit, c’est de son temps qu’une femme enfanta sur la grèvecommentaire
C’est sous son abbatiat – ou peut-être sous celui d’Hildebert Ier – que se serait produit le plus illustre miracle accompli par l’archange, rapporté par les Miracula sancti Michaelis (BHL 5952) : une femme de la région de Lisieux, venue en pèlerinage au Mont, fut surprise au retour par la montée rapide de la marée ; elle accoucha sur les grèves, cernée par les eaux, qui lui laissèrent un espace libre pour enfanter ; cf. Bouet et Desbordes, 2009, p. 325-329.. Et la nouvelle église du bienheureux Michel fut mise en chantiercommentaire
Hildebert II commença sans doute la construction de l’abbatiale par la crypte orientale et le chœur roman, qui s’écroula au xve siècle ; cf. Laporte, 1967a, p. 63-67 ; Gazeau, 2007, t. II, p. 202. par le duc Richard II et ledit Hildebert II en 1023. Celui-ci mourut cette même année.
Eodem anno Suppo, abbas Fructuariensis, suscepitapparat
succepit ms. corr. Labbe dominiumapparat
dōnū ms. corr. Bisson abbatiae Sancti Michaelis ; et, dum laboraret in renuntiatione Fructuariensis monasterii et in adeptione integra Montis Sancti Michaelis, duo abbates rexerunt abbatiam Sancti M[ichaelis], unus videlicet Almodus nomine, abbas Cerasiiapparat
cesarii ms. corr. Labbe, alter Theodoricus, abbas Gemetiensisapparat
gemeticensis Labbe fort. recte ; et hic habuit etiam in custodia sua monasterium Bernay. Ii duo requiescunt in suis abbatiis praedictis.
La même année [1023], Suppon, abbé de Fruttuaria, assuma le gouvernement de l’abbaye Saint-Michel ; et tandis qu’il se démenait pour renoncer au monastère de Fruttuaria et assumer pleinement la charge du Mont Saint-Michel, deux abbés dirigèrent l’abbayecommentaire
Ce paragraphe est une reconstruction élaborée par Robert de Torigni, lequel tente de concilier plusieurs sources contradictoires, en particulier les Annales du Mont Saint-Michel (ms 211), le catalogue des abbés du Mont, les archives de l’abbaye et, peut-être, les Annales de Jumièges (Laporte, 1954). Suppon, qui n’était encore qu’un simple moine en 1027, devint abbé du Mont en 1033 et abbé de Fruttuaria, son monastère d’origine, en 1042. Il cumula les deux abbatiats de 1042 à 1048 environ ; cf. Lecouteux, 2018, p. 30-37. : à savoir d’abord Aumode, abbé de Cerisy, puis Thierry, abbé de Jumièges – lequel reçut aussi en garde le monastère de Bernaycommentaire
Thierry, mort en 1027 – et non en 1036, comme les Annales de Jumièges l’indiquent tardivement par erreur –, précéda Aumode au Mont et Raoul à Bernay. Abbé de Jumièges de 1017 à 1027, il cumula cet abbatiat avec celui du Mont Saint-Michel à partir de 1023 ; il devint en outre gardien (custos) de Bernay à partir de 1025. Il mourut le 17 mai 1027 et fut inhumé dans l’abbaye de Jumièges. Aumode, un Manceau, lui succéda au Mont de 1027 à 1032. Il fut relevé de sa charge en 1032, pour des raisons obscures, par le duc Robert le Magnifique, qui lui confia l’abbatiat de sa nouvelle fondation à Cerisy-la-Forêt. Aumode y mourut l’année suivante, le 17 mai 1033, et y fut inhumé ; cf. Laporte, 1967a, p. 63-67 ; Gazeau, 2007, t. II, p. 30-32, 147-149 et 203-205 ; Lecouteux, 2018, p. 30-37.. Ils reposent tous deux dans leurs abbayes respectives.
Anno Mo XXXIIIo †extegro†apparat
ex integro fort. legendum ordinatus fuit Suppo abbas hujus loci. Hic in eadem abbatia multa bona fecit in aedificatione ecclesiae, libros et alia ornamenta componendo, siquidem magnum calicem et crucifixum et IIos angelos deargentatos et alia plurima. Distribuit etiam terras istius loci optimatibus patriae et propter odium monachorum recessit de abbatia et reversus est ad solum propriumapparat
post proprium adscripsit parcat sibi deus a. m..
En 1033, Suppon fut béni […]commentaire
Le manuscrit porte ici *extegro – corruption probable d’ex integro, qu’on traduira par « réellement », « complètement ». abbé du lieu. Au cours de son abbatiat, il contribua activement à la construction de l’églisecommentaire
Suppon poursuivit au Mont l’œuvre commencée par Hildebert II : il s’agit vraisemblablement de l’achèvement du chœur roman, de lacrypte Saint-Martin et de celle des Trente Cierges, qui soutiennent les deux bras du transept. On édifia sous l’abbatiat suivant les piliers de la croisée du transept. et y fit déposer des livres et d’autres ornements, notamment un grand calice, une croix, deux anges argentés et quantité d’autres objetscommentaire
Cf. la description du calice et de la patène, avec le texte des inscriptions latines qu’ils portaient, dans Neustria pia, p. 384-385.. Il distribua aussi des terres du monastère à de grands personnages de la régioncommentaire
Le cartulaire de l’abbaye (ms. 210, fol. 81-89) contient des copies des chartes, rédigées sous l’abbé Renouf, de restitution de terres perdues sous Suppon., et comme il était en butte à l’hostilité des moines, il quitta l’abbaye et rentra dans son payscommentaire
Les moines du Mont accusaient leur abbé Suppon d’avoir dilapidé certains biens du monastère. Une charte de Guillaume le Conquérant confirme le retour au monastère montois du Moulin de Vains, dit Moulin-le-Comte, que Suppon avait donné à un certain Renouf, en dépit de l’opposition des moines : Suppo abbas contra jus fasque idem molendinum dedit Ranulfo monetario, monachis id contradicentibus ; cf. M. Fauroux, Recueil des actes des ducs de Normandie de 911 à 1066, Caen, Caron, 1961, p. 333, no 148. Suppon quitta le Mont vers 1048, sans démissionner, et se retira à l’abbaye de Fruttuaria, dont il était alors l’abbé. C’est là qu’il mourut en 1061 ; cf. Laporte, 1967a, p. 63-67 ; Gazeau, 2007, t. II, p. 205-207..
Anno Mo XLVIIIo Radulphus, monachus Fiscannensis, vir strenuae nobilitatis, suscepit regimen istius monasterii et in aedificatione ecclesiae viriliter laboravit, aedificando supra chorum IIIIor columnas turris et arcus super eas, quibus Bernardus abbas postea turrem superposuit. Hic etiam Radulphus fuit custos monasterii Bernay. Obiit in itinere Jerusalem, anno Mo Lo VIIIo. Requiescit in porticu ecclesiae.
En 1048, Raoul, moine de Fécampcommentaire
Raoul, moine de Fécamp et custos de Bernay (de 1027 à 1048), fut imposé par le duc Guillaume du vivant de Suppon. Il dirigea le monastère de 1048 à 1058. Sur les dates controversées de son abbatiat, cf. Laporte, 1967a, p. 63-67 ; Gazeau, 2007, t. II, p. 207-208 ; Lecouteux, 2018, p. 8-9 ; 38-40 ; 67-68., homme d’une haute noblesse, se vit confier la direction du monastère, et il œuvra énergiquement à la construction de l’église, élevant au-dessus du chœur les quatre piliers de la tour et, sur ces piliers, les arcs sur lesquels l’abbé Bernard fit par la suite édifier la tourcommentaire
Raoul aurait fait édifier les quatre piliers de la croisée et leurs arcs (quattuor columnas et arcus), sur lesquels sera par la suite posée la tour de croisée : le « chœur » (chorus) désigne la partie de l’église réservée aux moines ou clercs qui chantent l’office et comprenant la partie du transept où s’élève la tour de croisée.. Raoul fut également le gardien du monastère de Bernay. Il mourut lors de son voyage à Jérusalem en 1058commentaire
Il effectua le voyage en Terre Sainte, sans qu’on puisse préciser avec certitude la date de ce voyage et celle de sa mort. Selon Huynes, 1872-1873, t. I, p. 157, exploitant le Chronicon majus Sancti Michaelis de Monte, aujourd’hui perdu, il serait mort à son retour de Jérusalem, le 29 juillet 1058.. Il repose sous le porche de l’églisecommentaire
Sans doute Raoul était-il proche du Mont lorsque son décès survint : on rapatriait rarement les corps de ceux qui mouraient au loin ; cf. le cas bien connu du duc Robert le Magnifique, mort à Nicée en 1035 et inhumé sur place..
Anno Mo LXo, duobus annis interpositis, Ranulphus, a puero monachus monasterii Beati Michaelis, factus est abbas ejusdem loci. Plura bona ibi operatus est, navem scilicet ecclesiae et galariam et sepulturam monachorum et porticum super eam et maceriam quae circuit claustrum et domum sartorum. Fecit ornamenta, scilicet candelabra argentea deaurata et tabulam ante altare et murum castelli Montis qui est a septentrione. Hic misit Guillelmo, duci Normanniae, qui sibi subjugaverat regnum Angliae, IIIIor monachorum suorum, [fol. 179] videlicet Rualem priorem, postea abbatemapparat
abbate ms. corr. Labbe Hydaeapparat
hilde ms. apud Wintoniam, Scollandumapparat
escollandum ms. escollaudum Bisson scollaudum Labbe thesaurarium, postea abbatem Sancti Augustini Cantuariaeapparat
canť ms. cantuariensis Bisson, et Serlonem, strenuae nobilitatis et religionis juvenemapparat
post juvenem add. postea Labbe, aedificatorem et abbatem Sancti Petri Glocestriaeapparat
glocest(r)i ms. corr. Bisson glocestrensis Labbe ; fort. gloecestriae scribendum ut persaepe in Rob. de Tor. Chron. legitur, et Guillelmum de Agon, abbatem Cerneliensem.
En 1060, après un intervalle de deux ans, Renoufcommentaire
Renouf fut élu abbé du Mont après une vacance de deux ans – entre 1058 et 1060, selon le De abbatibus. Il avait dirigé le monastère en qualité de prieur pendant le voyage de Raoul à Jérusalem et sans doute également pendant la vacance qui suivit la mort de Raoul. Renouf mourut le 19 décembre 1084, après un abbatiat de 23 ans (cf. Laporte, 1967a, p. 63-67 ; Gazeau, 2007, t. II, p. 209-211). C’est lui qui, en 1061, conclut une importante convention entre Jean d’Ivry, évêque d’Avranches, et les moines du Mont en vue d’harmoniser les relations entre le monastère et l’évêché, ce dont ne parle pas le De abbatibus (cf. Bouet et Desbordes, 2009, p. 375-378 ; Lecouteux, 2018, p. 38-40 ; 67-68)., moine du monastère du bienheureux Michel, où il avait été reçu enfant, devint l’abbé du lieu. Il accomplit un grand nombre de belles réalisations, à savoir : la nef de l’église, une galerie, le cimetière des moines, le porche situé au-dessus, le mur qui entoure le cloître et la demeure des artisanscommentaire
Renouf fit édifier la nef (navis) de l’abbatiale et plusieurs autres bâtiments, notamment dans la partie occidentale du Mont. Il construisit, en effet, une « galerie » (galeria, terme inconnu du latin classique et du latin tardif), soit un cryptoportique permettant la communication entre les cryptes, soit une galerie du cloître. Il aménagea le cimetière des moines sous la partie occidentale de la nef, sur laquelle il éleva le porche de l’église abbatiale. À propos de ce cimetière, la Neustria pia indique (p. 385) qu’il fit creuser le rocher pour aménager une grotte souterraine : subterraneum specum, rupe incisa, in monachorum sepulturam parat, tandis que la Gallia christiana parle d’un cimetière subter majori ecclesia. Il fit élever, en outre, un mur (maceria) autour du cloître (claustrum) : ce mur extérieur entourait sans doute les galeries en bois du cloître, comme l’avait compris Dom Thomas Le Roy (Le Roy, 1878, t. I, p. 127). Quant à la domus sartorum, il s’agit vraisemblablement d’une demeure pour artisans, la présence desquels était indispensable pour l’entretien des bâtiments, voire d’une demeure pour les personnes chargées de l’entretien des ornements et des vêtements, comme le suggère le verbe sarcire (« réparer », « raccommoder »). Il édifia également une muraille fortifiant une entrée du monastère (castellum) située au nord. Sur cette notice, voir Lecouteux, 2018, p. 40.. Il fit fabriquer des ornements, à savoir des candélabres en argent doré, un panneau d’autel et le mur nord de la fortification du Mont. Il envoya auprès de Guillaume, duc de Normandie, qui avait soumis le royaume d’Angleterre à son autorité, quatre de ses moinescommentaire
Il envoya à Guillaume en Angleterre six navires armés aux frais du monastère, sur lesquels se trouvaient plusieurs moines montois, contribuant ainsi à l’encadrement de la nouvelle Église d’outre-Manche : Ruauld fut abbé de 1072 à 1088, Scolland de 1070 à 1087, Serlon de 1072 à 1104 et Guillaume d’Agon de 1093 à 1095. : le prieur Ruauld, qui devint abbé de Hyde à Winchestercommentaire
En réalité, Ruauld devint abbé de New Minster à Winchester : au bas de l’acte consacrant la primatie de l’archevêque de Cantorbéry sur l’archevêque d’York figure « Rualodus [sic] abbas Novi Monasterii Wentoniae ». Ce n’est qu’en 1110 que cette abbaye fut déplacée et reconstruite hors les murs, dans un endroit – Hyde Mead ou Hyde Meadow – qui lui donna son nouveau nom, Hyde Abbey ; cf. ms. British Library, Harley 1761, fol. 17 : A.D. MCX Remotio Novi Monasterii extra civitatem usque ad Hydam. – A.D. MCXI Translatio reliquiarum Novi Monasterii a civitate Wintonia usque ad Hidam (cité in Monasticon Anglicanum, William Dugdale (éd.), vol. II, Londres, James Bohn, 1846, p. 429, col. A, note g)., le trésorier Scollandcommentaire
La forme exacte du nom de Scolland, Scollandus, est donnée par le ms. Avranches, BM 103, dans la souscription duquel il figure en capitale, fol. 220 v, comme les noms des cinq autres copistes qui se sont partagé avec lui la transcription d’un exemplaire des Homélies de Grégoire le Grand., qui devint abbé de Saint-Augustin de Cantorbéry, ainsi que Serlon, jeune homme d’une haute noblesse et d’une grande piété, qui fit reconstruire l’abbaye Saint-Pierre de Gloucester, dont il était devenu l’abbé, et Guillaume d’Agon, qui fut abbé de Cerne.
Anno Mo LXXXIIIo obiit Mathildis, regina Anglorum, uxor Guillelmi regis, dispensata vero per XXIII annos a Ranulfo abbate administratione monasterii Beati M[ichaelis] optime, propter hoc quod multas de terris ecclesiae <…> propinquis suis largitus est. Iste R[anulfus] requiescit in porticu ecclesiae.
En 1083 décéda Mathilde, reine des Anglais, épouse du roi Guillaume, tandis que l’abbé Renouf s’était acquitté pendant vingt-trois ans, d’une manière très remarquable, de l’administration du monastère du bienheureux Michel, parce qu’il avait gratifié ses proches <…> de nombreux domaines appartenant à l’églisecommentaire
De toute évidence, le texte présente une lacune : une traduction exacte du texte transmis fait dire à l’auteur qu’il félicite Renouf d’avoir administré l’abbaye remarquablement en distribuant à des proches les terres du monastère ! Il faut rétablir soit une négation devant le verbe, <non> largitus est (« du fait qu’il n’avait pas fait don à ses proches… »), soit une allusion à Suppon, qui avait dilapidé certains domaines, que Renouf récupéra, propter hoc quod multas de terris ecclesiae <recuperavit quas Suppo> propinquis suis largitus est (« […] parce qu’il recouvra les nombreux domaines appartenant à l’église dont Suppon avait gratifié ses proches »). Renouf, en effet, est connu pour avoir augmenté considérablement le patrimoine foncier de l’abbaye par des donations (cure et prieuré de Saint-Brolade, domaine de Villarenton, où sera fondé le prieuré de l’Abbayette, Furqueville, Heiantot, Poterel, Luoth) et pour avoir récupéré le Moulin-le-Comte, vendu par Suppon à Renouf Le Monnoyer, ainsi que la terre de Landiguihu, donnée par ce même Suppon à Rivalon. Le Cartulaire du Mont Saint-Michel (ms. 210, fol. 81-89) contient les chartes de donation et de restitution ; cf. Lecouteux, 2018, p. 41, n. 145.. Renouf repose sous le porche de l’église.
Anno Mo LXXXVo coepit regnare Rogerius, Cadomensis monachus, qui fuerat antea capellanus Guillelmi, regis Anglorum.
En 1085 commença le gouvernement de Rogercommentaire
Roger Ier, moine de Saint-Étienne de Caen, dirigea l’abbaye du Mont de 1085 à 1106 ; cf. Dufief, 1967, p. 82-86 ; Gazeau, 2007, t. II, p. 211-213. Les Annales du Mont Saint-Michel du ms. 211 (a nativitate sancti Johannis usque ad annum 1291) précisent même : Huic [sc. Ranulfo] successit Rogerius Cadomensis, non electione monachorum, sed vi terrenae potestatis. Sur les sources de la présente notice, cf. Lecouteux, 2018, p. 41 ; 57-60., un moine de Caen, qui avait été auparavant chapelain de Guillaume, roi des Anglais.
Anno Mo Co IIo visus est a nonnullis prope ac procul positis sanctus Michael, prout credimus, in figura columnae igneae, nocte scilicet suae ultimae festivitatis, penetrasse basilicam istius Montis. Et simile accidit tempore sancti Mainardi, abbatis hujus loci, et Norgodi, Abrincensis episcopi.
En 1102, plusieurs personnes, qui se trouvaient les unes à côté, les autres au loin, virent saint Michel, comme nous le croyons, entrer sous la forme d’une colonne de feu dans l’église du Mont, la nuit de sa dernière fête. Il était arrivé la même chose du temps de saint Mainard, abbé du lieu, et de Norgod, évêque d’Avranchescommentaire
En 1102, une colonne de feu tomba sur le sommet du Mont, ce qui fut considéré comme une apparition de l’archange saint Michel. L’auteur du De abbatibus a reproduit une notice figurant également dans les Annales mineures du Mont Saint-Michel (ms. 213, fol. 171 [ab anno 506 ad annum 1154]) et se rapportant à l’année 1102 : […] visus est a nonnullis prope ac procul positis sanctus Michael archangelus, prout credimus, in figura columnae igneae, in nocte scilicet suae festivitatis, penetrasse ecclesiam hujus montis. En 992/994, l’évêque d’Avranches, Norgod, ayant cru voir le Mont en flammes, s’était précipité au secours des moines, mais il trouva la communauté indemne. L’abbé Mainard et l’évêque Norgod estimèrent alors que ce « feu [du ciel] ne révélait pas autre chose que la présence des esprits bienheureux » accompagnant l’archange ; cf. Bouet et Desbordes, 2009, p. 312-314..
Anno Mo Co IIIo ciborium totius navis ecclesiae Sancti Michaelis, quod iste Rogerius aedificaverat, in sabbato Paschae corruit, a monachis more solito matutinis peractis. In cujus ruina portio quaedam dormitorii monachorum non minima destructaapparat
dest(r)uta ms. ac subversa est cum omnibus toris et pannis, monachis in eisdem requiescentibus gratia Dei et patrocinio sancti Michaelis sine laesione liberatis.
En 1103, la toiture de toute la nef de l’église de saint Michel, que Roger avait édifiée, s’écroula le samedi de Pâques, alors que les moines avaient célébré matines selon la coutume ; dans sa chute, elle détruisit et anéantit une partie importante du dortoir des moines avec les lits et les couvertures ; cependant, par la grâce de Dieu et la protection de saint Michel, les moines, qui s’y reposaient, en réchappèrent sans le moindre malcommentaire
En 1103, dans la nuit du samedi de Pâques, le ciborium totius navis ecclesiae « construit par l’abbé Roger » s’écroula. Par ciborium, il faut vraisemblablement entendre le voûtement de la nef, qui était peut-être en pierre et non en charpente. En réalité, selon le témoignage de Dom Thomas Le Roy, la nef se serait écroulée à deux reprises : celle que Renouf édifia avant 1084 s’effondra en 1094 ; cf. Le Roy, 1878, t. I, p. 137. L’abbé Roger la reconstruisit « en pierre et en mortier », comme l’affirme la Neustria pia, p. 386 (testitudo basilicae quam Rogerius ipse abbas aedificaverat lapidibus et coemento contexto), et c’est cette nef édifiée par Roger qui s’écroula en 1103, détruisant « une grande partie du dortoir des moines ». Selon la tradition historiographique montoise – cf. les Annales du Mont Saint-Michel, ms. 211, fol. 75 v, ad a. 1103 –, personne ne fut tué, la majorité des moines étant sortie pour chanter matines ; les quelques moines – dispensés d’office ? – qui y dormaient en réchappèrent. Le De abbatibus évoque une situation quelque peu différente : au moment de l’écroulement, les moines ayant fini de chanter matines (matutinis peractis) se trouvaient, soit encore dans l’endroit où ils avaient chanté, soit s’en retournant au dortoir, soit déjà recouchés. Cette fois-ci, la couverture de la nef fut réalisée en bois, ce qui explique l’importance de l’incendie allumé par la foudre en 1112..
Anno Mo Co VIo iste Rogerius dimisit monasterium Beati Michaelis et factus fuit abbas Cerneliensis in Anglia aapparat
ab Labbe ; at vide Rob. de Tor., chron. ad a. 1123 (p. 164, 17 sq. [éd. Delisle]) a henrico, ad a. 1154 (p. 285, 8) a herberto Henrico, duce Normannorum et rege Anglorum. Eodem anno primo Rogerio successit secundus Rogerius, prior Gemmetiensisapparat
gemmeticensis Labbe fort. recte, vir religiosus et sapiens et temporalibus bonis omni tempore regiminis sui abundans.
En 1106, Roger quitta le monastère du bienheureux Michel et devint abbé de Cerne en Angleterre par décision de Henri, duc des Normands et roi des Anglaiscommentaire
L’abbé Roger, en conflit avec les moines, fut contraint à la démission par le roi Henri Ier Beauclerc, auquel les moines s’étaient plaints. Ceux-ci reprochaient à leur abbé d’avoir provoqué le renvoi des moines récalcitrants dans d’autres monastères de Normandie (cf. Gallia christiana, col. 516 : […] quod expulsione fratrum suorum quos rex ad nutum abbatis in varia Normandiae ablegaverat monasteria, desolatus est hic locus […]). L’abbé Roger mourut le 18 octobre 1112 dans l’abbaye deCerne ; cf. Gazeau, 2007, t. II, p. 211-213.. La même année, à Roger Ier succéda Roger II, prieur de Jumiègescommentaire
Roger II, prieur de Saint-Pierre de Jumièges, gouverna le monastère montois de 1106 à 1123 ; cf. Gazeau, 2007, t. II, p. 213-214. Sur les sources de cette notice, cf. Lecouteux, 2018, p. 41., un homme plein de piété et de sagesse et qui fut en possession, durant tout le temps de son administration, de biens temporels en grande quantité.
Anno Mo Co XIIo combusta fuit ecclesia Sancti Michaelis igne fulmineo cum omnibus officinis monachorum, tamen monachis illaesis, matutinos canentibus, et burgo illaeso, quod est mirabile, quareapparat
q(u)ar ms. corr. Bisson est subtus monasterium. Iste fecit multa bona : videlicetapparat
navi ms. sarta tecta totius ecclesiae praeter navem, cujus omne latus aquilonale dudum ceciderat, et omnes officinas quae combustae fuerant reparavit ; et aream [fol. 179 vo] claustri, quae prius erat lignea, lapideam fecit ; et subtus ipsam aulam et cameras nihilominus lapideas et in tertio ordine deorsum stabula equorum, fornicibus super fornices libratis mirabiliter, adaptavit.
En 1112, frappée par la foudre, l’église de saint Michel brûla, ainsi que tous les bâtiments monastiques, sans toutefois que les moines, qui chantaient matines, fussent blessés, et sans que le bourg fût endommagé, ce qui tient du miracle, vu qu’il est en contrebas du monastèrecommentaire
En 1112, le 25 avril, la foudre provoqua un incendie qui détruisit l’abbatiale et les bâtiments conventuels. L’auteur du De abbatibus s’exprime dans les mêmes termes que les Annales du Mont Saint-Michel ; cf. Lecouteux, 2018, p. 9-10 ; 41 ; 60-61. Selon Dom Jean Huynes (Huynes, 1872-1873, t. I, p. 164) et Dom Thomas Le Roy (Le Roy, 1878, t. I, p. 142-143), qui utilisent comme source le Collectarium historiarum monasticarum, aujourd’hui perdu, la foudre réduisit en cendres toute l’église et les lieux réguliers laissant les voûtes, les piliers et murailles à découvert. La chapelle des Trente Cierges fut dévastée également, à l’exception d’une vierge en bois. Le village échappa cependant au désastre.. On doit à Roger II un grand nombre de belles réalisations : il répara la couverture de toute l’église, en plus de la nef, dont le mur nord était tombé quelque temps auparavantcommentaire
Le manuscrit porte la forme navi, qui fait difficulté ; sans doute l’abréviation de videlicet est-elle à l’origine de cette mauvaise lecture. Le texte transmis suggère la restitution suivante : Iste fecit multa bona, videlicet sarta tecta […]. L’expression sarta tecta reparavit ou restauravit se retrouve chez Robert de Torigni : Dux Gaufridus sartatecta turris Rothomagensis et castelli, quae per obsidionem corrupta fuerant, decenter restaurat (Chronique de Robert de Torigni, abbé du Mont Saint-Michel suivie de divers opuscules historiques, L. Delisle (éd.), I, p. 242)., il restaura tous les bâtiments qui avaient brûlé et construisit en pierre le sol du cloître, qui était auparavant en bois. Et sous le cloître, il installa une salle et des chambres, en pierre elles aussi, puis, à un troisième niveau au-dessous, des écuries, en faisant tenir admirablement en équilibre des voûtes sur des voûtescommentaire
L’abbé Roger II se consacra à la remise en état du monastère. Il restaura l’église abbatiale, en particulier la nef, dont le mur nord, écroulé en 1103, n’avait pas encore été relevé. Il restaura également tous les bâtiments conventuels situés au nord (dortoir, hôtellerie, réfectoire), le cloître, dont on remplaça les éléments en bois par de la pierre. L’expression aream claustri suggère que toute la surface au sol du cloître était en bois : l’abbé remplaça par un pavage le plancher du cloître. L’auteur insiste sur le fait que sur trois niveaux, tout reposait sur des voûtes. Cette superposition de salles existe toujours, mais avec une destination différente..
Anno Mo Co XXIIIo, posito itaque baculo pastorali super altare beati Michaelis in festivitate ultima ejusdem loci, Gemmeticum remeavit, habens ex jussione regis XXV marcas argenti ex redditibus ecclesiae Sancti Michaelis annuatimapparat
post annuatim lac. 12 fere litt. praebet ms.. Insequentiapparat
in sequenti Bisson praeeunte HF 1806 ; at vide infra ad a. 1131 sequenti anno mortuus est tamen anno mortuus est. Hoc fuit propter injuriam quandam quam passus fuerat a quodam suo homine : qui calumniabatur quoddam feodum in camera abbatis quod abbas nolebat ei reddere.
En 1123, ayant donc déposé son bâton pastoral sur l’autel du bienheureux Michel lors de la dernière solennité du lieu, Roger II revint à Jumiègescommentaire
En 1123, sur ordre du roi Henri Ier, Roger II dut se démettre de sa charge – il remit son bâton pastoral sur l’autel le 16 octobre – et revenir à Jumièges, où il mourut l’année suivante, le 2 avril ; cf. Gazeau, 2007, t. II, p. 211-213., nanti sur ordre du roi d’une rente annuelle de vingt-cinq marcs d’argent à valoir sur les revenus de l’église de saint Michel. Il mourut cependant l’année suivante. Cela arriva par suite de l’injustice dont il avait été victime de la part d’un de ses hommes, lequel réclamait dans la chambre [de justice] de l’abbé un fief, que ce dernier refusait de lui restituer.
Anno Mo Co XXIIIIo Ricardus, monachus Cluniacensis et pene laicus, sed genere et moribus quantum ad seculum nobilis, factus fuit abbas Sancti Michaelis. Hujus tempore quidam monachus fecit coquinam monachorum lapideam, in qua est modo fabrica. Qua administratione utcumque dispensata per tres annos et dimidium, consilio regis Henrici et Mathei, Albanensis episcopi, Sedis apostolicae legati, curam abbatiae dimisit et ad Sanctum Pancratium Laquis, ubi susceperat monachatum, remeavit. Itaque abbatia fuit in manu regis et absque abbate fere per triennium. Et rex fecit solvere per ministros suos aes alienum quod Ricardus de Mere mutuo acceperat, cujus summa fuit septingentae librae cenomanensium absque usura, quam rex prohibuit reddi.
En 1124, Richardcommentaire
Richard de Méré (début 1124-12 juillet 1128) était sans doute originaire de Méré (Saint-Denis-de-Méré, Calvados). Il fut déposé, lors du concile de Rouen, en octobre 1128, sans doute pour avoir dilapidé les biens du monastère, comme le prouvent les restitutions effectuées sous l’abbatiat de son successeur, Bernard. Il retourna à Lewes, où il mourut le 12 janvier 1131 ; cf. Gazeau, 2007, t. II, p. 214-215., moine clunisien, qui était peu instruitcommentaire
Paene laicus, « presque laïc » : expression désignant un moine pourvu d’une instruction rudimentaire (ignorant le latin ?) ; on la traduit aussi parfois par « semi-laïc ». Comparer Baudri de Bourgueil, Historia magistri Roberti, 8, 4 : l’évêque de Rennes Sylvestre, qualifié par cet auteur de non multum litteratus (8, 2), parle de lui-même comme d’un pene laicus ; et Robert de Torigni, chron. ad a. 1157 (Delisle, 1872-1873, I, p. 304) : Monachi claustrales Cluniaci tumultuaria electione […] quendam semilaicum Rotbertum Grossum […] elegerunt., mais illustre, selon le siècle, par sa naissance et par ses mœurs, fut nommé abbé du <Mont> Saint-Michel. C’est à son époque qu’un moine édifia en pierre la cuisine des moines à l’endroit où se trouve aujourd’hui la fabriquecommentaire
Fabrica peut également désigner « la forge » : on profita du foyer – ou des foyers – destiné à la cuisson des aliments pour y installer une forge.. S’étant acquitté tant bien que mal de son administration pendant trois ans et demi, il quitta la direction de l’abbaye sur décision du roi Henri et de l’évêque Mathieu d’Albano, légat du Siège apostolique, et il regagna Saint-Pancrace de Lewes, où il avait pris l’habit monastique. C’est pourquoi l’abbaye se trouva dans la main du roi et sans abbé durant près de trois ans. Le roi fit rembourser par ses agents la dette que Richard de Méré avait contractée, dont le montant s’élevait à sept cents livres du Mans, sans les intérêts, que le roi interdit de percevoir.
Anno Mo Co XXXIo, Rotomagi, in festivitate sanctae Agathae, rex Henricus dedit abbatiam Montis Bernardo, priori de Cremon, monacho Beccensi, sicut duobus fecerat. Hic multa bona in isto monasterio operatus est in reparatione ordinis, in reaedificatione navis ecclesiae et turris super chorum compositione et totius ecclesiae tam in vitreis quam in litura caementi inter quadros lapides facta decenti illuminatione. Fecit et vas optimum ex auro et argento, in quo posuit caput sancti Auberti. Fecit et duo mediocria signa optima, imitatus Radulphum abbatem, qui fecit signum quod Rollonamapparat
rolľ ms. rollonem Labbe Bisson vocant ad Britones arcendos de finibus Normanniae. Plures etiam malas consuetudines ad laicos pertinentes de ecclesia [fol. 180] Beati Michaelis eliminavit domosque ad opus monachorum apud Tumbam Helenae et Briun aedificavit. In Anglia apud Sanctum Michaelem de Cornubia ecclesiam et officinas monachorum composuit et conventum sub priore XIII monachorum ibi perpetuo futurorum providit, hac conditione interposita, ut prior Cornubiae annuatim vel per se vel per legatum suum visitaret abbatiam Montis in Normannia, afferendo abbati suo XVI marcas argenti. In terris ecclesiae revocandis quae ab antecessoribus suis neglectaeapparat
neglete ms. vel dissipatae erant laborando profuit, et magis proficeret si rex Henricus diu in vita praesenti superstes foret. Huic Bernardo adhuc nondumapparat
nu(n)dum ms. corr. Labbe sepulto praepropera electioneapparat
post electione iter. el ms.ac successit Gauffridus, ejusdem ecclesiae monachus, scilicet anno Mo Co XLo IXo. Hic sequenti anno mortuus est, in maxima calamitate relinquens ecclesiam aere alieno causa ipsius pacis erga comitem. Hic sepultus est in porticu ecclesiae.
En 1131, à Rouen, lors de la fête de sainte Agathe, le roi Henri confia l’abbaye du Mont à Bernardcommentaire
Bernard (5 février 1131-8 mai 1149) fit ses études à Paris, avant de devenir moine au Bec-Hellouin. Son neveu, Étienne de Rouen, est l’auteur du Draco Normannicus. Bernard fut nommé par Henri Ier à la tête du Mont Saint-Michel après une vacance de trois ans ; cf. Gazeau, 2007, t. II, p. 216-218., prieur de Crennecommentaire
Cremon : aucun monastère ne correspond à ce nom. Selon Dom J. Laporte, il faut lire « Crenne », paroisse qui s’appelle aujourd’hui Millebosc. Le prieuré de Saint-Martin-du-Bosc est situé sur la commune d’Incheville en forêt d’Eu (canton de Blangy-sur-Bresle, Seine-Maritime) ; cf. Laporte, 1967b, p. 274 ; Gazeau, 2007, t. II, p. 216, note 201., moine du Bec, comme il l’avait fait pour deux autres. Bernard accomplit dans le monastère nombre de belles actions, restaurant la règle de l’ordre, reconstruisant la nef de l’église, élevant une tour sur le chœur et dotant toute l’église d’une ornementation appropriée, en faisant aussi bien réaliser des vitraux que jointoyer les pierres de taille au mortiercommentaire
Bernard fit élever la tour centrale sur les voûtes de la croisée du transept : le terme chorum englobe tout l’espace où se tenaient les chanteurs (cf. note 33).. Il fit fabriquer en outre un très beau reliquaire en or et en argent, dans lequel il déposa le chef de saint Aubertcommentaire
Robert de Torigni, dans sa chronique (ad a. 1158 ; Delisle, 1872-1873, I, p. 315), rapporte que ce chef était conservé in vase argenteo. Sur ce reliquaire, Bernard avait fait inscrire, selon les témoignages de Dom J. Huynes (ms. Paris, BNF, fr. 18947, fol. 85) etde Dom Thomas Le Roy (Le Roy, 1878, t. I, p. 149) : Caput beati Auberti, hujus loci fundatoris, anno Dei incarnati septem centum illis horis et octavo, Abrincensis episcopi ; foramen sis certus revelatione angelica rei bonae. Voici la traduction qu’en propose Dom J. Huynes, ibid. : « Icy repose la tête de sainct Aubert évesque d’Avranches et fondateur par la révélation angélique de l’église de ce lieu, l’an sept cent huict de l’Incarnation de nostre Seigneur. Sois certain que ce trou est un signe d’une bonne chose ».. Il fit fabriquer encore deux très belles cloches de dimension modeste, imitant l’abbé Raoul, qui avait fait fabriquer, afin de tenir les Bretons éloignés du territoire normand, la cloche que l’on appelle la Rollonnecommentaire
Des différentes significations de signum – « statue », « bannière », « cloche » –, la dernière est ici la seule possible : l’appellation de « Rollonne », attribuée à une précédente cloche – que la Neustria pia, p. 387, nomme Rollonam, « la Rollonne » –, rend ce choix évident. Ces cloches ont été fondues pour sonner le tocsin en cas de grave menace, comme une attaque des Bretons.. Il élimina également de l’église du bienheureux Michel un grand nombre des mauvaises habitudes relevant des laïcs et il fit édifier des maisons à l’usage des moines à Tombelaine et à Brioncommentaire
Bernard fonda également trois prieurés : l’un à Tombelaine, où il édifia une église dédiée à Notre-Dame et deux maisons pour les moines, un autre à Brion, le troisième en Angleterre, sur l’île de Saint-Michel en Cornouailles, avec douze moines placés sous l’autorité d’un prieur ; cf. Dufief, 1967, p. 92-99 ; Gazeau, 2007, t. II, p. 217-218.. Il fonda en Angleterre, à Saint-Michel en Cornouailles, une église et des bâtiments conventuels et il y établit, sous l’autorité d’un prieur, une communauté de treize moines destinés à y demeurer pour toujours, à la condition expresse que le prieur de Cornouailles vînt, chaque année, en visite à l’abbaye du Mont en Normandie, soit personnellement, soit en se faisant représenter, muni de seize marcs d’argent à remettre à son abbé. Il s’employa avec succès à recouvrer les terres de l’église qui avaient été négligées ou dilapidées par ses prédécesseurs, et son action eût été encore plus efficace, si le roi Henri avait vécu plus longtemps en ce bas mondecommentaire
Le monastère avait été dépouillé de nombreuses terres en raison des conflits liés, après la mort de roi Henri Beauclerc en 1135, à la rivalité entre Mathilde l’Emperesse, que les moines auraient pu soutenir, et Étienne de Blois, pour lequel la ville d’Avranches prit parti. Au mois d’août 1138, le village du Mont fut attaqué et incendié par une foule venue d’Avranches : le feu épargna cependant l’église abbatiale et quelques bâtiments conventuels. La Gallia christiana (col. 518) parle de debacchatione Abrincatensium furentium, et Dom Thomas Le Roy qualifie cette foule de « truandaille avranchinoise […], multitude de mauvais garnements, gens de ligue et ramassez de la ville d’Avranches » (Le Roy, 1878, t. I, p. 157-158).. Alors même que Bernard n’avait pas encore été inhumé, Geoffroy, un moine de cette église, lui succéda, après une élection précipitée : c’était en 1149commentaire
Geoffroy (9 mai 1149-30 décembre 1150 / 4 janvier 1151), moine du Mont, fut élu par la communauté sans l’autorisation ducale, c’est-à-dire celle de Geoffroy d’Anjou. Pour faire accepter cette élection par le duc de Normandie, l’abbé dut lui verser une somme d’argent, qu’il emprunta. Geoffroy fut béni par l’archevêque de Rouen, Hugues d’Amiens, à l’abbaye de Saint-Georges de Boscherville, et il obtint du pape Eugène III, en décembre 1150, une bulle de confirmation avec la clause Obeunte. Cf. Gazeau, 2007, t. II, p. 218-219 ; Lecouteux, 2017, p. 6-7.. Geoffroy mourut l’année suivante, laissant l’église dans une situation absolument désastreuse, consécutive à la dette qu’il avait contractée pour faire la paix avec le comtecommentaire
Il s’agit du comte Geoffroy V Plantagenêt, comte d’Anjou et du Maine (1129-1151), qui devint duc de Normandie (1144-1150) après son mariage avec Mathilde l’Emperesse. L’auteur, contemporain des faits des années 1149-1153, distingue la situation du père et celle du fils : Geoffroy d’Anjou est qualifié de comes, tandis que Henri II est désigné comme dux dans la notice de l’année 1152.. Il fut inhumé sous le porche de l’église.
Anno Mo Co Lo IIo, mortuo Gauffrido abbate, ad instantiam Ricardi, Abrincensis episcopi, cognati sui, Ricardus de Musca, monachus hujus loci, electus fuit abbas istius monasterii. Et quia absque scientia et assensu principis facta fuerat illa electio, quas tribulationes, quas cruces inde monasterium Beati Michaelis habuit ! Ex hoc patet quod Ricardus ille non solum de abbatia, sed etiam de tota terra ducis Henrici eliminatusapparat
eleminat(us) ms. corr. Labbe est et omnis dispensatio monasterii per tres laicos et duosapparat
post duos iter. laicos ms.ac clericos, qui sibi invicem in eamapparat
ea fort. legendum successerunt, per duos annos et dimidium facta est. Tandem monachi Montis cassaverunt praedictam electionem et Robertum, cellerarium Fiscannensem, cognomentoapparat
cognomie(n)to ms. Harditum, nec clericum nec laicum, suggestione Reinaldi de Sancto Walerico assensu ducis Henrici elegerunt. Unde Ricardus de Musca adiit papamapparat
papa ms.ac Eugenium, cujus praecepto Ricardus, Abrincensis episcopus, benedixit praedictum Ricardum in abbatem in ecclesia Sancti Andreae, cui benedictioni nullus monachorum Montis interfuit, excepto uno qui, relicto conventu, illum comitabatur. Tandem, missis monachis Romam pro utraque parteapparat
post parte iter. uterque parte ms.ac, uterque, scilicet Ricardus de Musca et Robertus Harditi, et etiam Ricardus, episcopus Abrincensis, eos subsecuti sunt. Et infra breve spatium peregre obierunt, scilicet anno Mo Co Lo IIIo. Istos duos in catalogoapparat
cathologo ms. corr. Labbe abbatum non [fol. 180 vo] annumero, quia nec in ecclesia nec in refectorio nunquamapparat
unquam Labbe abbatis officio usi fuerunt. Ipsi maximum detrimentum eidem ecclesiae contulerunt.
En 1152commentaire
En réalité, en 1151 : Geoffroy mourut entre le 30 décembre 1150 et le 4 janvier 1151., à la mort de l’abbé Geoffroy, Richard de la Mouche, un moine du lieu, fut élu abbé de ce monastère sur les instances de Richard, évêque d’Avranches, son parentcommentaire
Selon Dom Jean Huynes (Huynes, 1872-1873, t. I, p. 172-173), suivi par Dom Thomas Le Roy (Le Roy, 1878, t. I, p. 162-163), Richard de la Mouche était le « cousin » de l’évêque d’Avranches, Richard de Subligny. Furieux de n’avoir même pas été informé de cette élection, Henri Plantagenêt, fils de Mathilde l’Emperesse, envoya des officiers dépouiller le monastère des croix, calices et autres objets précieux ; cf. Gazeau, 2007, t. II, p. 219-220.. Et comme cette élection avait été faite sans que le prince en fût informé et sans qu’il eût donné son accord, que d’épreuves, que de tourments le monastère du <Mont> Saint-Michel eut à subir en conséquence ! Voilà, de toute évidence, pourquoi Richard fut expulsé non seulement de l’abbaye, mais aussi de tout le territoire du duc Henri et pourquoi toute la gestion du monastère fut assurée durant deux ans et demicommentaire
C’est-à-dire entre la fin de l’année 1151 et l’établissement de Robert de Torigni à la tête de l’abbaye, le 27 mai 1154. par trois laïcs et deux clercs, qui se succédèrent l’un après l’autre dans cette tâche. Finalement les moines du Mont annulèrent cette électioncommentaire
Au cours du premier semestre 1152 et avant la réception de la lettre du pape Eugène III, datée du 7 juillet 1152. et, sur la suggestion de Renaud de Saint-Valerycommentaire
Renaud de Saint-Valery, sénéchal et justicier de Normandie sous les ducs Geoffroy Plantagenêt (1144-1150) et Henri II (1150-1189), est connu par une vingtaine de chartes normandes rédigées entre 1144 et 1163 ; cf. Haskins, 1918, p. 145-148, 162 et 166-167 ; Bloche, 2012, actes nos 115-116, 128, 138-139 ; SCRIPTA, Base des actes normands médiévaux, dir. Pierre Bauduin, Caen, CRAHAM-MRSH : actes nos 812, 814, 821, 881, 5887, 6605, 6608, 6632-6634, 6638, 6642, 6700, 6755, 6851, 6905, 6907, 6918 et 6919. et avec l’accord du duc Henri, ils élurent Robert, le cellérier de Fécamp, surnommé Hardi, qui n’était ni clerc ni laïccommentaire
Après une gestion d’un peu plus de deux ans par des agents du duc, les moines se résolurent à casser l’élection de Richard de la Mouche et à élire le candidat officiel, Robert Hardi. Celui-ci est dit nec clericu[s] nec laicu[s] : comme il occupe une fonction de cellérier au monastère de Fécamp, nec clericus signifie qu’il n’était pas homme d’église ayant reçu les ordres sacrés, tandis que nec laïcus indique qu’il avait quitté le monde ; il était seulement moine, monachus, sans avoir reçu aucun des grades ecclésiastiques. Cf. Honoré D’autun, Summa de Apostolico et Augusto (PL, 172, col. 1262) : Si non est laïcus, est clericus. Si est clericus, tunc est ostiarius aut lector aut exorcista aut acolithus aut subdiaconus aut diaconus aut presbyter. Si de his gradibus non est, tunc clericus non est. Porro si nec laïcus nec clericus, tunc monachus est ; voir Dufief, 1967, p. 99-101 ; Gazeau, 2007, t. II, p. 218-219. Le pape Eugène III ordonna à l’évêque d’Avranches de bénir sans tarder Richard et d’excommunier Robert Hardi, que les moines venaient d’élire sur injonction du duc de Normandie (cf. lettre du 7 juillet 1152, in S. Löwenfeld, Epistolae pontificum Romanorum ineditae, Leipzig, Veit, 1885, no 206, p. 109-110).. À la suite de quoi Richard de la Mouche obtint une audience du pape Eugènecommentaire
Il s’agit d’Eugène III (1145-1153), qui menaça de jeter l’interdit sur le duché de Normandie, si le duc Henri n’acceptait pas comme abbé du Mont Richard de la Mouche. Ce pape mourut peu après les trois Normands : Richard de la Mouche, Robert Hardi et Richard, évêque d’Avranches ; cf. Gazeau, 2007, t. II, p. 220., sur l’injonction de qui Richard, l’évêque d’Avranches, dut bénir ledit Richard [de la Mouche] dans l’église Saint-André, pour qu’il fût fait abbé. Aucun des moines du Mont n’assista à cette bénédiction, hormis l’un d’eux, qui avait quitté la communauté pour suivre son abbé. Finalement, des moines furent envoyés à Rome pour représenter les deux parties, et les deux prétendants, Richard de la Mouche et Robert Hardi, ainsi que Richard, l’évêque d’Avranches, s’y rendirent à leur suitecommentaire
Cf. Robert De Torigni, chron. ad a. 1153 : Mortuo Ricardo episcopo Abrincensi in itinere Romae, cum illuc perrexisset causa altercationis duorum electorum abbatiae Montis Sancti Michaelis, […] (ms. 159, fol. 204 v ; Delisle, 1872-1873, I, p. 279).. Et ils périrent en un bref intervalle de temps au cours du voyage ; c’était en 1153. Je n’ajoute pas ces deux personnages au catalogue des abbéscommentaire
Cette mention expresse prouve l’existence au Mont d’un Catalogue des abbés ; cf. Lecouteux, 2017, p. 6-7, et 2018, p. 4-6. – Istos duos in catalogo abbatum non annumero : cette expression a son correspondant dans un complément (une glose ?) à la chronique de Robert de Torigni, ad a. 1171 (ms. Avranches, BM 159, fol. 221 : […] canonizatus est sanctus Thomas a papa Alexandro] canonizatus i(d est) sanctorum catalogo annumeratus […])., parce qu’ils ne se sont jamais acquittés, ni à l’église ni au réfectoire, de la fonction abbatiale. Ils causèrent un préjudice considérable à ladite église.
Anno Mo Co Lo IIIIo, mense maio, VIo kalendas junii, feria Va infra octavamapparat
octavam HF 1806 oct’ ms. octavas Labbe Pentecostes, electus fuit Robertus de Torigneio, prior claustralis Becci, ad regimen istius abbatiae. Hic plurima bona ibi operatus est. Et fuit custos castelli de Ponte Ursonis. Obiit anno Mo Co LXXXVIo.
En 1154, au mois de mai, le 6 des Calendes de juin, le cinquième jour de l’octave de la Pentecôte [le jeudi 27 mai], Robert de Torigni, prieur claustral du Bec, fut élu à la direction de l’abbaye[du Mont]commentaire
Ces indications se retrouvent avec quelques variantes dans les Annales montoises du ms. 213 (ab anno 506 ad annum 1154, fol. 172) et dans la Chronique de Robert de Torigni (ms. 159, fol. 205-205 v ; Delisle, 1872-1873, I, p. 284), à l’année 1154 : Mense maio, VI kalendas junii, feria quinta infra octavas Pentecostes, monasterium beati Michaelis de Periculo maris post tribulationem quam per quinquennium fere jugem passum fuerat, Deo miserante, aliquantulum respiravit, electo unanimiter ab omni conventu Roberto de Torinneio, priore claustrali Beccensis monasterii.. Il y accomplit de belles réalisations en très grand nombre. Il eut également en garde le château de Pontorson. Il mourut en 1186commentaire
Robert, originaire de Torigni, entra au monastère du Bec-Hellouin vers 1138 ; il en devint le prieur en 1149. Élu abbé du Mont Saint-Michel le 27 mai 1154, il fut béni le 22 juillet de la même année au prieuré de Saint-Philibert-sur-Risle. Il mourut le 24 juin 1186 et fut inhumé sous le portique occidental de l’abbatiale. En 1875, lors de travaux de restauration, on découvrit sa sépulture, où se trouvaient sa « crosse en bois sans aucun ornement surmontée d’une volute en plomb » et un disque de plomb sur lequel était inscrit : (avers) Hic requiescit Robertus de Torigneio abbas hujus loci, (revers) qui praefuit huic monasterio XXXII annis, vixit vero LXXX annis (cf. Corroyer, 1877, p. 126-130). Il développa la communauté monastique, qui passa de quarante à soixante moines. Il édifia de nombreux bâtiments sur les flancs occidental et méridional du rocher, notamment les deux tours encadrant la façade occidentale. Le roi Henri II Plantagenêt donna au monastère les églises de Pontorson – donation confirmée par une bulle du pape Adrien IV datée du 23 juillet 1158 ; cf. Gazeau, 2007, t. II, p. 220-225. Selon la Neustria pia (p. 388-389), il aurait rédigé quelque cent vingt ouvrages – sexies viginti volumin[a] –, qu’il déposa dans sa bibliothèque, située dans la tour gauche de la façade, et qui disparurent lorsque cette tour s’effondra en 1310. C’est très vraisemblablement lui qui rédigea la première partie des notices, jusqu’à celles des prétendants Richard de la Mouche et Robert Hardi inclusivement. L’auteur des notices consacrées aux abbés Geoffroy, Richard et Robert sait précisément faire la distinction entre le comte Geoffroy d’Anjou et le duc Henri, son fils, durant les années 1145-1153 : il s’agit nécessairement d’un contemporain au courant des affaires princières ; cf. Lecouteux, 2017, p. 6-7..
Anno Mo Co LXXXVIIo electus fuit domnus Martinus abbas Montis Sancti Michaelis. Hic honorifice rexit, nulla dissipans, sed antea dispersa recolligens.
En 1187, Dom Martin fut élu abbé du Mont Saint-Michel. Il gouverna dignement, sans rien gaspiller, mais recouvrant des biens qui avaient été auparavant dilapidéscommentaire
Martin de Furmendi (après le 24 juillet 1187-19 février 1191), moine du Mont, gouverna le monastère pendant trois ans et demi. On a retrouvé en 1875 sa sépulture, qui renfermait « la volute en plomb de sa crosse abbatiale » et un disque en plomb portant sur l’avers l’inscription : Hic requiescit don[nus] Martin[us] de Furme[n]deio abbas huj[us] loci. Cf. Corroyer, 1877, p. 130-131 ; Gazeau, 2007, t. II, p. 225-226..
Anno Mo Co XCIo coepit regnare in abbatia ista Jordanus abbas feliciter. Tempore ipsiusapparat
istius HF 1894 combusta fuit ecclesia a Britannis et item reaedificata in tectura, turri et refectorioapparat
hic distinximus cum HF 1894 post cellarium dist. Bisson. Dormitorium etapparat
post et iter. refectoriu(m) ms.ac cellarium totum fecit novum. Obiit anno Mo CCo XIIo.
En 1191, l’abbé Jourdain commença à exercer d’heureuse manière son autorité dans l’abbaye. À son époque, le monastère fut incendié par les Bretons et reconstruit : toiture, tour et réfectoire. Il fit bâtir entièrement à neuf le dortoir et le cellier. Il mourut en 1212commentaire
Jourdain (12 mars 1191-6 août 1212) subit l’épreuve de l’incendie du Mont par les Bretons en 1204. Au printemps 1204, Guy de Thouars, accompagné de gens du Poitou et de Bretagne, assiégea le Mont pour le compte du roi de France et incendia village et monastère. En réparation de cette forfaiture, le roi Philippe Auguste fit don d’une importante somme d’argent destinée à la reconstruction des bâtiments détruits. L’abbé Jourdain fut accusé par les moines de mener une vie fastueuse et de dilapider les revenus du monastère. Il resta cependant en fonction malgré sa déposition par le pape en 1204 et deux visites canoniques en 1209 et 1211. Il voulut être inhumé dans le prieuré de Tombelaine, qui était devenu sa résidence de choix, où il vivait sans se préoccuper des règles. Selon la Neustria pia, furent construits de son vivant dormitorium, clausura refectorii et cellarium, quae fuerant Britannico consumpta incendio ; cf. Neustria pia, p. 390 ; Gallia christiana, col. 521 ; Huynes, 1872-1873, t. I, p. 179 ; Le Roy, 1878, t. I, p. 184-191 ; Gazeau, 2007, t. II, p. 226-227..
Radulphus de Insulis, abbas hujus loci,
Raoul des Îles, abbé du lieu, Thomas des Chambres, abbé du lieu, Raoul de Villedieu, abbé du lieu, gouvernèrent pendant vingt-quatre anscommentaire
C’est vraisemblablement en raison de la confusion des dates de début et de fin d’abbatiat des trois abbés qui succédèrent à Jourdain que les auteurs du De abbatibus les ont rassemblés sous une même rubrique. Raoul des Îles (c. 1212-1218/1222/1228/1229) poursuivit le chantier de la Merveille entrepris par Jourdain. Il tenta de restaurer les règles de la vie monastique, que les moines, suivant l’exemple de l’abbé Jourdain, avaient délaissées, mais il dut faire preuve de patience face à leur résistance. Atteint de paralysie, il se retira à Ardevon, après avoir déposé la crosse abbatiale en 1229, selon Laporte, 1967b, p. 275 ; cf. Neustria pia, p. 390 ; Gallia christiana, col. 521-522 : aedificia refecit et nova construxit, praesertim claustrum, quod anno 1228 perfectum fuit ; Huynes, 1872-1873, t. I, p. 179-180 ; Le Roy, 1878, t. I, p. 191-195 ; Chazelas, 1967, p. 141-143. – Thomas des Chambres, dont la durée d’abbatiat (4 avril 1218/1222/1229-5 juillet 1229) fait encore débat, aurait dirigé le monastère entre trois mois et dix ans ; cf. Neustria pia, p. 390 ; Gallia christiana, col. 521-522 ; Huynes, 1872-1873, t. I, p. 180 ; Le Roy, 1878, t. I, p. 195-201 ; Chazelas, 1967, p. 143-145. – C’est à l’initiative de Raoul de Villedieu (5 juillet 1229-12 février 1236/1237), si l’on en croit Dom J. Huynes et Dom Th. Le Roy, que l’on doit les sculptures du cloître (dont les 58 rosaces) et la représentation de saint François d’Assise ; cf. Neustria pia, p. 390 ; Gallia christiana, col. 522 ; Huynes, 1872-1873, t. I, p. 180-181 ; Le Roy, 1878, t. I, p. 202-215 ; Chazelas, 1967, p. 145-146..
Thomas de Cameris, abbas hujus loci, isti rexerunt XXIIIIor annis.
Radulphus de Villa Dei, abbas hujus loci,
Anno Mo CCo XXXVIo electus fuit Ricardus Tustini abbas hujus loci. Hic multa bona fecit, videlicet perficiendo claustrum monachorum, insuper Bellam Caram et omnes †ammirasapparat
ammiras HF 1894 aumuras dubitanter Bisson quiapparat
quae HF 1894† sunt circa ecclesiam. Incepit etiam novum capitulum et novum opus subtus Bellam Caram. Et ad omnes prioratus forenses tam emendo redditus quam nova aedificia aedificando bona contulit infinita. Obiit anno Mo CCo LXIIIIo.
En 1236, Richard Turstin fut élu abbé du lieucommentaire
Richard Turstin (22 février 1237-29 juillet 1264), l’un des grands abbés du xiiie siècle, se révéla à la fois grand bâtisseur et remarquable administrateur. Il fit établir, en 1240, par son chapelain, N. de Bellon, le registre de tous les revenus de l’abbaye montoise avec leurs affectations. À la suite d’un conflit avec les moines, qui trouvaient leur abbé trop rigoureux dans l’application de la règle, fut rédigé le texte des Usages qui codifient la vie de l’abbé et des moines jusque dans leur régime alimentaire. En 1254, le pape Alexandre IV (bulle du 6 des calendes d’octobre [26 septembre]) accorda aux abbés du Mont « le droict d’user de mître, d’anneau, de tunique, dalmatique, gans, sandales et autres ornements pontificaux, de conférer la première tonsure et les ordres mineurs, comme aussi de donner la bénédiction solennelle dans la solennité de l’église et à table » (Le Roy, 1878, t. I, p. 222). L’abbé fut inhumé au bas de la nef ; cf. Neustria pia, p. 390 ; Gallia christiana, col. 522 ; Huynes, 1872-1873, t. I, p. 181-183 ; Le Roy, 1878, t. I, p. 215-229 ; Chazelas, 1967, p. 146-149.. Il accomplit un grand nombre de belles réalisations, achevant le cloître des moines, et, en outre, Belle Chaise ainsi que † tous les …† qui sont autour de l’églisecommentaire
Le syntagme omnes ammiras – telle est la lecture de Léopold Delisle, qui redresse en outre tacitement qui en quae – fait difficulté. Ammiras est rien moins que sûr : le a initial est suivi de sept jambages quasi indifférenciés – sans aucun accent –, dont les diverses combinaisons ne donnent aucun mot latin usuel. Thomas Bisson hasarde un hypothétique aumuras, « structures », qui ne semble pas autrement attesté. J. Chazelas (Chazelas, 1967, p. 148, n. 133), corrigeait ammiras… qui en admirabiles… quae et suppléait domos. On pourrait imaginer un autre supplément, aras, tombé par saut du même au même, et rétablir : omnes admirandas aras quae sunt circa ecclesiam (« tous les autels admirables qui sont autour de l’église »), en se souvenant que Richard Turstin avait fait élever au moins deux nouveaux autels dans l’abbatiale.. Il commença aussi la nouvelle salle capitulaire et une nouvelle construction sous Belle-Chaisecommentaire
L’abbé Richard Turstin fit édifier Belle-Chaise et le corps de garde situé au-dessous. Il prépara le chantier où devait se trouver, au dernier étage, la nouvelle salle capitulaire. Le corps de garde n’avait à l’origine aucune fonction militaire, comme le rappelle Dom Jean Huynes : « il fit faire Belle-Chaise et le corps de garde qui est dessous, non pour des soldats (car il n’y en avoit point encor), mais pour les portiers du monastère » (Huynes, 1872-1873, t. I, p. 182).. Il conféra des avantages sans nombre à tous les prieurés forains, tant en achetant des rentes qu’en faisant bâtir de nouveaux bâtimentscommentaire
L’expression prioratus forenses évoque les prieurés extérieurs de l’abbaye ; on oppose, en effet, le prior claustralis (prieur du monastère, qui seconde l’abbé) et les priores forenses (les prieurs forains), qui représentent l’abbé dans les différents prieurés, plus ou moins éloignés de l’abbaye dont ils dépendent. En 1338, l’abbaye du Mont Saint-Michel déclarait posséder 22 prieurés (cf. Simon, 1967, p. 169-174).. Il mourut en 1264.
Nicolaus Alexanderapparat
alexandri fort. scribendum : vide ms. 211, fol. 77 vo mg, c(u)i succ(essit) nicolaus alexand(r)i ; ms. 214, p. 197 partis prioris, nicolaus alexandri, abbas hujus loci,
Nicolas Alexandre, abbé du lieu, Nicolas Fanigot, abbé du lieu, gouvernèrent pendant trente-quatre anscommentaire
Notices laconiques sur ces deux abbés, sur lesquels Dom J. Huynes et Dom Th. Le Roy donnent très peu d’informations. La durée indiquée (34 ans) inclut nécessairement l’abbatiat de Jean le Faé. Nicolas Alexandre (29 juillet 1264-7/17 novembre 1271) gouverna le monastère durant 5 ans et 5 mois ; cf. Neustria pia, p. 390 ; Gallia christiana, col. 522 ; Huynes, 1872-1873, t. I, p. 183 ; Le Roy, 1878, t. I, p. 230-235 ; Chazelas, 1967, p. 149. Nicolas Fanigot / Favigot (7/17 novembre 1271-19 mars 1279/1280) avait été auparavant prieur claustral du Mont ; cf. Neustria pia, p. 390 ; Gallia christiana, col. 523 ; Huynes, 1872-1873, t. I, p. 183 ; Le Roy, 1878, t. I, p. 234-235 ; Chazelas, 1967, p. 149. À la mort de Nicolas Fanigot, un certain Renouf de Torigni aurait été élu avec l’accord du roi de France. Il n’aurait gouverné que quelques mois, puisqu’il serait mort en novembre 1280. Aucune source montoise n’en fait état, au rebours de la Gallia christiana, col. 523 ; cf. Chazelas, 1967, p. 149..
Nicolaus Fanigot, abbas hujus loci, isti rexerunt XXXIIIIor annis.
Anno Mo CCo LXXXXVIIIo obiit Johannes le Fae, abbas hujus loci. Et successit ei Guillelmus de Castro, qui fecit stallaapparat
stalla HF 1894 stall’ ms. stallum Bisson et omnia mobiliaapparat
nobilia ms. corr. HF 1894 quae erant in choro quodapparat
post quod habet fustu(m) ms.ac fuit ustum igne fulmineo, et alia multa. Obiit anno Mo CCCo XIIIIo.
En 1298 mourut Jean le Faé, l’abbé du lieu commentaire
Jean le Faé (1er décembre 1280-13 juillet / septembre 1298) passa son temps à se défendre contre les multiples accusations des moines ; cf. Neustria pia, p. 390 ; Gallia christiana, col. 523 ; Huynes, 1872-1873, t. I, p. 183-184 ; Le Roy, 1878, t. I, p. 236-246 ; Chazelas, 1967, p. 149-150.. Lui succéda Guillaume du Château, qui fit fabriquer les stalles, tout le mobilier du chœur – lequel avait été la proie d’un incendie allumé par la foudre – et bien d’autres choses. Il mourut en 1314commentaire
Guillaume du Château (décembre 1299-11 septembre 1314) connut deux événements majeurs sous son abbatiat. Le 13 juillet 1300, la foudre mit le feu au clocher et fit fondre toutes les cloches ; l’incendie gagna les toitures des édifices voisins, dont l’abbatiale. En 1311, l’abbé accueillit le roi Philippe le Bel, qui fit don au monastère de deux épines de la couronne du Christ et d’un morceau de la vraie croix. Outre ses nombreux dons, le roi déposa sur l’autel une somme de 1 200 ducats d’or, qui servit à fabriquer une statue de saint Michel en bois recouverte de feuilles d’or ; cf. Neustria pia, p. 391 ; Gallia christiana, col. 524 ; Huynes, 1872-1873, t. I, p. 183-184 ; Le Roy, 1878, t. I, p. 246-248 ; Chazelas, 1967, p. 149. Aucune autre source montoise ne parle des stalles et du mobilier dont il aurait équipé le chœur de l’abbatiale..
Isti Guillelmo successit Johannes de Porta, qui feliciter ac sub omni tranquillitateapparat
t(r)ansquillitate ms. rexit. Hic multa bona fecit. Recuperavit prioratum de Sancto Clemente de Gersoio. Istud monasterium cum omnibus pertinen-[fol. 181]-tiis suis retraxit de sub rege Navarrae. Nostras chartas et chirographa confirmari fecit a domino Philippo de Valeys, domino nostro et rege Francorum. Plures redditus etiam monasterio acquisivit. Valde viriliter restititapparat
resistit ms. corr. Labbe adstipulante HF 1894 contra illos qui tempore guerrae volebant quod monasterium solveret stipendia illorum quos rex ponebat ad custodiendum Montem. Valde profuit in aedificando. Obiit anno Mo CCCo tricesimoapparat
1334 Labbe quatre add. a. m. in mg. et sepultus est in capella Sancti Johannis nova, quam ipse dotavit cum assensu conventus et ibi duos capellanos constituit.
À Guillaume succéda Jean de la Porte, qui gouverna avec bonheur et dans une tranquillité généralecommentaire
Sous l’abbatiat de Jean de la Porte (23 octobre 1314-14 avril 1334), la forteresse du Mont fut tenue par une garnison royale à partir de 1324. En 1326, le capitaine des ports et des frontières de Normandie, Guillaume du Merle, prétendit faire payer aux moines les frais de la garnison qu’il avait installée au Mont. Le roi Charles le Bel prit la défense des moines. C’est également sous cet abbatiat, en 1333 notamment, que se produisirent les nombreux pèlerinages des pastoureaux. Cf. Neustria pia, p. 391 ; Gallia christiana, col. 524 ; Huynes, 1872-1873, t. I, p. 185 ; Le Roy, 1878, t. I, p. 255-267 ; Simon, 1967, p. 151-209 ; Fiasson, 2013, p. 14-25 ; Fiasson, 2014, p. 129-159.. Il fit bon nombre de belles réalisations. Il recouvra le prieuré Saint-Clément de Jerseycommentaire
Le prieuré de Saint-Clément de Jersey ainsi que les autres prieurés anglais (Otterton, St. Michael’s Mount et les deux prieurés de Guernesey, le Val et Lihou) dépendaient du roi d’Angleterre. Ce dernier, qui n’admettait pas que les revenus fussent rapatriés en France, imposa à l’abbé du Mont le versement de fortes sommes d’argent (en 1295, 1324 et 1337) pour qu’il pût récupérer ces revenus. L’abbé Jean de la Porte s’appuya sur des relations sûres, notamment sur Oger de Bueys, pour enfin obtenir satisfaction auprès du roi Édouard III en 1328 ; cf. Simon, 1967, p. 152-154.. Il retira le monastère du Mont Saint-Michel avec toutes ses dépendances des mains du roi de Navarrecommentaire
En 1328, le royaume de Navarre fut dévolu à Jeanne II d’Évreux, la fille de Louis X le Hutin, et elle le conserva jusqu’à sa mort, en 1349. Auparavant les trois frères régnants, Louis X le Hutin (1314-1316), Philippe V le Long (1316-1322) et Charles IV le Bel (1322-1328), avaient été rois de Navarre. En compensation de sa renonciation au trône de France, Jeanne reçut la même année le comté d’Angoulême et celui de Mortain. Son mari, Philippe, comte d’Évreux, devint ainsi roi de Navarre en 1328. Le fils de Jeanne et de Philippe, Charles II, dit le Mauvais, devint comte d’Évreux et de Mortain en 1344, puis roi de Navarre en 1348/1349. Le roi de France, Charles V, le dépouilla des deux comtés normands en 1354, en raison des troubles qu’il suscitait et de ses prétentions à la couronne de France.. Il fit confirmer nos chartes et nos chirographes par le seigneur Philippe de Valois, notre suzerain et roi de Francecommentaire
Il s’agit de Philippe VI de Valois, qui succéda à son cousin Charles IV en 1328, usant de la loi salique pour éliminer Jeanne, la fille de son autre cousin, Louis X le Hutin.. Il fit encore l’acquisition d’un grand nombre de revenus pour le monastère. Il s’opposa très vigoureusement à ceux qui prétendaient faire payer en temps de guerre par le monastère la solde des hommes que le roi affectait à la protection du Mont. Il réalisa de très utiles constructions. Il mourut en 1330commentaire
La date indiquée, 1330, est erronée. Dans la marge du manuscrit, une main du début du xviie siècle a ajouté quatre. Huynes, 1872-1873, t. I, p. 185, indique qu’il décéda « l’an mil trois cens trente quatre le vendredi sainct à l’heure de sexte le quatorziesme jour du moys d’avril » ; cf. infra, note 87. Le Roy, 1878, t. I, p. 256, donne la même date ; cf. Laporte, 1967b, p. 269 – qui donne par erreur, p. 276, la date de 1335. et fut inhumé dans la nouvelle chapelle Saint-Jean, qu’il dota personnellement avec l’accord de la communauté et où il établit deux chapelainscommentaire
Selon Dom Thomas Le Roy (Le Roy, 1878, t. I, p. 256), il « fut enterré en la chapelle de S. Jean l’évangéliste, qu’il avoit fait faire dans la croisée de cette église, du costé du midy, devant l’autel dédié à la Très-Saincte Trinité, lequel on appelle à présent de S. Benoit […] ». – On lit dans le ms. Avranches, BM 126, fol. 173 v, une épitaphe de Jean de la Porte : Anno milleno centum ter quoque deno, | Luce Parasceues, sed quatuor addere debes, | Iste Johannes obit, horarum sexta resolvit. | Cunctis porta patens est modo clausa latens. | Unde dolor nimius. Huic, Deus, esto pius. | Abbas iste fuit vigilans super arte regendi, | Profuit et prefuit factis et in arte loquendi..
Eidem domino J[ohanni] de Porta successit Nicolaus le Vitrier, prior hujus loci, in Monte isto oriundus ; qui per XXVII annos et VI menses monasterium honorifice rexit. Tempore ipsius facta fuit compositio monetae, francum feodum de Bacilley fuit acquisitum. Guerrae, fames et mortalitates in partibus istis horribiliter viguerunt. Turris et ecclesia de Genez, maneria de Sancto Paterno, de Aviariaapparat
drivaria ms. ut vid. druiaria Bisson qui arinaria dubitanter proposuit et de Donno Johanne per dictas guerras destructaapparat
destructe ms. fuerunt. Nihilominus fortalicium hujus monasterii per religiosos et servitores ejusdem lociapparat
loci addidimus †omnibus aliis se ingentibus repulsus† in oboedientia domini regis Franciae secure fuit custoditum ad proprias expensas dicti monasterii. Quibus guerris adhuc vigentibus, idem domnus N[icolaus] abbas decessit anno Domini Mo CCCo LXIIo, III kalendas novembris.
À Dom Jean de la Porte succéda Nicolas le Vitrier, prieur du lieu, originaire du Mont, qui pendant vingt-sept ans et six mois gouverna le monastère dignementcommentaire
Nicolas le Vitrier (17/18 avril 1334-30 août 1362) fut auparavant prieur claustral du Mont. En 1350, la foudre provoqua un nouvel incendie des bâtiments et de l’abbatiale. Selon un rôle présenté par cet abbé en 1337, le monastère comptait alors 40 moines ; cf. Huynes, 1872-1873, t. I, p. 187 ; Fiasson, 2017, p. 67-85 (69-71).. C’est à son époque que fut fait l’accord monétairecommentaire
La compositio monetae est une transaction financière passée entre les moines et l’abbé, lequel se voit attribuer annuellement une somme de 100 livres, prélevée sur les revenus du monastère, pour faire face à ses dépenses personnelles ; cf. Huynes, 1872-1873, t. I, p. 187 : « finalement il fit un accord avec ses religieux par lequel il est dit qu’il prendroit tous les ans cent livres des offrandes de l’église pour sa mense abbatiale et que le reste seroit pour les religieux ». Cette contribution passa à 200 livres sous son successeur et à 1 200 livres sous Pierre Le Roy. C’est ce que Dom Thomas Le Roy (Le Roy, 1878, t. I, p. 268) appelle un « péculion ». et que fut acquis le franc fief de Bacilly. La guerre, la famine et la mortalité sévirent affreusement dans la région. La tour et l’église de Genêts, les manoirs de Saint-Pair, de Loiselière et de Domjean furent détruits par suite de faits de guerrecommentaire
C’est durant l’abbatiat de Nicolas le Vitrier que la guerre de Cent Ans commença à produire ses effets dramatiques, comme les destructions évoquées : Genêts, Domjean et Loiselière. Lorsque le roi Édouard III débarqua en Cotentin, à Saint-Vaast-la-Hougue, le 12 juillet 1346, les villes d’Avranches et de Ducey furent dévastées par les troupes de Regnault de Cobehen. Pendant la chevauchée en Cotentin du duc de Lancastre, en 1356, les prieurés de Genêts et de Saint-Pair furent pillés ; les Anglais s’emparèrent même de Tombelaine, par surprise, et l’occupèrent de 1356 à 1360, date du traité de Brétigny, lequel fut suivi d’un répit d’une dizaine d’années.. La forteresse du monastère n’en fut pas moins conservée en sûreté dans le domaine du seigneur roi de France, aux frais du monastère, par des religieux et les serviteurs du lieucommentaire
La garde du Mont était alors assurée non seulement par des soldats, des paroissiens requis, des serviteurs des religieux, mais aussi par des clercs et des moines : on surveillait principalement les remparts, la porte de l’abbaye et celle de la ville. Étaient chargés du guet notamment les paroissiens d’Ardevon, des Pas, de Beauvoir et de Huisnes ; cf. Fiasson, 2013 p. 44-48. †…†commentaire
Omnibus aliis se ingentibus repulsus fait problème, même si l’on corrige repulsus en repulsis. Philippe Labbe (Labbe, 1657, p. 352) propose de lire omnibus invadentibus repulsis. David Fiasson (Fiasson, 2017) suggère de corriger ingentibus en impetibus. Aucune de ces deux émendations ne rend compte de la présence des éléments qu’elles présument intrus : aliis se.. La guerre sévissait encore lorsque l’abbé Dom Nicolas décéda en 1362, le 3 des calendes de novembre [30 octobre].
Praedicto abbati N[icolao] le Vitrier immediate successit Gauffridus de Servone, prior hujus loci, in civitate Abrincensi oriundus, qui per XXIII annos et III menses decenter et honeste gubernavit. Turrim in qua est nova capella de Gradibus aedificari fecit. Tunc temporis acquisita fuerunt mediante monasterii pecunia plura feoda nobilia, videlicet feodum Duperier, feodum de Brece in Donvilla, feodum de La Meslereye, feodum de Craen in baronia de Sancto Paterno existentia, feodum de Poterel, feodaapparat
feoď ms. feodum Bisson ; at vide infra maneria [n. pl.] de brion de genez et de abbatiola Viel et de Montmirel in baronia de Genecio, feodum de Pellaing in baronia de Ardevone, feodum de Touffou apud Abbatiolam et plures alii redditus in dictis baroniis. Eodem tempore ecclesia Beati Michaelis cum ipsius adjacentiis et dormitorium ab igne fulgureo combusta fuerunt, campanae quasi plumbum liquefactae et, mediante tempore praedicto, reaedificatae [fol. 181 vo] et reformatae per diligentiam et procurationem istius abbatis. Anglici in rocha de Tumba Helenaeapparat
heleñ ms. helenensi Bisson, per eosdem fortificata, capti fuerunt vi armorum et ab ea omnino expulsi. Maneria de Brion, de Genez et de Abbatiola, guerris adhuc vigentibus, destructa fuerunt. In quibus et in aliis locis, ut praefertur, destructis, juxta posse reaedificare fecit, quamdiu vixit. Et tandem, senio fessus, dies suos feliciter complevit II kalendas martii, anno Domini millesimo trecentesimo octogesimo sexto.
À l’abbé Nicolas le Vitrier succéda immédiatement Geoffroy de Servoncommentaire
Geoffroy de Servon, élu en mars 1363, gouverna le monastère jusqu’à sa mort, survenue le 28 février 1386. Comme Nicolas le Vitrier, il fut capitaine de la garnison du monastère, confirmé par le roi Charles V, dit le Sage, en 1364. C’est durant son abbatiat que dame Tiphaigne, épouse de Bertrand du Guesclin, demeura au Mont (jusqu’en 1374) ; cf. Neustria pia, p. 391 ; Gallia christiana, col. 525 ; Huynes, 1872-1873, t. I, p. 188 ; Le Roy, 1878, t. I, p. 277-298 ; Fiasson, 2013, p. 32-72 ; Fiasson, 2017, p. 76-80. L’abbé Geoffroy aurait été contesté par deux autres candidats à l’abbatiat : un certain R. se dit abbé du Mont en 1366 et un certain Guillaume vers 1384 ; cf. Laporte, 1967b, p. 276., prieur du lieu, originaire d’Avranches : il gouverna convenablement et avec probité durant vingt-trois ans et trois mois. Il fit construire la tour où se trouve la nouvelle Chapelle-des-Degréscommentaire
Cette chapelle dite « des degrés », dédicacée à sainte Catherine, existe toujours. Selon Dom Thomas Le Roy (Le Roy, 1878, t. I, p. 295-296), elle fut édifiée en 1380.. À ce moment-là furent acquis, avec l’argent du monastère, un grand nombre de fiefs nobles, à savoir les fiefs de Périer, de Brécey à Donville, de la Meslerie et de Craen/Cran dans la baronnie de Saint-Pair, les fiefs de Potrel/Poterel, de Viel et de Montmirel dans la baronnie de Genêts, le fief de Plomb/Pelong dans la baronnie d’Ardevon, le fief de Touffon/Touffou à l’Abbayette et bien d’autres revenus dans ces baronniescommentaire
L’identification de ces fiefs est facilitée par les indications précises fournies par Dom Jean Huynes (Huynes, 1872-1873, t. I, p. 188) et Dom Thomas Le Roy (Le Roy, 1878, t. I, p. 298). Le fief de Périer est situé dans la paroisse du Loreur. Les fiefs de La Meslerie / La Mesleraye et celui de Cran / Craen dans la baronnie de Saint-Pair, ceux de Poterel / Potrel, de Viel et de Montmirel dans la baronnie de Genêts, celui de Plomb / Pelong près d’Ardevon. Le fief de Touffon / Touffou fut acheté en 1367 pour 260 francs, celui de Brécey en 1380 pour 90 francs. Il y a une incertitude pour Brece in Donvilla : Dom J. Huynes et Dom Th. Le Roy parlent de « Brée en Domville », qui se trouverait au nord de Granville (cf. le village de Bréville qui jouxte Donville-les-Bains) ; ce fief de Brée ne peut pas être confondu avec l’autre village de Brée près de Tanis et d’Ardevon, ni avec Brécey. Le détail de ces achats de Geoffroy de Servon se lit dans une copie du registre de la pitancerie, transcrite par L. Delisle : cf. le ms. Paris, BNF, n.acq.fr. 21821, fol. 80, 88, 90, 93, 488, 493, 495 ; cf. Fiasson, 2013, p. 51-56 ; Fiasson, 2017, p. 79.. À la même époque, l’église du bienheureux Michel avec ses dépendances et le dortoir furent incendiés par le feu de la foudrecommentaire
La foudre tomba sur le Mont le 8 juillet 1374 et mit le feu à une grande partie du monastère et du village., les cloches fondirent comme du plomb et furent refabriquées et remoulées grâce à la diligence et aux soins de cet abbé vers le milieu de son gouvernement. Les Anglais qui occupaient le rocher de Tombe-Hélène, qu’ils avaient fortifié, furent capturés par la force des armes et chassés de l’endroit jusqu’au derniercommentaire
Au temps de l’abbé Geoffroy de Servon eut lieu une nouvelle occupation du rocher de Tombelaine : les Anglais s’en emparèrent en mai 1372 ; mais la réaction française fut rapide : Guillaume de Fayel réunit quelque 2 000 hommes et reprit la forteresse quelques jours après. En revanche, toutes les dépendances montoises étaient entre les mains de l’occupant anglais.. Les manoirs de Brion, Genêts et de l’Abbayette furent détruits du fait des guerres qui sévissaient encore. En ces lieux et dans tous les autres qui avaient été détruits, comme cela est dit plus haut, l’abbé, tant qu’il vécut, mit les moyens dont il disposait à reconstruire. Et finalement, épuisé par son grand âge, il acheva heureusement ses jours la veille des calendes de mars [28 février], en l’année 1386 du Seigneur.
Annoapparat
hic inc. manus altera Domini millesimo tricentesimoapparat
t(r)incentesimo ms. octogesimo sexto suscepit regimen istius abbatiae Petrus Regis, abbas de Exaquio, et rexit eam XXV annos. Fecitque multa bona huic monasterio, videlicet portam hujus abbatiae, infirmariam, balliviam et aedificia ex illo latere a Sancta Katherina usque ad Bellam Caram, lignum chori, libros multos et multa alia bona ; uniriqueapparat
uniceque ms. fecit prioratus, videlicet de Sancto Paterno, de Brione, de Balan, de Genez et de Sancto Melorioapparat
post melorio verbum 7 fere litt. erasum est. Anima ejus requiescat in pace. In tempore illo N[icolaus] de Vandastin, magnus prior, fecit fieri clausuram camerarum dormitorii.
En l’année 1386 du Seigneur, Pierre Le Roycommentaire
Pierre Le Roy, originaire d’Orval près de Coutances, fut élu en mars 1386. Avant de devenir abbé du Mont, il avait été successivement abbé de Saint-Taurin d’Évreux et de Lessay. Il fut lui aussi capitaine de la garnison du Mont. Il fut peu présent au monastère en raison de sa charge d’ambassadeur du roi de France, Charles VI, en Italie, en Angleterre, en Hongrie et en Aragon. Il fut même le référendaire du pape Alexandre V. Le roi Charles VI vint au Mont en pèlerinage en 1393 ; deux ans après, il fit don à l’abbaye d’un morceau de la vraie croix. L’abbé mourut lors d’un voyage à Bologne en 1411. Sur l’abbé Pierre Le Roy, voir Reulos, 1967a, p. 191-209 (avec transcription et traduction des Gesta Petri Regis), et Fiasson, 2013, p. 83-84., abbé de Lessay, assuma la direction de l’abbaye et il la dirigea pendant vingt-cinq ans. Il accomplit de nombreuses réalisations à l’avantage du monastère, à savoir la porte de l’abbaye, l’infirmerie, la salle du bailli et les constructions édifiées sur le côté allant de Saint-Catherine jusqu’à Belle Chaise, les ouvrages en bois du chœurcommentaire
L’expression lignum chori désigne les « ouvrages en bois » destinés au chœur, c’est-à-dire les stalles : selon Dom Thomas Le Roy (Le Roy, 1878, t. I, p. 302-303), il s’agit de « chaires » (stalles), réalisées par d’habiles artisans en vue de remplacer celles qui étaient très vieilles. Lignum pourrait aussi bien signifier une « croix en bois »., des livres en nombre et beaucoup d’autres chosescommentaire
Pierre Le Roy fut un grand bâtisseur. Pour assurer la défense du Mont, il restaura vers 1391-1393 la tour des Corbins, dont le sommet s’était effondré il y a peu, et la muraille qui relie la tour des Corbins à Belle-Chaise. Il édifia la tour Perrine et le « dongeon » du Châtelet. Il fit construire également l’infirmerie, la procure et le logis du bailli (la bailliverie), le chartrier. Cf. Laporte, 1967b, p. 276 ; Neustria pia, p. 392 ; Gallia christiana, col. 526 ; Huynes, 1872-1873, t. I, p. 189-194 ; Le Roy, 1878, t. I, p. 299-328 ; Fiasson, 2013, p. 72-80, et Fiasson, 2017, p. 76-77.. Il fit unircommentaire
Il convient de corriger uniceque en unirique ; l’expression se lit dans les Gesta Petri Regis : Item fecit uniri monasterio prioratus (Reulos, 1967b, p. 206). à l’abbaye les prieurés de Saint-Pair, de Brion, de Ballant, de Genêts et de Saint-Méloircommentaire
La suppression de ces prieurés était justifiée par la volonté d’éviter les ingérences pontificales dans la nomination de clercs à la tête de ces établissements, lesquels échappaient de ce fait au contrôle de l’abbé. Pierre Le Roy profita de ses entrées au Saint-Siège pour obtenir des bulles consacrant « l’union de ces prieurés à l’abbaye du Mont », selon l’expression de Dom Thomas Le Roy : bulles du pape Clément VII en 1386 pour Saint-Pair, en 1387 pour Brion, en 1390 pour Genêts, et bulle du nonce de Benoît XIII en 1400 pour Balant et Saint-Méloir. Voir Reulos, 1967b, p. 206 ; Le Roy, 1878, t. I, p. 300-302.. Que son âme repose en paix. À cette époque, Nicolas de Vandastin, grand prieur, fit cloisonner le dortoir en cellulescommentaire
Cette transformation du dortoir à l’initiative du prieur Nicolas de Vandastin fut réalisée en 1410 ; cf. Le Roy, 1878, t. I, p. 321 : « il fit séparer en petites cellules particulières le grand dortoir commun du monastère »..
Anno Domini millesimo quadringentesimo XIo suscepit regimen istius abbatiae Robertus Joliveti, monachus hujus loci, et rexit eam XXXIIII annos. Fecitque multa bona huic monasterio, videlicet acquisivit feodum de Bree et medietatem feodi de Donville ; dedit tres magni pretii capellas completas de capis et aliis appendentiis et IIIIor notabiles capas rubeas, duo turribula ponderis XXXVIII marcarum argenti ; fecit etapparat
etiam Bisson fieri maximam partem manerii de Aviaria ac alia maneria, domos, grangeas, horologiumapparat
aurelogiu(m) ms., graduales et multa alia bona. Tempore sui regiminis Anglici occupaverunt ducatum Normanniaeapparat
post normanniae duo versus erasi sunt. In tempore suo N[icolaus] Guernon, magnus prior, fecit fieri crucifixum cum M[aria] et Johanne et postellis.
En l’année du Seigneur 1411, Robert Jolivet, moine du lieu, assuma la direction de l’abbaye et il la dirigea pendant trente-quatre anscommentaire
Robert Jolivet, natif de Montpinçon, avait été le chapelain et le secrétaire de Pierre Le Roy. L’abbatiat lui fut attribué par une bulle du pape Jean XXIII expédiée le 22 mars 1411 ; mais par la suite, les moines du Mont confirmèrent par une élection cette désignation. Lors de l’occupation du duché par les Anglais, à partir de 1417, Robert Jolivet fit fortifier la place pour leur résister efficacement, édifiant ou renforçant la muraille protégeant la ville au sud. En 1420, il préféra quitter le Mont et vivre, soit à Loiselière (Aviaria), soit à Rouen, en bonne intelligence avec les Anglais. Il mourut à Rouen en 1444. Durant son absence, un vicaire général, Jean Gonault, fit fonction d’abbé ; mais l’autorité militaire prenait souvent le pas sur l’autorité ecclésiastique ; cf. Huynes, 1872-1873, t. I, p. 197-199 ; Fiasson, 2013, p. 82-99.. Il accomplit de nombreuses réalisations à l’avantage du monastère : il acquit le fief de Brée et la moitié du fief de Donville. Il donna trois chapelles complètes de grand prix comprenant des chapes et autres ornements, ainsi que quatre chapes remarquables de couleur rouge, deux encensoirs d’un poids de trente-huit marcs d’argentcommentaire
Une « chapelle » est un ensemble d’ornements liturgiques, comprenant trois chapes, deux tuniques ou dalmatiques, une chasuble, un devant d’autel et un tapis de cérémonie. L’abbé Jolivet en fit faire trois : une de couleur violette, une autre de couleur rouge, la troisième en satin blanc. Il fit également confectionner une crosse en argent doré, deux croix de même métal, deux calices et deux encensoirs. Cf. Laporte, 1967b, p. 276 ; Neustria pia, p. 392 ; Gallia christiana, col. 526 ; Huynes, 1872-1873, t. I, p. 194-197 ; Le Roy, 1878, t. I, p. 328-376 ; Fiasson, 2013, p. 80-100, et Fiasson, 2017, p. 83-84. David Fiasson a montré que, contrairement aux jugements portés sur l’attitude de Robert Jolivet par tous les historiens depuis le xviie siècle, l’abbé s’était montré légitimiste en mai 1420, lorsqu’il se rallia au traité de Troyes, par lequel le roi Charles VI désignait comme héritier le fils du roi anglais Henri V. De ce fait, le dauphin Charles était déshérité. Ce parti de la double monarchie fut adopté par la très grande majorité des universitaires parisiens, dont Robert Jolivet faisait partie – tout comme Pierre Cauchon. L’auteur du De abbatibus ne porte aucun jugement négatif sur l’attitude de l’abbé, lequel abandonna le Mont en 1420, sans doute à la suite de conflits l’opposant aux moines favorables au dauphin Charles, que Jeanne d’Arc fera sacrer roi à Reims en 1429.. Il fit encore réaliser la plus grande partie du manoir de Loiselière et d’autres manoirs, maisons, grangescommentaire
Autres traductions possibles de ce mot : « celliers », « magasins » ; cf. Recueil des historiens des Gaules et de la France, Tome quatorzième, Michel-Jean-Joseph Brial (éd.), p. 869, Index vocum exoticarum et infimae latinitatis : Grangia […], apotheca (« cellier »), promptuarium (« magasin »)., horloge, graduels et bon nombre d’autres beaux ouvrages. Au temps où il dirigeait le monastère, les Anglais s’emparèrent du duché de Normandiecommentaire
Le Mont opposa une vive résistance aux Anglais, qui occupèrent toute la Normandie dès 1417, puis le rocher de Tombelaine à partir de 1419. Le siège effectif du Mont commença en 1423, sous les ordres de Nicolas Burdett, avec 130 hommes et une flotte de vingt navires ; la défense contre les Anglais fut assurée d’abord par Jean d’Harcourt, comte d’Aumale, puis, à partir de 1424, par Louis d’Estouteville. L’assaut manqué des Anglais en 1434 mit un terme aux violences de la guerre sur le Mont. Cependant le blocus ne fut levé qu’après la victoire française de Formigny, le 15 avril 1450 : les derniers Anglais se rendirent le 15 juin 1450.. Du temps de cet abbé, Nicolas Guernon, grand prieur, fit faire une croix avec Marie, Jean et des inscriptionscommentaire
Outre la grande croix, Nicolas Guernon avait fait réaliser un ange en argent doré, tenant entre ses mains le morceau du voile rouge de l’archange que les chanoines avaient rapporté du Mont Gargan. Cette relique disparut en 1791. La grande croix est ainsi décrite par Dom Thomas Le Roy (Le Roy, 1878, t. I, p. 334) : « L’an 1412 susdit, l’abbé Robert Jolivet fit faire une grande croix à patte tenant aux branches d’argent doré, qui se veoit au milieu du reliquaire avec deux figures des deux costez, l’une de la Vierge et l’austre de S. Jean, et deux anges sur les deux bras, le tout esmaillé et parsemé de petites coquilles d’argent et cette lettre R au milieu de laquelle passe une crosse ». – Le terme postellis, pour postillis, désigne les inscriptions qui avaient été portées sur la croix et dont Th. Le Roy donne le texte : Generationem ejus quis enarrabit (Ac 8,33 : « Sa postérité, qui la racontera ? »). Lignum vitae in medio paradisi (Gn 2, 9 : « L’arbre de vie au milieu du jardin »). Ego flos campi et lilium convallium (Ct 2, 1 : « Je suis la fleur de la plaine et le lis des vallées »). In cibum erunt fructus ejus (Ez 47, 12 : « Et ses fruits seront une nourriture »)..
Apparat :
a. inscriptio : de abbatibus hujus loci rubrica abreviata
b. undeci(m)q(ue) ms.
c. fontanellae Labbe ; at vide Rob. de Tor., de immutatione… (p. 194, 1-3 [éd. Delisle]) : abbatiam sancti wandregisili, quam fontinellam antiquitus vocaverunt, reaedificavit.
d. con ms.
e. con ms.
f. fuerat add. a. m. supra lineam
g. succepit ms. corr. Labbe
h. dōnū ms. corr. Bisson
i. cesarii ms. corr. Labbe
j. gemeticensis Labbe fort. recte
k. ex integro fort. legendum
l. post proprium adscripsit parcat sibi deus a. m.
m. abbate ms. corr. Labbe
n. hilde ms.
o. escollandum ms. escollaudum Bisson scollaudum Labbe
p. canť ms. cantuariensis Bisson
q. post juvenem add. postea Labbe
r. glocest(r)i ms. corr. Bisson glocestrensis Labbe ; fort. gloecestriae scribendum ut persaepe in Rob. de Tor. Chron. legitur
s. dest(r)uta ms.
t. ab Labbe ; at vide Rob. de Tor., chron. ad a. 1123 (p. 164, 17 sq. [éd. Delisle]) a henrico, ad a. 1154 (p. 285, 8) a herberto
u. gemmeticensis Labbe fort. recte
v. q(u)ar ms. corr. Bisson
w. navi ms.
x. post annuatim lac. 12 fere litt. praebet ms.
y. in sequenti Bisson praeeunte HF 1806 ; at vide infra ad a. 1131 sequenti anno mortuus est
z. rolľ ms. rollonem Labbe Bisson
aa. neglete ms.
ab. nu(n)dum ms. corr. Labbe
ac. post electione iter. el ms.ac
ad. eleminat(us) ms. corr. Labbe
ae. post duos iter. laicos ms.ac
af. ea fort. legendum
ag. cognomie(n)to ms.
ah. papa ms.ac
ai. post parte iter. uterque parte ms.ac
aj. cathologo ms. corr. Labbe
ak. unquam Labbe
al. octavam HF 1806 oct’ ms. octavas Labbe
am. istius HF 1894
an. hic distinximus cum HF 1894 post cellarium dist. Bisson
ao. post et iter. refectoriu(m) ms.ac
ap. ammiras HF 1894 aumuras dubitanter Bisson
aq. quae HF 1894
ar. alexandri fort. scribendum : vide ms. 211, fol. 77 vo mg, c(u)i succ(essit) nicolaus alexand(r)i ; ms. 214, p. 197 partis prioris, nicolaus alexandri
as. stalla HF 1894 stall’ ms. stallum Bisson
at. nobilia ms. corr. HF 1894
au. post quod habet fustu(m) ms.ac
av. t(r)ansquillitate ms.
aw. resistit ms. corr. Labbe adstipulante HF 1894
ax. 1334 Labbe quatre add. a. m. in mg.
ay. drivaria ms. ut vid. druiaria Bisson qui arinaria dubitanter proposuit
az. destructe ms.
ba. loci addidimus
bb. feoď ms. feodum Bisson ; at vide infra maneria [n. pl.] de brion de genez et de abbatiola
bc. heleñ ms. helenensi Bisson
bd. hic inc. manus altera
be. t(r)incentesimo ms.
bf. uniceque ms.
bg. post melorio verbum 7 fere litt. erasum est
bh. etiam Bisson
bi. aurelogiu(m) ms.
bj. post normanniae duo versus erasi sunt
Commentaires :
1. Vers la fin du viie ou au début du viiie siècle, un clerc mit par écrit le récit de la fondation du sanctuaire dédié à l’archange saint Michel sur le Mont Gargan en Pouille. Ce Liber de apparitione sancti Michaelis in Monte Gargano (BHL 5948), également désigné Memoriam – qui est le premier mot du texte –, a connu une large diffusion en Europe ; cf. V. Sivo, édition du Liber in Bouet et al., 2003, p. 1-4 ; Bouet et Desbordes, 2009, p. 113-135 : édition, traduction et commentaire du texte recueilli dans le ms. 211 de la Bibliothèque municipale d’Avranches (fol. 156-161, fin xe-début xie s.). L’auteur de la première partie du De abbatibus, Robert de Torigni (1110-1186) (voir Lecouteux, 2017), se réfère à un état du texte interpolé précisant les noms du pape (Gelasius), de l’empereur (Zeno) et de l’évêque de Siponto (Laurentius), tel qu’on les trouve dans les mss 213 (xive s.), fol. 95-97, et 211 (xve s.), fol. 1-4v, de la Bibliothèque municipale d’Avranches (ibidem, p. 113, n. 4, et 125, n. 2) ; cf. Lecouteux, 2018, p. 20-21. Les noms des pape et empereur pour l’année 506 sont incorrects (voir notes suivantes).
2. Zénon régna sur l’Empire romain d’Orient de 474 à 491. À cette époque, l’Apulie et la Calabre dépendaient de Constantinople. En 506, l’empereur romain d’Orient était Anastase Ier, qui régna de 491 à 518. – Un manuscrit du Liber pontificalis présente à la suite du nom de Zénon dans la notice consacrée au pape Gélase (LI) l’interpolation suivante : Hujus temporibus inventa est aecclesia sancti angeli in monte Gargano (cf. Liber pontificalis, 1886, p. 255 et n. 2, p. 256).
3. Gélase fut évêque de Rome de 492 à 496. Contrairement au Memoriam (VI), le Liber pontificalis (LI) ne fait pas état de l’intervention de ce pape dans la fondation du sanctuaire du Mont Gargan. Il rapporte, en revanche, chap. LIII, que le pape Symmaque, qui occupa le siège de Rome de 498 à 514, agrandit une église de Rome dédiée à l’archange Michel (Item ad archangelum Michahel basilicam ampliavit [cf. Liber pontificalis, 1886, p. 255, p. 262 et n. 36, p. 268]).
4. Le récit de l’apparition de l’archange saint Michel sur le mont Tombe est connu par un texte rédigé au début du ixe siècle par un clerc montois, la Revelatio ecclesiae sancti Michaelis archangeli in Monte qui dicitur Tumba (BHL 5951) ; cf. Bouet et Desbordes, 2009, p. 29-109.
5. L’empereur Justinien évoqué dans le texte est nécessairement Justinien II, dit Rhinotmète (« Nez coupé »), qui gouverna de 685 à 695, puis de 705 à 711.
6. Au début du viiie siècle, deux papes se succédèrent sous le nom de Jean : Jean VI (701-705) et Jean VII (705-707). Mais en 708, le siège de Rome fut occupé par Sisinius (708) et Constantin Ier (708-715).
7. Trois rois portèrent ce nom en Gaule sous les Mérovingiens : Childebert Ier (511-558), troisième fils de Clovis, qui hérita de Paris comme capitale ; Childebert II (575-596), qui gouverna l’Austrasie et la Bourgogne ; Childebert III (695-711), le seul qui régna sur les trois regna : Austrasie, Bourgogne et Neustrie, comme le précise la Revelatio (I, 1). C’est donc ce dernier qui est désigné ici. La qualification de minor s’explique sans doute par le fait que Childebert était le second fils de Thierry III – Clovis IV (691-695) étant l’aîné. Cf. Bouet et Desbordes, 2009, p. 68-70.
8. Le texte de la Revelatio est le seul document antérieur à l’an mille qui donne le nom d’Aubert. Est-ce un nom inventé par le clerc du ixe siècle ou celui d’un authentique évêque sur l’existence duquel nous n’aurions conservé aucun témoignage ? Aubert pourrait avoir été installé évêque d’Avranches lors de la prise du pouvoir par Pépin II de Herstal en Neustrie à partir de 687 ; cf. Lelegard, 1967, p. 29-52 ; Bouet et Desbordes, 2009, p. 70-73.
9. Cf. Revelatio (VII, 2). Sur ce paragraphe, cf. Lecouteux, 2018, p. 28-29 ; p. 52.
10. À partir des années 960, le comte de Rouen, Richard Ier (942-996) soutint la restauration de plusieurs monastères du duché, mis à mal par les destructions des Vikings au siècle précédent : Saint-Wandrille et Saint-Ouen de Rouen vers 960, le Mont Saint-Michel en 965/966 et Saint-Taurin d’Évreux dans les années ultérieures. Pour le Mont, selon l’Introductio monachorum (VIII, 1), dans Bouet et Desbordes, 2009, p. 214-215, le duc Richard Ier aurait fait appel à Mainard. Sur les notices des années 966-1009, cf. Lecouteux, 2018, p. 7-8 ; 29-30 ; 53-55.
11. Undecimque est le produit d’une mauvaise lecture des jambages de l’adverbe undecunque : en effet, la source du De abbatibus est ici l’Introductio monachorum VII, 1 : aggregatis undecumque idoneis in sancta religione monachis. Une confirmation indirecte de cette leçon est apportée par l’Inventio et miracula sancti Vulfranni (Laporte, 1938, p. 34) : […] Denique ad montem sancti archangeli compulerunt (sc. Nortmannorum dux et primates ejus) migrare (sc. Mainardum), quatinus, canonicis inde eliminatis, monachos quibus praeesset in regulari disciplina deberet undecumque aggregare.
12. Le pape Jean XIII (965-972) aurait, selon les Brèves annales du Mont Saint-Michel et l’Introductio monachorum, rédigé une bulle en faveur de la fondation du monastère bénédictin sur le Mont ; mais ce document semble être un faux forgé au cours du xie siècle, à une époque où les moines tentaient d’établir l’un des leurs sur le siège abbatial, c’est-à-dire en 1027, vers 1048 ou entre 1058 et 1060. Cependant, une intervention du pape en faveur de l’initiative du duc de Normandie reste vraisemblable ; cf. Gazeau, 2007, t. II,p. 198 ; Bouet et Desbordes, 2009, p. 157-158.
13. Le roi de France, Lothaire (954-986), confirma la réforme bénédictine décidée par le duc Richard Ier et l’archevêque de Rouen, Hugues. Ce document est un acte authentique – dont l’original a été perdu –, interpolé au xie siècle : on y a intercalé la fausse bulle du pape Jean XIII. Il a été émis le 7 février 966 ; cf. Gazeau, 2007, t. II, p. 198 ; Bouet et Desbordes, 2009, p. 158-159.
14. D’après la tradition, ce Mainard, originaire de Flandre, aurait gouverné Saint-Wandrille de 960 à 965/966, puis le Mont de 965/966 à 991 ; cf. l’Introductio monachorum (BHL 5952) dans Bouet et Desbordes, 2009, p. 149-225 ; Laporte, 1967a, p. 53-80 ; Gazeau, 2007, t. I, p. 202-211 ; t. II, p. 197-198 et p. 331-332.
15. Mainard II était également abbé de Saint-Sauveur de Redon en Bretagne, et c’est dans cet établissement qu’il se retira après sa démission ; cf. Gazeau, 2007, t. II, p. 198-200.
16. L’incendie du monastère se produisit peu après l’installation de l’abbé Mainard II, en 992, si l’on en croit Le Roy, 1878, t. I, p. 97-98. Il causa des dommages non seulement à l’abbatiale (monasterium), mais aussi aux bâtiments conventuels (cum omnibus officinis) ; cf. Laporte, 1967a, p. 63-67.
17. Hildebert Ier dirigea le monastère montois de 1009 à 1017 environ ; cf. Gazeau, 2007, t. II, p. 200-202 ; Lecouteux, 2018, p. 30 ; 66-67.
18. C’est sous l’abbatiat d’Hildebert que, selon le De translatione et miraculis beati Autberti, on redécouvrit dans la soupente d’un toit de cellule les restes que l’on crut être ceux de saint Aubert : le chanoine Bernier, contraint de quitter sa cellule en 965, y aurait caché les ossements de l’évêque. Ils furent découverts près d’un demi-siècle plus tard, vers 1012. Constatant, lors de leur expertise, la présence d’un orifice sur le crâne, les moines imaginèrent que ce trou avait été causé par le doigt de l’archange saint Michel, lorsque celui-ci, irrité des atermoiements de l’évêque, le visita pour la troisième fois ; cf. De translatione dans Bouet et Desbordes, 2009, p. 229-255. La découverte des restes d’Aubert n’entraîna pas la composition immédiate d’une liturgie dédiée au saint évêque d’Avranches : dans le Sacramentaire du Mont (ms. New York, Pierpont Morgan Library, 641, daté du milieu du xie s.), la liturgie concernant Aubert n’est pas de première main : elle a été ajoutée après coup, dans la seconde moitié du xie siècle. Probablement apparue au Mont sous l’abbatiat de Renouf (1061-1084), soucieux de la promotion d’un culte local, elle est donc contemporaine de la rédaction de l’Introductio monachorum, qui marque la naissance du culte officiel d’Aubert.
19. Hildebert II succéda à son oncle Hildebert Ier vers 1017. Il gouverna le Mont jusqu’à sa mort, en 1023 ; cf. Gazeau, 2007, t. II, p. 202.
20. Cette remarque montre que la date de la mort d’Hildebert Ier et celle de l’accession d’Hildebert II, son neveu, n’étaient plus connues au moment de la rédaction du De abbatibus, c’est-à-dire plus d’un siècle après les faits, vers 1154 ; voir Lecouteux, 2017.
21. C’est sous son abbatiat – ou peut-être sous celui d’Hildebert Ier – que se serait produit le plus illustre miracle accompli par l’archange, rapporté par les Miracula sancti Michaelis (BHL 5952) : une femme de la région de Lisieux, venue en pèlerinage au Mont, fut surprise au retour par la montée rapide de la marée ; elle accoucha sur les grèves, cernée par les eaux, qui lui laissèrent un espace libre pour enfanter ; cf. Bouet et Desbordes, 2009, p. 325-329.
22. Hildebert II commença sans doute la construction de l’abbatiale par la crypte orientale et le chœur roman, qui s’écroula au xve siècle ; cf. Laporte, 1967a, p. 63-67 ; Gazeau, 2007, t. II, p. 202.
23. Ce paragraphe est une reconstruction élaborée par Robert de Torigni, lequel tente de concilier plusieurs sources contradictoires, en particulier les Annales du Mont Saint-Michel (ms 211), le catalogue des abbés du Mont, les archives de l’abbaye et, peut-être, les Annales de Jumièges (Laporte, 1954). Suppon, qui n’était encore qu’un simple moine en 1027, devint abbé du Mont en 1033 et abbé de Fruttuaria, son monastère d’origine, en 1042. Il cumula les deux abbatiats de 1042 à 1048 environ ; cf. Lecouteux, 2018, p. 30-37.
24. Thierry, mort en 1027 – et non en 1036, comme les Annales de Jumièges l’indiquent tardivement par erreur –, précéda Aumode au Mont et Raoul à Bernay. Abbé de Jumièges de 1017 à 1027, il cumula cet abbatiat avec celui du Mont Saint-Michel à partir de 1023 ; il devint en outre gardien (custos) de Bernay à partir de 1025. Il mourut le 17 mai 1027 et fut inhumé dans l’abbaye de Jumièges. Aumode, un Manceau, lui succéda au Mont de 1027 à 1032. Il fut relevé de sa charge en 1032, pour des raisons obscures, par le duc Robert le Magnifique, qui lui confia l’abbatiat de sa nouvelle fondation à Cerisy-la-Forêt. Aumode y mourut l’année suivante, le 17 mai 1033, et y fut inhumé ; cf. Laporte, 1967a, p. 63-67 ; Gazeau, 2007, t. II, p. 30-32, 147-149 et 203-205 ; Lecouteux, 2018, p. 30-37.
25. Le manuscrit porte ici *extegro – corruption probable d’ex integro, qu’on traduira par « réellement », « complètement ».
26. Suppon poursuivit au Mont l’œuvre commencée par Hildebert II : il s’agit vraisemblablement de l’achèvement du chœur roman, de lacrypte Saint-Martin et de celle des Trente Cierges, qui soutiennent les deux bras du transept. On édifia sous l’abbatiat suivant les piliers de la croisée du transept.
27. Cf. la description du calice et de la patène, avec le texte des inscriptions latines qu’ils portaient, dans Neustria pia, p. 384-385.
28. Le cartulaire de l’abbaye (ms. 210, fol. 81-89) contient des copies des chartes, rédigées sous l’abbé Renouf, de restitution de terres perdues sous Suppon.
29. Les moines du Mont accusaient leur abbé Suppon d’avoir dilapidé certains biens du monastère. Une charte de Guillaume le Conquérant confirme le retour au monastère montois du Moulin de Vains, dit Moulin-le-Comte, que Suppon avait donné à un certain Renouf, en dépit de l’opposition des moines : Suppo abbas contra jus fasque idem molendinum dedit Ranulfo monetario, monachis id contradicentibus ; cf. M. Fauroux, Recueil des actes des ducs de Normandie de 911 à 1066, Caen, Caron, 1961, p. 333, no 148. Suppon quitta le Mont vers 1048, sans démissionner, et se retira à l’abbaye de Fruttuaria, dont il était alors l’abbé. C’est là qu’il mourut en 1061 ; cf. Laporte, 1967a, p. 63-67 ; Gazeau, 2007, t. II, p. 205-207.
30. Raoul, moine de Fécamp et custos de Bernay (de 1027 à 1048), fut imposé par le duc Guillaume du vivant de Suppon. Il dirigea le monastère de 1048 à 1058. Sur les dates controversées de son abbatiat, cf. Laporte, 1967a, p. 63-67 ; Gazeau, 2007, t. II, p. 207-208 ; Lecouteux, 2018, p. 8-9 ; 38-40 ; 67-68.
31. Raoul aurait fait édifier les quatre piliers de la croisée et leurs arcs (quattuor columnas et arcus), sur lesquels sera par la suite posée la tour de croisée : le « chœur » (chorus) désigne la partie de l’église réservée aux moines ou clercs qui chantent l’office et comprenant la partie du transept où s’élève la tour de croisée.
32. Il effectua le voyage en Terre Sainte, sans qu’on puisse préciser avec certitude la date de ce voyage et celle de sa mort. Selon Huynes, 1872-1873, t. I, p. 157, exploitant le Chronicon majus Sancti Michaelis de Monte, aujourd’hui perdu, il serait mort à son retour de Jérusalem, le 29 juillet 1058.
33. Sans doute Raoul était-il proche du Mont lorsque son décès survint : on rapatriait rarement les corps de ceux qui mouraient au loin ; cf. le cas bien connu du duc Robert le Magnifique, mort à Nicée en 1035 et inhumé sur place.
34. Renouf fut élu abbé du Mont après une vacance de deux ans – entre 1058 et 1060, selon le De abbatibus. Il avait dirigé le monastère en qualité de prieur pendant le voyage de Raoul à Jérusalem et sans doute également pendant la vacance qui suivit la mort de Raoul. Renouf mourut le 19 décembre 1084, après un abbatiat de 23 ans (cf. Laporte, 1967a, p. 63-67 ; Gazeau, 2007, t. II, p. 209-211). C’est lui qui, en 1061, conclut une importante convention entre Jean d’Ivry, évêque d’Avranches, et les moines du Mont en vue d’harmoniser les relations entre le monastère et l’évêché, ce dont ne parle pas le De abbatibus (cf. Bouet et Desbordes, 2009, p. 375-378 ; Lecouteux, 2018, p. 38-40 ; 67-68).
35. Renouf fit édifier la nef (navis) de l’abbatiale et plusieurs autres bâtiments, notamment dans la partie occidentale du Mont. Il construisit, en effet, une « galerie » (galeria, terme inconnu du latin classique et du latin tardif), soit un cryptoportique permettant la communication entre les cryptes, soit une galerie du cloître. Il aménagea le cimetière des moines sous la partie occidentale de la nef, sur laquelle il éleva le porche de l’église abbatiale. À propos de ce cimetière, la Neustria pia indique (p. 385) qu’il fit creuser le rocher pour aménager une grotte souterraine : subterraneum specum, rupe incisa, in monachorum sepulturam parat, tandis que la Gallia christiana parle d’un cimetière subter majori ecclesia. Il fit élever, en outre, un mur (maceria) autour du cloître (claustrum) : ce mur extérieur entourait sans doute les galeries en bois du cloître, comme l’avait compris Dom Thomas Le Roy (Le Roy, 1878, t. I, p. 127). Quant à la domus sartorum, il s’agit vraisemblablement d’une demeure pour artisans, la présence desquels était indispensable pour l’entretien des bâtiments, voire d’une demeure pour les personnes chargées de l’entretien des ornements et des vêtements, comme le suggère le verbe sarcire (« réparer », « raccommoder »). Il édifia également une muraille fortifiant une entrée du monastère (castellum) située au nord. Sur cette notice, voir Lecouteux, 2018, p. 40.
36. Il envoya à Guillaume en Angleterre six navires armés aux frais du monastère, sur lesquels se trouvaient plusieurs moines montois, contribuant ainsi à l’encadrement de la nouvelle Église d’outre-Manche : Ruauld fut abbé de 1072 à 1088, Scolland de 1070 à 1087, Serlon de 1072 à 1104 et Guillaume d’Agon de 1093 à 1095.
37. En réalité, Ruauld devint abbé de New Minster à Winchester : au bas de l’acte consacrant la primatie de l’archevêque de Cantorbéry sur l’archevêque d’York figure « Rualodus [sic] abbas Novi Monasterii Wentoniae ». Ce n’est qu’en 1110 que cette abbaye fut déplacée et reconstruite hors les murs, dans un endroit – Hyde Mead ou Hyde Meadow – qui lui donna son nouveau nom, Hyde Abbey ; cf. ms. British Library, Harley 1761, fol. 17 : A.D. MCX Remotio Novi Monasterii extra civitatem usque ad Hydam. – A.D. MCXI Translatio reliquiarum Novi Monasterii a civitate Wintonia usque ad Hidam (cité in Monasticon Anglicanum, William Dugdale (éd.), vol. II, Londres, James Bohn, 1846, p. 429, col. A, note g).
38. La forme exacte du nom de Scolland, Scollandus, est donnée par le ms. Avranches, BM 103, dans la souscription duquel il figure en capitale, fol. 220 v, comme les noms des cinq autres copistes qui se sont partagé avec lui la transcription d’un exemplaire des Homélies de Grégoire le Grand.
39. De toute évidence, le texte présente une lacune : une traduction exacte du texte transmis fait dire à l’auteur qu’il félicite Renouf d’avoir administré l’abbaye remarquablement en distribuant à des proches les terres du monastère ! Il faut rétablir soit une négation devant le verbe, <non> largitus est (« du fait qu’il n’avait pas fait don à ses proches… »), soit une allusion à Suppon, qui avait dilapidé certains domaines, que Renouf récupéra, propter hoc quod multas de terris ecclesiae <recuperavit quas Suppo> propinquis suis largitus est (« […] parce qu’il recouvra les nombreux domaines appartenant à l’église dont Suppon avait gratifié ses proches »). Renouf, en effet, est connu pour avoir augmenté considérablement le patrimoine foncier de l’abbaye par des donations (cure et prieuré de Saint-Brolade, domaine de Villarenton, où sera fondé le prieuré de l’Abbayette, Furqueville, Heiantot, Poterel, Luoth) et pour avoir récupéré le Moulin-le-Comte, vendu par Suppon à Renouf Le Monnoyer, ainsi que la terre de Landiguihu, donnée par ce même Suppon à Rivalon. Le Cartulaire du Mont Saint-Michel (ms. 210, fol. 81-89) contient les chartes de donation et de restitution ; cf. Lecouteux, 2018, p. 41, n. 145.
40. Roger Ier, moine de Saint-Étienne de Caen, dirigea l’abbaye du Mont de 1085 à 1106 ; cf. Dufief, 1967, p. 82-86 ; Gazeau, 2007, t. II, p. 211-213. Les Annales du Mont Saint-Michel du ms. 211 (a nativitate sancti Johannis usque ad annum 1291) précisent même : Huic [sc. Ranulfo] successit Rogerius Cadomensis, non electione monachorum, sed vi terrenae potestatis. Sur les sources de la présente notice, cf. Lecouteux, 2018, p. 41 ; 57-60.
41. En 1102, une colonne de feu tomba sur le sommet du Mont, ce qui fut considéré comme une apparition de l’archange saint Michel. L’auteur du De abbatibus a reproduit une notice figurant également dans les Annales mineures du Mont Saint-Michel (ms. 213, fol. 171 [ab anno 506 ad annum 1154]) et se rapportant à l’année 1102 : […] visus est a nonnullis prope ac procul positis sanctus Michael archangelus, prout credimus, in figura columnae igneae, in nocte scilicet suae festivitatis, penetrasse ecclesiam hujus montis. En 992/994, l’évêque d’Avranches, Norgod, ayant cru voir le Mont en flammes, s’était précipité au secours des moines, mais il trouva la communauté indemne. L’abbé Mainard et l’évêque Norgod estimèrent alors que ce « feu [du ciel] ne révélait pas autre chose que la présence des esprits bienheureux » accompagnant l’archange ; cf. Bouet et Desbordes, 2009, p. 312-314.
42. En 1103, dans la nuit du samedi de Pâques, le ciborium totius navis ecclesiae « construit par l’abbé Roger » s’écroula. Par ciborium, il faut vraisemblablement entendre le voûtement de la nef, qui était peut-être en pierre et non en charpente. En réalité, selon le témoignage de Dom Thomas Le Roy, la nef se serait écroulée à deux reprises : celle que Renouf édifia avant 1084 s’effondra en 1094 ; cf. Le Roy, 1878, t. I, p. 137. L’abbé Roger la reconstruisit « en pierre et en mortier », comme l’affirme la Neustria pia, p. 386 (testitudo basilicae quam Rogerius ipse abbas aedificaverat lapidibus et coemento contexto), et c’est cette nef édifiée par Roger qui s’écroula en 1103, détruisant « une grande partie du dortoir des moines ». Selon la tradition historiographique montoise – cf. les Annales du Mont Saint-Michel, ms. 211, fol. 75 v, ad a. 1103 –, personne ne fut tué, la majorité des moines étant sortie pour chanter matines ; les quelques moines – dispensés d’office ? – qui y dormaient en réchappèrent. Le De abbatibus évoque une situation quelque peu différente : au moment de l’écroulement, les moines ayant fini de chanter matines (matutinis peractis) se trouvaient, soit encore dans l’endroit où ils avaient chanté, soit s’en retournant au dortoir, soit déjà recouchés. Cette fois-ci, la couverture de la nef fut réalisée en bois, ce qui explique l’importance de l’incendie allumé par la foudre en 1112.
43. L’abbé Roger, en conflit avec les moines, fut contraint à la démission par le roi Henri Ier Beauclerc, auquel les moines s’étaient plaints. Ceux-ci reprochaient à leur abbé d’avoir provoqué le renvoi des moines récalcitrants dans d’autres monastères de Normandie (cf. Gallia christiana, col. 516 : […] quod expulsione fratrum suorum quos rex ad nutum abbatis in varia Normandiae ablegaverat monasteria, desolatus est hic locus […]). L’abbé Roger mourut le 18 octobre 1112 dans l’abbaye deCerne ; cf. Gazeau, 2007, t. II, p. 211-213.
44. Roger II, prieur de Saint-Pierre de Jumièges, gouverna le monastère montois de 1106 à 1123 ; cf. Gazeau, 2007, t. II, p. 213-214. Sur les sources de cette notice, cf. Lecouteux, 2018, p. 41.
45. En 1112, le 25 avril, la foudre provoqua un incendie qui détruisit l’abbatiale et les bâtiments conventuels. L’auteur du De abbatibus s’exprime dans les mêmes termes que les Annales du Mont Saint-Michel ; cf. Lecouteux, 2018, p. 9-10 ; 41 ; 60-61. Selon Dom Jean Huynes (Huynes, 1872-1873, t. I, p. 164) et Dom Thomas Le Roy (Le Roy, 1878, t. I, p. 142-143), qui utilisent comme source le Collectarium historiarum monasticarum, aujourd’hui perdu, la foudre réduisit en cendres toute l’église et les lieux réguliers laissant les voûtes, les piliers et murailles à découvert. La chapelle des Trente Cierges fut dévastée également, à l’exception d’une vierge en bois. Le village échappa cependant au désastre.
46. Le manuscrit porte la forme navi, qui fait difficulté ; sans doute l’abréviation de videlicet est-elle à l’origine de cette mauvaise lecture. Le texte transmis suggère la restitution suivante : Iste fecit multa bona, videlicet sarta tecta […]. L’expression sarta tecta reparavit ou restauravit se retrouve chez Robert de Torigni : Dux Gaufridus sartatecta turris Rothomagensis et castelli, quae per obsidionem corrupta fuerant, decenter restaurat (Chronique de Robert de Torigni, abbé du Mont Saint-Michel suivie de divers opuscules historiques, L. Delisle (éd.), I, p. 242).
47. L’abbé Roger II se consacra à la remise en état du monastère. Il restaura l’église abbatiale, en particulier la nef, dont le mur nord, écroulé en 1103, n’avait pas encore été relevé. Il restaura également tous les bâtiments conventuels situés au nord (dortoir, hôtellerie, réfectoire), le cloître, dont on remplaça les éléments en bois par de la pierre. L’expression aream claustri suggère que toute la surface au sol du cloître était en bois : l’abbé remplaça par un pavage le plancher du cloître. L’auteur insiste sur le fait que sur trois niveaux, tout reposait sur des voûtes. Cette superposition de salles existe toujours, mais avec une destination différente.
48. En 1123, sur ordre du roi Henri Ier, Roger II dut se démettre de sa charge – il remit son bâton pastoral sur l’autel le 16 octobre – et revenir à Jumièges, où il mourut l’année suivante, le 2 avril ; cf. Gazeau, 2007, t. II, p. 211-213.
49. Richard de Méré (début 1124-12 juillet 1128) était sans doute originaire de Méré (Saint-Denis-de-Méré, Calvados). Il fut déposé, lors du concile de Rouen, en octobre 1128, sans doute pour avoir dilapidé les biens du monastère, comme le prouvent les restitutions effectuées sous l’abbatiat de son successeur, Bernard. Il retourna à Lewes, où il mourut le 12 janvier 1131 ; cf. Gazeau, 2007, t. II, p. 214-215.
50. Paene laicus, « presque laïc » : expression désignant un moine pourvu d’une instruction rudimentaire (ignorant le latin ?) ; on la traduit aussi parfois par « semi-laïc ». Comparer Baudri de Bourgueil, Historia magistri Roberti, 8, 4 : l’évêque de Rennes Sylvestre, qualifié par cet auteur de non multum litteratus (8, 2), parle de lui-même comme d’un pene laicus ; et Robert de Torigni, chron. ad a. 1157 (Delisle, 1872-1873, I, p. 304) : Monachi claustrales Cluniaci tumultuaria electione […] quendam semilaicum Rotbertum Grossum […] elegerunt.
51. Fabrica peut également désigner « la forge » : on profita du foyer – ou des foyers – destiné à la cuisson des aliments pour y installer une forge.
52. Bernard (5 février 1131-8 mai 1149) fit ses études à Paris, avant de devenir moine au Bec-Hellouin. Son neveu, Étienne de Rouen, est l’auteur du Draco Normannicus. Bernard fut nommé par Henri Ier à la tête du Mont Saint-Michel après une vacance de trois ans ; cf. Gazeau, 2007, t. II, p. 216-218.
53. Cremon : aucun monastère ne correspond à ce nom. Selon Dom J. Laporte, il faut lire « Crenne », paroisse qui s’appelle aujourd’hui Millebosc. Le prieuré de Saint-Martin-du-Bosc est situé sur la commune d’Incheville en forêt d’Eu (canton de Blangy-sur-Bresle, Seine-Maritime) ; cf. Laporte, 1967b, p. 274 ; Gazeau, 2007, t. II, p. 216, note 201.
54. Bernard fit élever la tour centrale sur les voûtes de la croisée du transept : le terme chorum englobe tout l’espace où se tenaient les chanteurs (cf. note 33).
55. Robert de Torigni, dans sa chronique (ad a. 1158 ; Delisle, 1872-1873, I, p. 315), rapporte que ce chef était conservé in vase argenteo. Sur ce reliquaire, Bernard avait fait inscrire, selon les témoignages de Dom J. Huynes (ms. Paris, BNF, fr. 18947, fol. 85) etde Dom Thomas Le Roy (Le Roy, 1878, t. I, p. 149) : Caput beati Auberti, hujus loci fundatoris, anno Dei incarnati septem centum illis horis et octavo, Abrincensis episcopi ; foramen sis certus revelatione angelica rei bonae. Voici la traduction qu’en propose Dom J. Huynes, ibid. : « Icy repose la tête de sainct Aubert évesque d’Avranches et fondateur par la révélation angélique de l’église de ce lieu, l’an sept cent huict de l’Incarnation de nostre Seigneur. Sois certain que ce trou est un signe d’une bonne chose ».
56. Des différentes significations de signum – « statue », « bannière », « cloche » –, la dernière est ici la seule possible : l’appellation de « Rollonne », attribuée à une précédente cloche – que la Neustria pia, p. 387, nomme Rollonam, « la Rollonne » –, rend ce choix évident. Ces cloches ont été fondues pour sonner le tocsin en cas de grave menace, comme une attaque des Bretons.
57. Bernard fonda également trois prieurés : l’un à Tombelaine, où il édifia une église dédiée à Notre-Dame et deux maisons pour les moines, un autre à Brion, le troisième en Angleterre, sur l’île de Saint-Michel en Cornouailles, avec douze moines placés sous l’autorité d’un prieur ; cf. Dufief, 1967, p. 92-99 ; Gazeau, 2007, t. II, p. 217-218.
58. Le monastère avait été dépouillé de nombreuses terres en raison des conflits liés, après la mort de roi Henri Beauclerc en 1135, à la rivalité entre Mathilde l’Emperesse, que les moines auraient pu soutenir, et Étienne de Blois, pour lequel la ville d’Avranches prit parti. Au mois d’août 1138, le village du Mont fut attaqué et incendié par une foule venue d’Avranches : le feu épargna cependant l’église abbatiale et quelques bâtiments conventuels. La Gallia christiana (col. 518) parle de debacchatione Abrincatensium furentium, et Dom Thomas Le Roy qualifie cette foule de « truandaille avranchinoise […], multitude de mauvais garnements, gens de ligue et ramassez de la ville d’Avranches » (Le Roy, 1878, t. I, p. 157-158).
59. Geoffroy (9 mai 1149-30 décembre 1150 / 4 janvier 1151), moine du Mont, fut élu par la communauté sans l’autorisation ducale, c’est-à-dire celle de Geoffroy d’Anjou. Pour faire accepter cette élection par le duc de Normandie, l’abbé dut lui verser une somme d’argent, qu’il emprunta. Geoffroy fut béni par l’archevêque de Rouen, Hugues d’Amiens, à l’abbaye de Saint-Georges de Boscherville, et il obtint du pape Eugène III, en décembre 1150, une bulle de confirmation avec la clause Obeunte. Cf. Gazeau, 2007, t. II, p. 218-219 ; Lecouteux, 2017, p. 6-7.
60. Il s’agit du comte Geoffroy V Plantagenêt, comte d’Anjou et du Maine (1129-1151), qui devint duc de Normandie (1144-1150) après son mariage avec Mathilde l’Emperesse. L’auteur, contemporain des faits des années 1149-1153, distingue la situation du père et celle du fils : Geoffroy d’Anjou est qualifié de comes, tandis que Henri II est désigné comme dux dans la notice de l’année 1152.
61. En réalité, en 1151 : Geoffroy mourut entre le 30 décembre 1150 et le 4 janvier 1151.
62. Selon Dom Jean Huynes (Huynes, 1872-1873, t. I, p. 172-173), suivi par Dom Thomas Le Roy (Le Roy, 1878, t. I, p. 162-163), Richard de la Mouche était le « cousin » de l’évêque d’Avranches, Richard de Subligny. Furieux de n’avoir même pas été informé de cette élection, Henri Plantagenêt, fils de Mathilde l’Emperesse, envoya des officiers dépouiller le monastère des croix, calices et autres objets précieux ; cf. Gazeau, 2007, t. II, p. 219-220.
63. C’est-à-dire entre la fin de l’année 1151 et l’établissement de Robert de Torigni à la tête de l’abbaye, le 27 mai 1154.
64. Au cours du premier semestre 1152 et avant la réception de la lettre du pape Eugène III, datée du 7 juillet 1152.
65. Renaud de Saint-Valery, sénéchal et justicier de Normandie sous les ducs Geoffroy Plantagenêt (1144-1150) et Henri II (1150-1189), est connu par une vingtaine de chartes normandes rédigées entre 1144 et 1163 ; cf. Haskins, 1918, p. 145-148, 162 et 166-167 ; Bloche, 2012, actes nos 115-116, 128, 138-139 ; SCRIPTA, Base des actes normands médiévaux, dir. Pierre Bauduin, Caen, CRAHAM-MRSH : actes nos 812, 814, 821, 881, 5887, 6605, 6608, 6632-6634, 6638, 6642, 6700, 6755, 6851, 6905, 6907, 6918 et 6919.
66. Après une gestion d’un peu plus de deux ans par des agents du duc, les moines se résolurent à casser l’élection de Richard de la Mouche et à élire le candidat officiel, Robert Hardi. Celui-ci est dit nec clericu[s] nec laicu[s] : comme il occupe une fonction de cellérier au monastère de Fécamp, nec clericus signifie qu’il n’était pas homme d’église ayant reçu les ordres sacrés, tandis que nec laïcus indique qu’il avait quitté le monde ; il était seulement moine, monachus, sans avoir reçu aucun des grades ecclésiastiques. Cf. Honoré D’autun, Summa de Apostolico et Augusto (PL, 172, col. 1262) : Si non est laïcus, est clericus. Si est clericus, tunc est ostiarius aut lector aut exorcista aut acolithus aut subdiaconus aut diaconus aut presbyter. Si de his gradibus non est, tunc clericus non est. Porro si nec laïcus nec clericus, tunc monachus est ; voir Dufief, 1967, p. 99-101 ; Gazeau, 2007, t. II, p. 218-219. Le pape Eugène III ordonna à l’évêque d’Avranches de bénir sans tarder Richard et d’excommunier Robert Hardi, que les moines venaient d’élire sur injonction du duc de Normandie (cf. lettre du 7 juillet 1152, in S. Löwenfeld, Epistolae pontificum Romanorum ineditae, Leipzig, Veit, 1885, no 206, p. 109-110).
67. Il s’agit d’Eugène III (1145-1153), qui menaça de jeter l’interdit sur le duché de Normandie, si le duc Henri n’acceptait pas comme abbé du Mont Richard de la Mouche. Ce pape mourut peu après les trois Normands : Richard de la Mouche, Robert Hardi et Richard, évêque d’Avranches ; cf. Gazeau, 2007, t. II, p. 220.
68. Cf. Robert De Torigni, chron. ad a. 1153 : Mortuo Ricardo episcopo Abrincensi in itinere Romae, cum illuc perrexisset causa altercationis duorum electorum abbatiae Montis Sancti Michaelis, […] (ms. 159, fol. 204 v ; Delisle, 1872-1873, I, p. 279).
69. Cette mention expresse prouve l’existence au Mont d’un Catalogue des abbés ; cf. Lecouteux, 2017, p. 6-7, et 2018, p. 4-6. – Istos duos in catalogo abbatum non annumero : cette expression a son correspondant dans un complément (une glose ?) à la chronique de Robert de Torigni, ad a. 1171 (ms. Avranches, BM 159, fol. 221 : […] canonizatus est sanctus Thomas a papa Alexandro] canonizatus i(d est) sanctorum catalogo annumeratus […]).
70. Ces indications se retrouvent avec quelques variantes dans les Annales montoises du ms. 213 (ab anno 506 ad annum 1154, fol. 172) et dans la Chronique de Robert de Torigni (ms. 159, fol. 205-205 v ; Delisle, 1872-1873, I, p. 284), à l’année 1154 : Mense maio, VI kalendas junii, feria quinta infra octavas Pentecostes, monasterium beati Michaelis de Periculo maris post tribulationem quam per quinquennium fere jugem passum fuerat, Deo miserante, aliquantulum respiravit, electo unanimiter ab omni conventu Roberto de Torinneio, priore claustrali Beccensis monasterii.
71. Robert, originaire de Torigni, entra au monastère du Bec-Hellouin vers 1138 ; il en devint le prieur en 1149. Élu abbé du Mont Saint-Michel le 27 mai 1154, il fut béni le 22 juillet de la même année au prieuré de Saint-Philibert-sur-Risle. Il mourut le 24 juin 1186 et fut inhumé sous le portique occidental de l’abbatiale. En 1875, lors de travaux de restauration, on découvrit sa sépulture, où se trouvaient sa « crosse en bois sans aucun ornement surmontée d’une volute en plomb » et un disque de plomb sur lequel était inscrit : (avers) Hic requiescit Robertus de Torigneio abbas hujus loci, (revers) qui praefuit huic monasterio XXXII annis, vixit vero LXXX annis (cf. Corroyer, 1877, p. 126-130). Il développa la communauté monastique, qui passa de quarante à soixante moines. Il édifia de nombreux bâtiments sur les flancs occidental et méridional du rocher, notamment les deux tours encadrant la façade occidentale. Le roi Henri II Plantagenêt donna au monastère les églises de Pontorson – donation confirmée par une bulle du pape Adrien IV datée du 23 juillet 1158 ; cf. Gazeau, 2007, t. II, p. 220-225. Selon la Neustria pia (p. 388-389), il aurait rédigé quelque cent vingt ouvrages – sexies viginti volumin[a] –, qu’il déposa dans sa bibliothèque, située dans la tour gauche de la façade, et qui disparurent lorsque cette tour s’effondra en 1310. C’est très vraisemblablement lui qui rédigea la première partie des notices, jusqu’à celles des prétendants Richard de la Mouche et Robert Hardi inclusivement. L’auteur des notices consacrées aux abbés Geoffroy, Richard et Robert sait précisément faire la distinction entre le comte Geoffroy d’Anjou et le duc Henri, son fils, durant les années 1145-1153 : il s’agit nécessairement d’un contemporain au courant des affaires princières ; cf. Lecouteux, 2017, p. 6-7.
72. Martin de Furmendi (après le 24 juillet 1187-19 février 1191), moine du Mont, gouverna le monastère pendant trois ans et demi. On a retrouvé en 1875 sa sépulture, qui renfermait « la volute en plomb de sa crosse abbatiale » et un disque en plomb portant sur l’avers l’inscription : Hic requiescit don[nus] Martin[us] de Furme[n]deio abbas huj[us] loci. Cf. Corroyer, 1877, p. 130-131 ; Gazeau, 2007, t. II, p. 225-226.
73. Jourdain (12 mars 1191-6 août 1212) subit l’épreuve de l’incendie du Mont par les Bretons en 1204. Au printemps 1204, Guy de Thouars, accompagné de gens du Poitou et de Bretagne, assiégea le Mont pour le compte du roi de France et incendia village et monastère. En réparation de cette forfaiture, le roi Philippe Auguste fit don d’une importante somme d’argent destinée à la reconstruction des bâtiments détruits. L’abbé Jourdain fut accusé par les moines de mener une vie fastueuse et de dilapider les revenus du monastère. Il resta cependant en fonction malgré sa déposition par le pape en 1204 et deux visites canoniques en 1209 et 1211. Il voulut être inhumé dans le prieuré de Tombelaine, qui était devenu sa résidence de choix, où il vivait sans se préoccuper des règles. Selon la Neustria pia, furent construits de son vivant dormitorium, clausura refectorii et cellarium, quae fuerant Britannico consumpta incendio ; cf. Neustria pia, p. 390 ; Gallia christiana, col. 521 ; Huynes, 1872-1873, t. I, p. 179 ; Le Roy, 1878, t. I, p. 184-191 ; Gazeau, 2007, t. II, p. 226-227.
74. C’est vraisemblablement en raison de la confusion des dates de début et de fin d’abbatiat des trois abbés qui succédèrent à Jourdain que les auteurs du De abbatibus les ont rassemblés sous une même rubrique. Raoul des Îles (c. 1212-1218/1222/1228/1229) poursuivit le chantier de la Merveille entrepris par Jourdain. Il tenta de restaurer les règles de la vie monastique, que les moines, suivant l’exemple de l’abbé Jourdain, avaient délaissées, mais il dut faire preuve de patience face à leur résistance. Atteint de paralysie, il se retira à Ardevon, après avoir déposé la crosse abbatiale en 1229, selon Laporte, 1967b, p. 275 ; cf. Neustria pia, p. 390 ; Gallia christiana, col. 521-522 : aedificia refecit et nova construxit, praesertim claustrum, quod anno 1228 perfectum fuit ; Huynes, 1872-1873, t. I, p. 179-180 ; Le Roy, 1878, t. I, p. 191-195 ; Chazelas, 1967, p. 141-143. – Thomas des Chambres, dont la durée d’abbatiat (4 avril 1218/1222/1229-5 juillet 1229) fait encore débat, aurait dirigé le monastère entre trois mois et dix ans ; cf. Neustria pia, p. 390 ; Gallia christiana, col. 521-522 ; Huynes, 1872-1873, t. I, p. 180 ; Le Roy, 1878, t. I, p. 195-201 ; Chazelas, 1967, p. 143-145. – C’est à l’initiative de Raoul de Villedieu (5 juillet 1229-12 février 1236/1237), si l’on en croit Dom J. Huynes et Dom Th. Le Roy, que l’on doit les sculptures du cloître (dont les 58 rosaces) et la représentation de saint François d’Assise ; cf. Neustria pia, p. 390 ; Gallia christiana, col. 522 ; Huynes, 1872-1873, t. I, p. 180-181 ; Le Roy, 1878, t. I, p. 202-215 ; Chazelas, 1967, p. 145-146.
75. Richard Turstin (22 février 1237-29 juillet 1264), l’un des grands abbés du xiiie siècle, se révéla à la fois grand bâtisseur et remarquable administrateur. Il fit établir, en 1240, par son chapelain, N. de Bellon, le registre de tous les revenus de l’abbaye montoise avec leurs affectations. À la suite d’un conflit avec les moines, qui trouvaient leur abbé trop rigoureux dans l’application de la règle, fut rédigé le texte des Usages qui codifient la vie de l’abbé et des moines jusque dans leur régime alimentaire. En 1254, le pape Alexandre IV (bulle du 6 des calendes d’octobre [26 septembre]) accorda aux abbés du Mont « le droict d’user de mître, d’anneau, de tunique, dalmatique, gans, sandales et autres ornements pontificaux, de conférer la première tonsure et les ordres mineurs, comme aussi de donner la bénédiction solennelle dans la solennité de l’église et à table » (Le Roy, 1878, t. I, p. 222). L’abbé fut inhumé au bas de la nef ; cf. Neustria pia, p. 390 ; Gallia christiana, col. 522 ; Huynes, 1872-1873, t. I, p. 181-183 ; Le Roy, 1878, t. I, p. 215-229 ; Chazelas, 1967, p. 146-149.
76. Le syntagme omnes ammiras – telle est la lecture de Léopold Delisle, qui redresse en outre tacitement qui en quae – fait difficulté. Ammiras est rien moins que sûr : le a initial est suivi de sept jambages quasi indifférenciés – sans aucun accent –, dont les diverses combinaisons ne donnent aucun mot latin usuel. Thomas Bisson hasarde un hypothétique aumuras, « structures », qui ne semble pas autrement attesté. J. Chazelas (Chazelas, 1967, p. 148, n. 133), corrigeait ammiras… qui en admirabiles… quae et suppléait domos. On pourrait imaginer un autre supplément, aras, tombé par saut du même au même, et rétablir : omnes admirandas aras quae sunt circa ecclesiam (« tous les autels admirables qui sont autour de l’église »), en se souvenant que Richard Turstin avait fait élever au moins deux nouveaux autels dans l’abbatiale.
77. L’abbé Richard Turstin fit édifier Belle-Chaise et le corps de garde situé au-dessous. Il prépara le chantier où devait se trouver, au dernier étage, la nouvelle salle capitulaire. Le corps de garde n’avait à l’origine aucune fonction militaire, comme le rappelle Dom Jean Huynes : « il fit faire Belle-Chaise et le corps de garde qui est dessous, non pour des soldats (car il n’y en avoit point encor), mais pour les portiers du monastère » (Huynes, 1872-1873, t. I, p. 182).
78. L’expression prioratus forenses évoque les prieurés extérieurs de l’abbaye ; on oppose, en effet, le prior claustralis (prieur du monastère, qui seconde l’abbé) et les priores forenses (les prieurs forains), qui représentent l’abbé dans les différents prieurés, plus ou moins éloignés de l’abbaye dont ils dépendent. En 1338, l’abbaye du Mont Saint-Michel déclarait posséder 22 prieurés (cf. Simon, 1967, p. 169-174).
79. Notices laconiques sur ces deux abbés, sur lesquels Dom J. Huynes et Dom Th. Le Roy donnent très peu d’informations. La durée indiquée (34 ans) inclut nécessairement l’abbatiat de Jean le Faé. Nicolas Alexandre (29 juillet 1264-7/17 novembre 1271) gouverna le monastère durant 5 ans et 5 mois ; cf. Neustria pia, p. 390 ; Gallia christiana, col. 522 ; Huynes, 1872-1873, t. I, p. 183 ; Le Roy, 1878, t. I, p. 230-235 ; Chazelas, 1967, p. 149. Nicolas Fanigot / Favigot (7/17 novembre 1271-19 mars 1279/1280) avait été auparavant prieur claustral du Mont ; cf. Neustria pia, p. 390 ; Gallia christiana, col. 523 ; Huynes, 1872-1873, t. I, p. 183 ; Le Roy, 1878, t. I, p. 234-235 ; Chazelas, 1967, p. 149. À la mort de Nicolas Fanigot, un certain Renouf de Torigni aurait été élu avec l’accord du roi de France. Il n’aurait gouverné que quelques mois, puisqu’il serait mort en novembre 1280. Aucune source montoise n’en fait état, au rebours de la Gallia christiana, col. 523 ; cf. Chazelas, 1967, p. 149.
80. Jean le Faé (1er décembre 1280-13 juillet / septembre 1298) passa son temps à se défendre contre les multiples accusations des moines ; cf. Neustria pia, p. 390 ; Gallia christiana, col. 523 ; Huynes, 1872-1873, t. I, p. 183-184 ; Le Roy, 1878, t. I, p. 236-246 ; Chazelas, 1967, p. 149-150.
81. Guillaume du Château (décembre 1299-11 septembre 1314) connut deux événements majeurs sous son abbatiat. Le 13 juillet 1300, la foudre mit le feu au clocher et fit fondre toutes les cloches ; l’incendie gagna les toitures des édifices voisins, dont l’abbatiale. En 1311, l’abbé accueillit le roi Philippe le Bel, qui fit don au monastère de deux épines de la couronne du Christ et d’un morceau de la vraie croix. Outre ses nombreux dons, le roi déposa sur l’autel une somme de 1 200 ducats d’or, qui servit à fabriquer une statue de saint Michel en bois recouverte de feuilles d’or ; cf. Neustria pia, p. 391 ; Gallia christiana, col. 524 ; Huynes, 1872-1873, t. I, p. 183-184 ; Le Roy, 1878, t. I, p. 246-248 ; Chazelas, 1967, p. 149. Aucune autre source montoise ne parle des stalles et du mobilier dont il aurait équipé le chœur de l’abbatiale.
82. Sous l’abbatiat de Jean de la Porte (23 octobre 1314-14 avril 1334), la forteresse du Mont fut tenue par une garnison royale à partir de 1324. En 1326, le capitaine des ports et des frontières de Normandie, Guillaume du Merle, prétendit faire payer aux moines les frais de la garnison qu’il avait installée au Mont. Le roi Charles le Bel prit la défense des moines. C’est également sous cet abbatiat, en 1333 notamment, que se produisirent les nombreux pèlerinages des pastoureaux. Cf. Neustria pia, p. 391 ; Gallia christiana, col. 524 ; Huynes, 1872-1873, t. I, p. 185 ; Le Roy, 1878, t. I, p. 255-267 ; Simon, 1967, p. 151-209 ; Fiasson, 2013, p. 14-25 ; Fiasson, 2014, p. 129-159.
83. Le prieuré de Saint-Clément de Jersey ainsi que les autres prieurés anglais (Otterton, St. Michael’s Mount et les deux prieurés de Guernesey, le Val et Lihou) dépendaient du roi d’Angleterre. Ce dernier, qui n’admettait pas que les revenus fussent rapatriés en France, imposa à l’abbé du Mont le versement de fortes sommes d’argent (en 1295, 1324 et 1337) pour qu’il pût récupérer ces revenus. L’abbé Jean de la Porte s’appuya sur des relations sûres, notamment sur Oger de Bueys, pour enfin obtenir satisfaction auprès du roi Édouard III en 1328 ; cf. Simon, 1967, p. 152-154.
84. En 1328, le royaume de Navarre fut dévolu à Jeanne II d’Évreux, la fille de Louis X le Hutin, et elle le conserva jusqu’à sa mort, en 1349. Auparavant les trois frères régnants, Louis X le Hutin (1314-1316), Philippe V le Long (1316-1322) et Charles IV le Bel (1322-1328), avaient été rois de Navarre. En compensation de sa renonciation au trône de France, Jeanne reçut la même année le comté d’Angoulême et celui de Mortain. Son mari, Philippe, comte d’Évreux, devint ainsi roi de Navarre en 1328. Le fils de Jeanne et de Philippe, Charles II, dit le Mauvais, devint comte d’Évreux et de Mortain en 1344, puis roi de Navarre en 1348/1349. Le roi de France, Charles V, le dépouilla des deux comtés normands en 1354, en raison des troubles qu’il suscitait et de ses prétentions à la couronne de France.
85. Il s’agit de Philippe VI de Valois, qui succéda à son cousin Charles IV en 1328, usant de la loi salique pour éliminer Jeanne, la fille de son autre cousin, Louis X le Hutin.
86. La date indiquée, 1330, est erronée. Dans la marge du manuscrit, une main du début du xviie siècle a ajouté quatre. Huynes, 1872-1873, t. I, p. 185, indique qu’il décéda « l’an mil trois cens trente quatre le vendredi sainct à l’heure de sexte le quatorziesme jour du moys d’avril » ; cf. infra, note 87. Le Roy, 1878, t. I, p. 256, donne la même date ; cf. Laporte, 1967b, p. 269 – qui donne par erreur, p. 276, la date de 1335.
87. Selon Dom Thomas Le Roy (Le Roy, 1878, t. I, p. 256), il « fut enterré en la chapelle de S. Jean l’évangéliste, qu’il avoit fait faire dans la croisée de cette église, du costé du midy, devant l’autel dédié à la Très-Saincte Trinité, lequel on appelle à présent de S. Benoit […] ». – On lit dans le ms. Avranches, BM 126, fol. 173 v, une épitaphe de Jean de la Porte : Anno milleno centum ter quoque deno, | Luce Parasceues, sed quatuor addere debes, | Iste Johannes obit, horarum sexta resolvit. | Cunctis porta patens est modo clausa latens. | Unde dolor nimius. Huic, Deus, esto pius. | Abbas iste fuit vigilans super arte regendi, | Profuit et prefuit factis et in arte loquendi.
88. Nicolas le Vitrier (17/18 avril 1334-30 août 1362) fut auparavant prieur claustral du Mont. En 1350, la foudre provoqua un nouvel incendie des bâtiments et de l’abbatiale. Selon un rôle présenté par cet abbé en 1337, le monastère comptait alors 40 moines ; cf. Huynes, 1872-1873, t. I, p. 187 ; Fiasson, 2017, p. 67-85 (69-71).
89. La compositio monetae est une transaction financière passée entre les moines et l’abbé, lequel se voit attribuer annuellement une somme de 100 livres, prélevée sur les revenus du monastère, pour faire face à ses dépenses personnelles ; cf. Huynes, 1872-1873, t. I, p. 187 : « finalement il fit un accord avec ses religieux par lequel il est dit qu’il prendroit tous les ans cent livres des offrandes de l’église pour sa mense abbatiale et que le reste seroit pour les religieux ». Cette contribution passa à 200 livres sous son successeur et à 1 200 livres sous Pierre Le Roy. C’est ce que Dom Thomas Le Roy (Le Roy, 1878, t. I, p. 268) appelle un « péculion ».
90. C’est durant l’abbatiat de Nicolas le Vitrier que la guerre de Cent Ans commença à produire ses effets dramatiques, comme les destructions évoquées : Genêts, Domjean et Loiselière. Lorsque le roi Édouard III débarqua en Cotentin, à Saint-Vaast-la-Hougue, le 12 juillet 1346, les villes d’Avranches et de Ducey furent dévastées par les troupes de Regnault de Cobehen. Pendant la chevauchée en Cotentin du duc de Lancastre, en 1356, les prieurés de Genêts et de Saint-Pair furent pillés ; les Anglais s’emparèrent même de Tombelaine, par surprise, et l’occupèrent de 1356 à 1360, date du traité de Brétigny, lequel fut suivi d’un répit d’une dizaine d’années.
91. La garde du Mont était alors assurée non seulement par des soldats, des paroissiens requis, des serviteurs des religieux, mais aussi par des clercs et des moines : on surveillait principalement les remparts, la porte de l’abbaye et celle de la ville. Étaient chargés du guet notamment les paroissiens d’Ardevon, des Pas, de Beauvoir et de Huisnes ; cf. Fiasson, 2013 p. 44-48.
92. Omnibus aliis se ingentibus repulsus fait problème, même si l’on corrige repulsus en repulsis. Philippe Labbe (Labbe, 1657, p. 352) propose de lire omnibus invadentibus repulsis. David Fiasson (Fiasson, 2017) suggère de corriger ingentibus en impetibus. Aucune de ces deux émendations ne rend compte de la présence des éléments qu’elles présument intrus : aliis se.
93. Geoffroy de Servon, élu en mars 1363, gouverna le monastère jusqu’à sa mort, survenue le 28 février 1386. Comme Nicolas le Vitrier, il fut capitaine de la garnison du monastère, confirmé par le roi Charles V, dit le Sage, en 1364. C’est durant son abbatiat que dame Tiphaigne, épouse de Bertrand du Guesclin, demeura au Mont (jusqu’en 1374) ; cf. Neustria pia, p. 391 ; Gallia christiana, col. 525 ; Huynes, 1872-1873, t. I, p. 188 ; Le Roy, 1878, t. I, p. 277-298 ; Fiasson, 2013, p. 32-72 ; Fiasson, 2017, p. 76-80. L’abbé Geoffroy aurait été contesté par deux autres candidats à l’abbatiat : un certain R. se dit abbé du Mont en 1366 et un certain Guillaume vers 1384 ; cf. Laporte, 1967b, p. 276.
94. Cette chapelle dite « des degrés », dédicacée à sainte Catherine, existe toujours. Selon Dom Thomas Le Roy (Le Roy, 1878, t. I, p. 295-296), elle fut édifiée en 1380.
95. L’identification de ces fiefs est facilitée par les indications précises fournies par Dom Jean Huynes (Huynes, 1872-1873, t. I, p. 188) et Dom Thomas Le Roy (Le Roy, 1878, t. I, p. 298). Le fief de Périer est situé dans la paroisse du Loreur. Les fiefs de La Meslerie / La Mesleraye et celui de Cran / Craen dans la baronnie de Saint-Pair, ceux de Poterel / Potrel, de Viel et de Montmirel dans la baronnie de Genêts, celui de Plomb / Pelong près d’Ardevon. Le fief de Touffon / Touffou fut acheté en 1367 pour 260 francs, celui de Brécey en 1380 pour 90 francs. Il y a une incertitude pour Brece in Donvilla : Dom J. Huynes et Dom Th. Le Roy parlent de « Brée en Domville », qui se trouverait au nord de Granville (cf. le village de Bréville qui jouxte Donville-les-Bains) ; ce fief de Brée ne peut pas être confondu avec l’autre village de Brée près de Tanis et d’Ardevon, ni avec Brécey. Le détail de ces achats de Geoffroy de Servon se lit dans une copie du registre de la pitancerie, transcrite par L. Delisle : cf. le ms. Paris, BNF, n.acq.fr. 21821, fol. 80, 88, 90, 93, 488, 493, 495 ; cf. Fiasson, 2013, p. 51-56 ; Fiasson, 2017, p. 79.
96. La foudre tomba sur le Mont le 8 juillet 1374 et mit le feu à une grande partie du monastère et du village.
97. Au temps de l’abbé Geoffroy de Servon eut lieu une nouvelle occupation du rocher de Tombelaine : les Anglais s’en emparèrent en mai 1372 ; mais la réaction française fut rapide : Guillaume de Fayel réunit quelque 2 000 hommes et reprit la forteresse quelques jours après. En revanche, toutes les dépendances montoises étaient entre les mains de l’occupant anglais.
98. Pierre Le Roy, originaire d’Orval près de Coutances, fut élu en mars 1386. Avant de devenir abbé du Mont, il avait été successivement abbé de Saint-Taurin d’Évreux et de Lessay. Il fut lui aussi capitaine de la garnison du Mont. Il fut peu présent au monastère en raison de sa charge d’ambassadeur du roi de France, Charles VI, en Italie, en Angleterre, en Hongrie et en Aragon. Il fut même le référendaire du pape Alexandre V. Le roi Charles VI vint au Mont en pèlerinage en 1393 ; deux ans après, il fit don à l’abbaye d’un morceau de la vraie croix. L’abbé mourut lors d’un voyage à Bologne en 1411. Sur l’abbé Pierre Le Roy, voir Reulos, 1967a, p. 191-209 (avec transcription et traduction des Gesta Petri Regis), et Fiasson, 2013, p. 83-84.
99. L’expression lignum chori désigne les « ouvrages en bois » destinés au chœur, c’est-à-dire les stalles : selon Dom Thomas Le Roy (Le Roy, 1878, t. I, p. 302-303), il s’agit de « chaires » (stalles), réalisées par d’habiles artisans en vue de remplacer celles qui étaient très vieilles. Lignum pourrait aussi bien signifier une « croix en bois ».
100. Pierre Le Roy fut un grand bâtisseur. Pour assurer la défense du Mont, il restaura vers 1391-1393 la tour des Corbins, dont le sommet s’était effondré il y a peu, et la muraille qui relie la tour des Corbins à Belle-Chaise. Il édifia la tour Perrine et le « dongeon » du Châtelet. Il fit construire également l’infirmerie, la procure et le logis du bailli (la bailliverie), le chartrier. Cf. Laporte, 1967b, p. 276 ; Neustria pia, p. 392 ; Gallia christiana, col. 526 ; Huynes, 1872-1873, t. I, p. 189-194 ; Le Roy, 1878, t. I, p. 299-328 ; Fiasson, 2013, p. 72-80, et Fiasson, 2017, p. 76-77.
101. Il convient de corriger uniceque en unirique ; l’expression se lit dans les Gesta Petri Regis : Item fecit uniri monasterio prioratus (Reulos, 1967b, p. 206).
102. La suppression de ces prieurés était justifiée par la volonté d’éviter les ingérences pontificales dans la nomination de clercs à la tête de ces établissements, lesquels échappaient de ce fait au contrôle de l’abbé. Pierre Le Roy profita de ses entrées au Saint-Siège pour obtenir des bulles consacrant « l’union de ces prieurés à l’abbaye du Mont », selon l’expression de Dom Thomas Le Roy : bulles du pape Clément VII en 1386 pour Saint-Pair, en 1387 pour Brion, en 1390 pour Genêts, et bulle du nonce de Benoît XIII en 1400 pour Balant et Saint-Méloir. Voir Reulos, 1967b, p. 206 ; Le Roy, 1878, t. I, p. 300-302.
103. Cette transformation du dortoir à l’initiative du prieur Nicolas de Vandastin fut réalisée en 1410 ; cf. Le Roy, 1878, t. I, p. 321 : « il fit séparer en petites cellules particulières le grand dortoir commun du monastère ».
104. Robert Jolivet, natif de Montpinçon, avait été le chapelain et le secrétaire de Pierre Le Roy. L’abbatiat lui fut attribué par une bulle du pape Jean XXIII expédiée le 22 mars 1411 ; mais par la suite, les moines du Mont confirmèrent par une élection cette désignation. Lors de l’occupation du duché par les Anglais, à partir de 1417, Robert Jolivet fit fortifier la place pour leur résister efficacement, édifiant ou renforçant la muraille protégeant la ville au sud. En 1420, il préféra quitter le Mont et vivre, soit à Loiselière (Aviaria), soit à Rouen, en bonne intelligence avec les Anglais. Il mourut à Rouen en 1444. Durant son absence, un vicaire général, Jean Gonault, fit fonction d’abbé ; mais l’autorité militaire prenait souvent le pas sur l’autorité ecclésiastique ; cf. Huynes, 1872-1873, t. I, p. 197-199 ; Fiasson, 2013, p. 82-99.
105. Une « chapelle » est un ensemble d’ornements liturgiques, comprenant trois chapes, deux tuniques ou dalmatiques, une chasuble, un devant d’autel et un tapis de cérémonie. L’abbé Jolivet en fit faire trois : une de couleur violette, une autre de couleur rouge, la troisième en satin blanc. Il fit également confectionner une crosse en argent doré, deux croix de même métal, deux calices et deux encensoirs. Cf. Laporte, 1967b, p. 276 ; Neustria pia, p. 392 ; Gallia christiana, col. 526 ; Huynes, 1872-1873, t. I, p. 194-197 ; Le Roy, 1878, t. I, p. 328-376 ; Fiasson, 2013, p. 80-100, et Fiasson, 2017, p. 83-84. David Fiasson a montré que, contrairement aux jugements portés sur l’attitude de Robert Jolivet par tous les historiens depuis le xviie siècle, l’abbé s’était montré légitimiste en mai 1420, lorsqu’il se rallia au traité de Troyes, par lequel le roi Charles VI désignait comme héritier le fils du roi anglais Henri V. De ce fait, le dauphin Charles était déshérité. Ce parti de la double monarchie fut adopté par la très grande majorité des universitaires parisiens, dont Robert Jolivet faisait partie – tout comme Pierre Cauchon. L’auteur du De abbatibus ne porte aucun jugement négatif sur l’attitude de l’abbé, lequel abandonna le Mont en 1420, sans doute à la suite de conflits l’opposant aux moines favorables au dauphin Charles, que Jeanne d’Arc fera sacrer roi à Reims en 1429.
106. Autres traductions possibles de ce mot : « celliers », « magasins » ; cf. Recueil des historiens des Gaules et de la France, Tome quatorzième, Michel-Jean-Joseph Brial (éd.), p. 869, Index vocum exoticarum et infimae latinitatis : Grangia […], apotheca (« cellier »), promptuarium (« magasin »).
107. Le Mont opposa une vive résistance aux Anglais, qui occupèrent toute la Normandie dès 1417, puis le rocher de Tombelaine à partir de 1419. Le siège effectif du Mont commença en 1423, sous les ordres de Nicolas Burdett, avec 130 hommes et une flotte de vingt navires ; la défense contre les Anglais fut assurée d’abord par Jean d’Harcourt, comte d’Aumale, puis, à partir de 1424, par Louis d’Estouteville. L’assaut manqué des Anglais en 1434 mit un terme aux violences de la guerre sur le Mont. Cependant le blocus ne fut levé qu’après la victoire française de Formigny, le 15 avril 1450 : les derniers Anglais se rendirent le 15 juin 1450.
108. Outre la grande croix, Nicolas Guernon avait fait réaliser un ange en argent doré, tenant entre ses mains le morceau du voile rouge de l’archange que les chanoines avaient rapporté du Mont Gargan. Cette relique disparut en 1791. La grande croix est ainsi décrite par Dom Thomas Le Roy (Le Roy, 1878, t. I, p. 334) : « L’an 1412 susdit, l’abbé Robert Jolivet fit faire une grande croix à patte tenant aux branches d’argent doré, qui se veoit au milieu du reliquaire avec deux figures des deux costez, l’une de la Vierge et l’austre de S. Jean, et deux anges sur les deux bras, le tout esmaillé et parsemé de petites coquilles d’argent et cette lettre R au milieu de laquelle passe une crosse ». – Le terme postellis, pour postillis, désigne les inscriptions qui avaient été portées sur la croix et dont Th. Le Roy donne le texte : Generationem ejus quis enarrabit (Ac 8,33 : « Sa postérité, qui la racontera ? »). Lignum vitae in medio paradisi (Gn 2, 9 : « L’arbre de vie au milieu du jardin »). Ego flos campi et lilium convallium (Ct 2, 1 : « Je suis la fleur de la plaine et le lis des vallées »). In cibum erunt fructus ejus (Ez 47, 12 : « Et ses fruits seront une nourriture »).